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    Radioactive de Marjane Satrapi : "Marie Curie a toujours été l'exemple à suivre"

    "Radioactive", le nouveau film de Marjane Satrapi qui raconte le destin de Marie Curie, ses découvertes et leurs conséquences, est désormais disponible en VOD. Rencontre avec la cinéaste.

    AlloCiné : Qu'est-ce qui vous touchait dans le destin de Marie Curie ?

    Marjane Satrapi : Marie Curie, pour moi, ça a toujours été l'exemple à suivre. J'ai une mère qui avait un plan Marshall pour ma vie : il fallait que je devienne une femme indépendante. J'avais deux figures à suivre : Simone de Beauvoir et Madame Curie. Je ne suis devenue ni philosophe ni scientifique, néanmoins je suis devenue une femme indépendante. J'avais des facilités pour la science, donc j'en ai fait et c'est quelqu'un qui m'a suivie comme ça un peu toute ma vie. Il ne faut pas oublier qu'elle est connue dans la monde entier, donc la Terre entière connaît Madame Curie, on connaît ses découvertes, on sait qu'elle est la seule personne au monde à avoir obtenu deux prix Nobel dans deux disciplines, un en Physique et un en Chimie, mais on connaît très peu de choses sur sa vie. Ce qui m'intéressait dans ce film, justement, c'est qu'il s'appelle Radioactive et pas Marie Curie et qu'il va au-delà d'un biopic.

    Vous connaissiez déjà le roman graphique dont le scénario est adapté ?

    Je ne savais même pas qu'il y avait un roman graphique. J'ai lu un scénario que j'ai trouvé super intéressant. Ce n'est que deux ou trois mois après que j'ai su qu'il y avait un livre qui était un roman graphique. Ce qui était extraordinaire avec le travail de Jack Thorne, le scénariste, c'est qu'il a repris la structure qui entremêle la vie de Marie et Pierre Curie avec tous les effets de la découverte de la radioactivité à travers le XXe siècle.

    Qu'est-ce qui vous a séduit chez Rosamund Pike ?

    C'est son intelligence. Quelqu'un d'intelligent peut toujours jouer quelqu'un de con, mais l'inverse n'est pas vrai. L'intelligence n'est pas quelque chose qui se feint, soit vous avez la lueur dans vos yeux, soit vous ne l'avez pas. Rosamund est réellement très intelligente. Elle est aussi très sensible : c'est comme si elle n'avait pas de peau. Dès que vous lui donnez une information, tout rentre. Le revers de la médaille, c'est que dès que vous la touchez vous pouvez lui faire très mal, donc il faut être très attentif, mais elle vaut chaque instant où on travaille avec elle. C'était une évidence quand je l'ai vue et je ne le regrette pas, car le but, ce n'était pas de singer Madame Curie et de trouver une femme qui lui ressemblerait le plus possible. Le plus important, c'était de montrer l'esprit de cette femme et de cette époque, et de son mari Pierre Curie. 

    StudioCanal

    Justement, son alchimie avec Pierre Curie est quelque chose de primordial dans le film. Vous étiez sûre que le courant allait passer entre Rosamund Pike et Sam Riley ?

    On a fait ce qu'on fait habituellement, c'est-à-dire qu'on leur a fait passer le "chemistry test", le test d'alchimie : vous mettez deux personnes l'une à côté de l'autre, vous filmez et vous voyez si ça fonctionne ou pas. Parfois, vous avez deux très bons acteurs, mais vous n'y croyez pas. Dans le film, il y a beaucoup de scènes où Marie Curie n'est vraiment pas commode, et sur ces scènes, je voyais Sam regarder Rosamund et ça le faisait rire. Comme toute la première moitié du film, on regarde Marie Curie à travers les yeux de son mari, quand lui est amusé, on l'est aussi, donc ça facilite vraiment l'empathie. Chez eux, il y avait une complicité quasiment instantanée : c'était sûr qu'on devait choisir Sam Riley et personne d'autre. 

    La manière dont vous faites revivre cette époque du début de la toute fin du XIXe et du début du XXe siècle, par exemple en convoquant la figure de Loïe Fuller qui était une amie proche des Curie et dont les danses - grâce aux films des frères Lumière - sont imprimées dans la mémoire collective, est très intéressante. 

    Cette époque, c'est l'époque du changement. Tout ce qui appartient à la vie moderne d'aujourd'hui est né à cette époque : la voiture, l'avion, le téléphone, l'électricité... Après, il y aura des innovations, mais les découvertes, elles ont lieu entre 1889 et 1910, en gros. Loïe Fuller, c'est la première artiste à appliquer ces découvertes à son art. Elle comprend qu'il y a l'électricité et qu'en enlevant le corset, en prenant des mètres de soie et en utilisant ses bras et différents filtres lumineux, elle peut créer quelque chose de nouveau. C'est la première fois que l'art et la science se marient. C'est aussi le moment où le mouvement positiviste se met en place et où en embrasse toutes les idées, si bien que Pierre Curie s'intéresse au spiritisme alors que Marie Curie est complètement sceptique. C'est vraiment une période passionnante, ce n'est pas du tout l'époque victorienne, juste avant, où on s'ennuie vraiment sec (sic)

    StudioCanal

    En tant que réalisatrice, pensez-vous avoir apporté quelque chose de l'ordre du female gaze en racontant cette histoire de femme qui fait partie des rares à de pas faire partie des oubliées, d'ailleurs ?

    Sans partir dans des considérations féministes, la moitié des gens de cette terre sont des femmes. Mathématiquement. La moitié des histoires qu'on traite devraient être des histoires de femmes. Dans les films, il y a plusieurs problèmes avec la représentation. D'abord, la femme est toujours attribuée à quelqu'un : elle commence en étant la fille de, puis la fiancée de, après c'est la maîtresse de, puis la femme de, la femme délaissée de, la grand-mère de... Avec Marie Curie et dans ce film, ce qui est intéressant, c'est qu'elle n'est la muse de personne, elle est une personne et ce sont les autres qui lui sont attribués. Ensuite, il y a cette idée du mystère féminin, ce soi-disant éternel féminin, qui est une invention des hommes bien sûr, mais pas que... Je pense que certaines femmes s'y complaisent, alors que souvent, une femme mystérieuse, c'est juste une femme chiante qui n'a rien à dire. Forcément, si vous ne parlez pas, vous avez l'air intelligente, alors si vous parlez autant que moi évidemment vous dites des conneries (sic) et vous devenez beaucoup moins attirante !

    Il y a toute une imagerie qui existe, créée par les hommes et perpétrée par les femmes. Quand je décris une femme, je suis avant tout en train de décrire un être humain, qui n'est pas parfait. Parfois, elle n'est pas commode Marie Curie, mais c'est cela qui m'intéresse, sinon ça devient un super-héros ô combien ennuyant. J'avais envie de montrer une personne brillante, mais pour réussir à faire ce qu'elle fait, elle doit être concentrée et quand vous avez ce degré de concentration d'intransigeance, vous ne pouvez pas être quelqu'un d'aimable tout le temps. J'ai juste essayé d'être au plus proche de ce que j'estime être un être humain. Moi, je ne suis ni douce, ni mystérieuse. 

    Moi non plus...

    Voilà ! Je n'ai jamais rencontré une femme qui m'a dit : "Mais tu sais moi je suis très douce et mystérieuse." Il doit y avoir un problème quelque part quand même...

    Propos recueillis à Paris le 24 février 2020. 

    Radioactive
    Radioactive
    Sortie : 11 mars 2020 | 1h 50min
    De Marjane Satrapi
    Avec Rosamund Pike, Sam Riley, Aneurin Barnard
    Presse
    3,1
    Spectateurs
    3,0
    Voir sur Paramount+

     

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