AlloCiné : C'est votre quatrième sélection au Festival de Cannes mais la première fois en Compétition officielle. Qu'avez-vous ressenti lors de la présentation du film ?
Corneliu Porumboiu : J'étais très content d'être en compétition mais également très stressé. On a toujours peur qu'il y ai un problème technique au moment de la projection. Mais tout s'est bien passé et la réaction du public en fin de projection était très bonne.
AlloCiné : Comment avez-vous pris connaissance du Silbo, cette langue sifflée et qu'est-ce qui vous a donné envie d'en faire un film ?
J'ai découvert le Silbo il y a 10 ans. J'ai vu un reportage sur La Gomera (ndlr : une des 7 îles des Canaries) où il était question du Silbo. C'est une langue sifflée utilisée depuis des milliers d’années qui reproduit par le sifflement la langue parlée par ses habitants, le castillan. Le sujet m'a beaucoup interessé et j'ai été fasciné car c'est une langue ancienne, poétique et drôle à la fois qui perdure aujourd'hui malgré la technologie. Je me suis documenté sur ce langage et j'ai commencé à écrire un scénario, mais ça ne m'a pas plu. J'ai donc mis cette idée dans un coin de ma tête. Je voulais faire un film où je pouvais utiliser ce langage dans un monde moderne. Dans notre société où tout le monde est hyper connecté ça me plaisait que mon personnage central ne puisse communiquer que par ce biais. Mais c'est surtout utile quand vous avez quelque chose à cacher...
AlloCiné : Vous avez travaillé avec un spécialiste ?
Tout à fait. Le langage sifflé fait partie du patrimoine de l'Unesco. Le Siblo est enseigné aux jeunes de La Gomera, il y a une vraie transmission. J'ai travaillé avec Francisco Correa, qui est professeur de Silbo espagnol. J'ai assisté à ses cours sur l'île et ensuite Francisco est venu en Roumanie afin d'enseigner la langue aux acteurs. J'ai moi-même tenté d'apprendre, mais il y avait beaucoup de travail et j'ai abandonné pour ne pas lui faire perdre de temps (rires).
AlloCiné : Le personnage principal, Cristi est un flic désabusé, c'est le même personnage que celui de "Policier, adjectif " sauf qu'il était idéaliste à l'époque. Pourquoi avoir décidé de reprendre ce personnage 10 ans après ? Pouvez-vous nous parler de son évolution ?
Après Policier, adjectif, j'ai gardé le personnage de Cristi en tête, et je me disais qu'il fallait que je poursuive son histoire parce que cette idéologie qu'il avait ne pouvait pas perdurer. 10 ans après, je me suis dit que c'était le bon moment pour le retrouver. Le monde a complètement changé et Cristi ne trouve plus sa place. Il a perdu sa vocation et commence à travailler avec la mafia. Il est désabusé et ne crois plus en rien.
Bien évidemment quand j'ai écrit le rôle j'avais Vlad Ivanov en tête, il fallait que ce soit lui qui reprenne son rôle. On a d'ailleurs discuté ensemble du trajet de son personnage. Mais je ne voulais pas faire trop de références à Policier, adjectif. Les Siffleurs n'est pas une suite, j'ai juste repris le personnage principal. D'ailleurs le style est bien différent, Les siffleurs est un vrai film noir.
AlloCiné : Il y a beaucoup d'humour dans votre film mais les acteurs sont toujours très sérieux et c'est ce qui donne ce ton particulier. Comment les préparez-vous lors du tournage ?
Je travaille beaucoup en amont avec mes acteurs. Je leur demande toujours d'être très sérieux même lorsqu'on tourne une scène absurde et qu'ils ont envie de rire. Il faut que les personnages soient sérieux car ils sont obsédés par leur présent, par les événements dramatiques qui se déroulent autour d'eux. C'est un peu ma signature mais c'est parce que c'est ce qui me plaît. Je m'inspire de Buster Keaton. Être très sérieux dans un monde où les situations peuvent faire rire. Et puis ça permet de mettre de la distance par rapport à l'histoire pour le spectateur. Ce côté terriblement sérieux, en toutes circonstances, donne la
touche absurde à mes films, et c'est ce qui me plaît.
AlloCiné : C'est la première fois que vous tourniez en dehors de Roumanie (Les Canaries et Singapour). Comment s'est déroulé le tournage ?
Tout à fait. Il fallait que le film se déroule sur La Gomera, il a donc fallu délocaliser. J'ai été un peu effrayé au début par l'ampleur du travail mais j'ai bien préparé le tournage en amont. Le budget n'était pas énorme et nous n'avions pas beaucoup de temps il fallait donc être très précis. Mais j'ai tourné avec mon équipe roumaine habituelle et ça m'a rassuré parce qu'on se connaît. Le plus étrange a été le tournage à Singapour parce qu'on devait filmer une séquence difficile dans un lieu où il y avait beaucoup de monde, ça a été un peu compliqué.
AlloCiné : Pensez-vous qu'il y a un renouveau du cinéma roumain qui s'opère depuis une dizaine d'années ? Une sorte de nouvelle vague roumaine. La présence de nombreux metteurs en scènes dans les prestigieux festivals en est la preuve non ?
C'est vrai que je fais partie d'une nouvelle génération de cinéastes, mais on a une manière très différente de faire des films. Chacun a un style différent. Mais je constate qu'il y a de plus en plus de jeunes réalisateurs roumains qui émergent. Ils font des films d'animation, des documentaires, des films de genre... On va vers un renouveau du cinéma roumain et c'est bien.
Propos recueillis à Paris le 18 décembre 2019.