Après l'exercice il y a quelques jours de prospective sur le devenir de certains films en salle (ou non), voilà bien une idée qui n'est pas franchement de nature à apaiser les tensions et les nerfs, déjà mis à rude épreuve en cette période de pandémie liée au Covid-19...
Initialement prévu en salle, le film d'animation Les Trolls 2 - Tournée mondiale, produit par Universal, a finalement directement atterri en VOD aux Etats-Unis. Il est ainsi proposé à 19,99 $ pour une location de 48h en ligne par la major, suite à la fermeture des salles américaines depuis la mi-mars. Et c'est un carton inattendu. Rien qu'au cours des 19 premiers jours, le film a généré près de 100 millions $ de recettes.
En déduisant les divers frais dont ceux du marketing, les revenus resteraient encore élevés selon le site Deadline, puisqu'il tourneraient aux alentours de 77%. Bien plus que le partage traditionnel des recettes effectué entre les studios et les exploitants de salles de cinéma, selon un ratio de 50 / 50 ou 60 / 40 selon les cas. Evidemment, le film ayant coûté 95 millions de dollars à produire, Universal risque de perdre un peu d'argent dans l'opération, d'autant qu'il faut ajouter les dépenses liées au marketing. Il n'empêche que ces très bons chiffres, étant donné le contexte et vu l'offre proposée, interpellent logiquement la major.
Dans une déclaration au Wall Street Journal publiée ce 28 avril, Jeff Shell, PDG de NBC- Universal, a précisé que "les résultats [du film] ont dépassé nos attentes et ont prouvé la viabilité de la VàD. Dès que les salles rouvriront, nous comptons sortir des films sur les deux supports". Des propos qui ont résonné comme une déclaration de guerre aux oreilles d'Adam Aron, le PDG d'AMC, le plus puissant circuit de multiplexes aux Etats-Unis, fort d'un maillage de 8043 écrans répartis dans 634 cinémas à travers le pays.
La réponse du berger à la bergère... Et l'inverse
Ce dernier s'est fendu d'une lettre ouverte à Donna Langley, la CEO de Universal, pour lui faire part de son mécontentement. Et encore, le mot est faible; sa fureur plutôt : en rétorsion, il précise que son circuit de salles "ne distribuera plus aucun film Universal dans ses 1000 cinémas dans ces conditions", englobant donc les salles AMC d'Europe et du Moyen-Orient. Et d'ajouter : "Cette politique affecte tous les films Universal en tant que tels. Elle entre en vigueur dès aujourd'hui et à la réouverture de nos salles, et n'est pas une menace creuse ou inconsidérée. Cela étant, cette politique ne vise pas uniquement Universal par pure colère ou pour être punitive de quelque manière que ce soit, elle s'étend également à tous ceux qui abandonnent unilatéralement les pratiques actuelles de chronologie des médias en l'absence de négociations de bonne foi entre nous, de sorte que eux en tant que distributeurs et nous en tant qu'exploitants puissions profiter tous deux de ces changements et qu'aucun de nous n'en souffre. Actuellement, Universal est le seul studio qui envisage un changement complet. D'où cette communication immédiate en réponse".
Adam Aron conclut sa lettre de manière assez lapidaire : "AMC a investi beaucoup de temps et d'énergie avec les dirigeants d'Universal ces dernières années pour essayer de trouver un nouveau modèle de chronologie qui serait bénéfique à la fois pour votre studio et pour nous. Bien que les déclarations unilatérales d'Universal sur cette question nous soient désagréables, comme cela a toujours été le cas AMC est prêt à s'asseoir avec Universal pour discuter des différentes stratégies de chronologies et des différents modèles économiques entre votre société et la nôtre. Toutefois, en l'absence de telles discussions et d'une conclusion acceptable à ce sujet, nos décennies d'activité commerciale incroyablement fructueuses ensemble sont malheureusement arrivées à leur terme". Ambiance...
De son côté, la major a évidemment tenu à répondre au PDG de la société AMC, tentant de jouer l'apaisement : "En sortant Les Trolls 2 - Tournée Mondiale en VàD, notre objectif était de fournir du divertissement aux personnes confinées, alors que les cinémas et autres formes de divertissement extérieur ne sont pas disponibles. Compte tenu de la réaction enthousiaste au film, nous pensons avoir fait le bon choix. Notre désir a toujours été de fournir du divertissement à un public aussi large que possible. Nous croyons absolument à l'expérience de la salle et nous n'avons fait aucune déclaration contraire. Comme nous l'avons dit précédemment, nous prévoyons de distribuer les futurs films directement dans les salles de cinéma, ainsi qu'en vidéo à la demande lorsque ce mode de distribution sera approprié. Nous sommes impatients d'avoir d'autres conversations privées avec nos partenaires de l'exploitation, mais nous sommes déçus par cette tentative apparemment coordonnée de l'AMC et de la NATO de confondre notre position et nos actions".
La major fait allusion au communiqué de la NATO, acronyme de National Association of Theatre Owners, soit l'association des exploitants américains de salles, qui s'est exprimé par l'entremise de son représentant, John Fithian. "Les circonstances exceptionnelles ne doivent pas être une raison pour Universal de les utiliser comme tremplin pour contourner la sortie des films en salle. [...] Les salles de cinéma offrent une expérience immersive et partagée qui ne peut pas être reproduite - une expérience à laquelle de nombreux spectateurs Vàd de ce film auraient participé si le monde n'était pas confiné".