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    Monos : le portrait sensoriel et viscéral d'enfants soldats
    Emilie Schneider
    Emilie Schneider
    -Journaliste
    Amatrice d’œuvres étranges, bizarres, décalées et/ou extrêmes, Emilie Schneider a une devise en matière de cinéma : "si c'est coréen, c'est bien".

    Au sommet des montagnes colombiennes se trouve une bande d'adolescents soldats chargés de surveiller une otage. Mais l'équilibre du groupe ne tarde pas à vaciller... Le réalisateur Alejandro Landes nous présente "Monos", en salles ce mercredi.

    Stela Cine

    Allociné : Monos est une coproduction entre six pays. On imagine que c'est un film qui a été difficile à financer.

    Alejandro Landes : En effet, les gens lisaient le scénario et me disaient : "j'adore, mais je ne comprends pas ce que c'est", "c'est trop risqué", ou encore "bordel c'est quoi ce truc ?". Ce n'est pas une production hollywoodienne, ni un drame familial indé. C'est une sorte d'animal étrange. Il a donc fallu beaucoup de temps pour pouvoir faire le film. D'ailleurs, nous n'avons jamais eu l'intégralité de l'argent : on tournait en s'endettant puis on montrait les images pour convaincre les producteurs. Les gens ont commencé à rejoindre le projet petit à petit.

    C'est une oeuvre très mystérieuse. On ne sait pas quand et où l'histoire se déroule, ni qui sont ces enfants, à quelle organisation ils appartiennent.

    J'ai l'impression que de nos jours, avec internet et les téléphones portables, nous avons accès à tout un tas d'informations. On peut connaître la capitale d'un pays et son nombre d'habitants en quelques clics. Je voulais créer une sorte de vide d'informations pour forcer le spectateur à être avec les personnages. Il ne s'agissait pas de savoir si untel est une fille ou un garçon, si on est dans le passé ou le futur ou si on est ou non en Colombie. Cela nous force à être avec eux, dans cette jungle, à sentir leurs peaux.

    Ceci est comparable à une zone de conflit. La guerre aujourd'hui est fracturée : les lignes de front sont floues et mouvantes. Ainsi, créer cette désorientation dans le film nous a permis de dépasser le moment présent. Les enjeux des guerres ont beau changer, nous, nous continuons à nous battre. 

    Comment en êtes-vous venu à exploiter cette idée d'enfants soldats ?

    J'ai lu beaucoup de récits de personnes qui ont été kidnappées et qui se sont retrouvées dans des zones de guerre, en Colombie ou ailleurs. Elles ont été enlevées pour l'argent, pour des raisons politiques ou parfois même par simple accident ! (rires) Il s'avère que ce sont très souvent les soldats situés au plus bas de l'échelle du groupe qui s'occupent des otages. Ce sont de jeunes personnes, des enfants. Même quelqu'un comme Ingrid Betancourt raconte dans son livre qu'elle était entre les mains d'enfants. Et quelque part c'était encore plus effrayant. J'avais l'idée d'explorer un lieu commun au cinéma, le kidnapping, qui plus est en Colombie, ce qui en fait un double cliché, et de l'observer sous un nouveau jour. Faire un film de rapt raconté du point de vue des kidnappeurs qui sont eux-mêmes, d'une certaine manière, kidnappés.

    DCM

    Le sound design et la musique ont une place privilégiée dans le film. Comment avez-vous travaillé avec la compositrice Mica Levi, qui signe une partition minimaliste ?

    C'était génial de travailler avec elle, nous avons eu une grande collaboration. Elle était partante alors qu'elle n'avait vu qu'un montage grossier du film. On a commencé à créer en juxtaposant des éléments, comme un souffle dans une bouteille et un son digital. Quand on voit le film, il y a une présence très forte des éléments mais la technologie est aussi là. Nous avons aussi travaillé sur le fait de donner à certains personnages une note, comme un indice émotionnel. À chaque apparition de l'organisation par exemple, vous entendez un son particulier. Ensuite nous avons travaillé tous les deux avec un ingénieur du son. Nous avons pris beaucoup de sons naturels pour construire un paysage sonore unique à cet environnement. Car cet endroit ne sonne pas ainsi en vrai. Il s'agissait de créer un son spécifique, issu du réel mais rehaussé, comme si on se tenait à la lisière du fantastique.

    J'avais l'idée d'explorer un lieu commun au cinéma, le kidnapping (...) et de l'observer sous un nouveau jour.

    Comment avez-vous réuni ce casting qui est composé d'acteurs non professionnels, à l'exception de Moises Arias et Julianne Nicholson ?

    Nous avons cherché partout, dans les rues, les écoles, les cours de théâtre... Ils viennent des quatre coins de la Colombie et sont issus de milieux différents. Nous avions choisi une vingtaine d'entre eux pour les faire vivre ensemble. Ils faisaient des exercices d'improvisation et militaires de façon très intense. Au final, nous en avons retenu huit d'entre eux pour être les Monos.

    D'ailleurs, d'où vient ce nom, Monos ?

    Monos en Amérique latine peut se référer à beaucoup de choses. En ce qui concerne mon film, j'ai choisi Monos parce que "mono-" est le préfixe qui signifie "un", "seul". Le métrage débute avec un groupe et finit avec un individu. À mes yeux, la plus grande part de la tension dans notre vie quotidienne provient de celle qui oppose l'individu et le groupe.

    Stela Cine

    Pour décrire votre film, certains citent Sa Majesté des mouchesAguirre, la colère de Dieu ou encore Apocalypse Now comme influences. Mais la manière dont vous filmez ces adolescents fait davantage penser à Kids de Larry Clark ou Gummo d'Harmony Korine.

    J'adore Gummo, et ça a été une référence pour moi. Je préfère d'ailleurs cette référence aux autres souvent citées. Mon film est structuré comme le corps d'un adolescent, il est mouvant. Monos a une forme très libre, comme s'il n'était pas à l'aise dans son propre corps. 

    Votre mise en scène est très sensorielle. Comment êtes-vous parvenu à faire de Monos une expérience viscérale ?

    J'en ai rêvé (rires), j'avais beaucoup d'images en tête quand j'écrivais le scénario. J'ai ensuite travaillé sur le tournage avec Jasper Wolf, le directeur de la photographie, pour créer quelque chose de prégnant. Je ne voulais pas que l'on se contente de regarder des scènes mais qu'elles s'impriment dans notre esprit. J'aime voir le cinéma comme le langage des rêves. J'essaie de construire des images de cette façon.

    On a l'impression, en voyant le film, que le tournage était dangereux, ou au moins compliqué car vous tournez dans la jungle, parfois dans l'eau, avec des comédiens débutants.

    C'était vraiment difficile en effet et il y avait parfois du danger. Mais je ne veux pas enlever l'idée du jeu, du cinéma. Certains critiques en voyant Monos disent "wow, tout le monde s'est mis en danger sur le film". Bien sûr, on était au sommet d'une montagne puis au fin fond de la jungle. Mais personne n'a souffert, personne ne s'est noyé, tout cela reste du cinéma.

    Propos recueillis à Paris le 13 janvier 2020. Merci à Thomas Chanu Lambert et Matilde Incerti.

    Monos
    Monos
    Sortie : 4 mars 2020 | 1h 43min
    De Alejandro Landes
    Avec Julianne Nicholson, Moises Arias, Sofia Buenaventura
    Presse
    3,9
    Spectateurs
    3,0
    Voir sur Universciné

    La bande-annonce de Monos :

     

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