Début 90. Un groupe de Cubains installés à Miami met en place un réseau d’espionnage. Leur mission : infiltrer les groupuscules anti-castristes responsables d’attentats sur l’île.
Les propos de cet interview ont été recueillis au Festival de Deauville le 14 septembre dernier et font référence à la présentation du film à la Mostra de Venise, qui avait lieu une semaine auparavant.
AlloCiné : l'histoire de Cuban Network est centrée à la fois sur ces Cubains qui luttent contre le terrorisme et les groupes anti-castristes qui veulent réinstaurer une certaine démocratie. Ce sont deux facettes qui peuvent se comprendre, est-ce cela qui vous a intéressé dans le film ?
Olivier Assayas : Ce qui m'intéressait d'abord, ce sont les personnages, c'est-à-dire l'histoire d'une famille qui se décompose et qui se recompose et la façon dont ces gens sont broyés par l'histoire. Il y a une violence sourde qui est celle de gens qui sont abîmés par leurs engagements, par leur passion, par leurs convictions, mais qui néanmoins sont de grands sacrifices. Et ce qui m'intéressait effectivement, c'était de traiter d'une situation qui relève non pas de la simplification mais de l'ambiguïté du politique. Le tout avec une perspective de trente ans, qui permet de représenter de façon dépassionnée des faits qui en leur temps, ont été source de division et dont je me suis rendu compte qu'aujourd'hui, ils restent terriblement polémiques. J'ai fait ce film comme j'ai fait Carlos : du fait des passions politiques que ça déclenche, je me suis absolument contenté de représenter les faits les plus clairs et les plus indiscutables. Je voulais montrer les contradictions, la complexité de faire son chemin là-dedans... Je suis loin d'être castriste, je ne l'ai jamais été mais les méthodes violentes des militants anti-castristes, c'est difficile d'avoir de la sympathie pour eux.
C'est ce qui est passionnant dans le film. Je sais que vous vous êtes basé sur l'ouvrage Les Derniers soldats de la guerre froide de Fernando Morais, mais peut-être aussi sur une autre documentation ?
D'abord, plusieurs livres racontent cette histoire : celui de Morais est partisan, c'est quelqu'un qui a eu accès aux archives des services secrets cubains, qui ne fait pas du tout secret de ses sympathies pro-castristes. Il y a donc des choses auxquelles je pouvais me fier mais d'autres sur lesquelles j'ai été plus vigilant. (...) J'ai accumulé le plus d'informations, j'ai vérifié les faits, j'ai fait relire le scénario par des gens qui connaissent tout ça mieux que moi. Quand on est sur ce terrain-là, c'est indispensable.
Et justement, ces relectures et l'amas de sources ont-ils nécessité un long travail d'écriture ?
C'était un travail d'écriture difficile. Raconter l'histoire de René Gonzales et d'Olga ce n'est pas plus difficile qu'autre chose, même s'il fallait que je me baigne dans un contexte et une langue qui ne sont pas les miens et que j'ignorais encore de la veille, non il a fallu que j'arrive à faire comprendre le contexte politique de l'époque en le simplifiant au maximum...
...sans être simpliste.
Exactement, et ça, je le faisais encore trois jours avant la projection à Venise ! (rires) Si ces faits ont trente ans, (...) ils ne sont pas du tout acquis pour une grande partie du public.
En ça, l'apparition de Fidel Castro via des images d'archives vient aider.
Ça donne de la réalité aux faits, comme l'apparition de Clinton.
Vous avez mentionné Venise, vous n'avez pas fait secret qu'il y aurait des petites retouches de montage car vous l'avez terminé au dernier moment...
Nous avons fini de tourner le 4 mai ! Cela faisait partie du deal avec le producteur, il devait [être terminé pour Venise]. Wagner Moura avait même parié avec le producteur que le film ne serait pas prêt à temps. Et [le producteur] Rodrigo Teixeira me disait "démerde-toi, je veux gagner mon pari !" En contrepartie, j'avais demandé à pouvoir faire de petits réglages sans pression.
Est-ce que vous savez déjà en quoi vont consister ces retouches ?
Il y a des scènes que je veux rallonger un peu, des scènes qui vont trop vite, et quelques petits détails dans le subplot politique qui sont encore un peu compliqués et que je voudrais gommer.
Était-ce facile pour vous d'obtenir le droit de retoucher le film ? Car lorsqu'il s'agit de films à capitaux américains, les choses peuvent se compliquer.
Justement, le film est à capitaux surtout européens et sud-américains, brésiliens. (...) Donc les algorithmes n'étaient pas deux du cinéma américain. Si j'avais fait le film dans un contexte hollywoodien, je leur aurais montré mon montage, il m'aurait dit "très bien merci", et maintenant on va vous présenter le nôtre (rires) ! C'est ce qui était à Bertrand Tavernier lorsqu'il avait fait Dans la brume électrique, il me l'avait raconté. Comme quoi l'expérience des autres peut servir...
Évidemment, vous retrouvez Édgar Ramírez. Était-ce à votre demande ou à la sienne ?
Ça fait depuis Carlos qu'on voulait refaire un film ensemble. Il m'envoyait régulièrement des projets, mais qui n'étaient pas ce que je cherchais, en tout cas pas à ce moment. Quand j'ai lu le livre de Morais et que j'ai compris que Rodrigo Texeira était sérieux et qu'il voulait vraiment faire le film, j'en ai tout de suite parlé à Édgar, en lui disant que c'était un personnage intéressant qui lui permettait de faire des choses qu'il n'avait pas faites dans Carlos. Des choses plus humaines, plus chaleureuses. Il pouvait porter l'émotion du film.
Est-ce que vous diriez que les peines qu'ont subi ces Cubains à l'époque avaient pour volonté de faire un exemple ?
Là je vais vous donner un point de vue, sans valeur historique : je pense qu'ils ont eu un procès très injuste. Je pense qu'ils coupables de pratiques illégales comme l'infiltration d'organisation anti-castristes, qu'ils ont fait passer des informations à Cuba, c'était leur métier, c'est établi, mais je pense pas qu'ils méritaient les peines qu'ils ont eu. Je pense qu'ils ont été jugés à Miami dans un contexte qui était celui de la colère -sans doute légitime- des Cubains de l'exil suite à la destruction des avions. Je pense qu'ils n'ont rien à voir avec cette destruction (...).
Est-ce que le projet a été difficile à tourner à Cuba et même à monter, financièrement ?
Très, très difficile. Le film est moins cher qu'il n'en a l'air car là-bas, tout comme moitié voire 1/3 de moins de ce que ça coûterait dans un autre pays, mais il coûte quand même cher à fabriquer. On est sur une échelle de cinéma un peu américain, de "gros indépendant" américain, tourné en espagnol, racontant une histoire politique oubliée qui reste polémique aux États-Unis. Ça n'a pas été facile. Le film s'est fait sur l'autorisation des Cubains de tourner chez eux mais aussi grâce à l'engagement de Penélope Cruz et sa fidélité au projet qui a fait (...) qu'on a pu... (Il s'interrompt) :
...mais je ne vous cache pas que j'ai vécu un cauchemar à préparer la totalité du film à Cuba dans des conditions de précarité abracadabrantes, en pensant que le film n'allait pas se faire. J'ai su que le film se faisait trois jours avant le tournage ! J'ai commencé le tournage en étant complètement H.S., après le tournage a suscité sa propre énergie et ça a été, mais ça a été la guerre tous les jours. Chaque matin, je me levais en me disant que j'allais au combat !