Un enfant de la balle
Daniel Auteuil : "Je suis né à Alger de parents artistes lyriques. Comme personne ne pouvais me garder à la maison, ils m’emmenaient avec eux au théâtre. Donc j’ai littéralement grandi dans les coulisses, et au fil des années, j’ai tenu les rôles de bébés et d’enfants dans les pièces qu’ils produisaient. J’ai eu cette vocation car je les voyais rire lorsqu’ils partaient voir une pièce et rire à nouveau lorsqu’ils rentraient à la maison. Pourtant, quand je leur ai annoncé ma décision, ils ont tenté de m’en dissuader."
"De mon enfance à Alger, je garde beaucoup de souvenirs et notamment des artistes que j’ai vus sur scène : Michel Simon, Yves Montand... Quand j’ai tourné avec lui trente ans plus tard, mon regard n’avait pas changé, je le regardais encore avec la même admiration. Et puis c’est quand même quelqu’un qui a séduit Marilyn Monroe, et rien que ça... (rires)"
"J’ai commencé dans des comédies musicales comme Godspell et Charlie Brown, je jouais son chien Snoopy. C’est vous dire si je reviens de loin ! Quand on est provincial et qu’on monte à Paris, il est extrêmement compliqué d’intégrer le monde du cinéma car on ne sait pas qui aller voir. Alors que le théâtre c’est très simple, il suffisait d’attendre devant les entrées et de demander un rôle, ce que j’ai d’ailleurs fait avec Georges Wilson."
"Ma mère m’a aidé ensuite à intégrer ce monde. Quand le film Fortuna s’est tourné, elle a envoyé mon portrait à la production pour que je sois pris. Mais je n’ai pas eu le rôle. Quelques années plus tard, au hasard d’un dîner j’ai pu enfin croiser celui qui m’avait "piqué" le rôle : Frédéric Mitterrand (rires)."
Ses premiers succès au cinéma
"Mon premier succès cela a été avec Les sous-doués. C’est un film que je revendique car il a touché plusieurs générations de spectateurs. Si je suis encore reconnu aujourd’hui dans la rue, c’est grâce à ce film. Donc je n’en ai pas honte, au contraire, et d’ailleurs aujourd’hui on ne peut plus mépriser le succès, car c'est devenu quelque chose d’extrêmement rare."
"La seule fois où j’ai passé des essais dans ma vie c’était pour Jean de Florette. A l’origine, Coluche était pressenti mais il a préféré se retirer car il ne sentait pas légitime pour le rôle. A la demande des héritiers de Marcel Pagnol, Claude Berri s’est alors mis à la recherche d’un "acteur provençal". Du fait de mes interprétions au festival d’Avignon, j’ai décroché un rendez-vous avec lui mais j’ai été immédiatement recalé, car il me trouvait "trop beau" (rires)."
"Je suis rentré chez moi et j’ai commencé la lecture du livre, que je n’avais encore jamais lu. Dans les dix premières pages du roman, j’ai lu la description du personnage et pour correspondre j’ai décidé de me raser la tête. Quand Claude Berri m’a revu, il était ravi, mais il fallait encore le convaincre avec des essais filmés. "On va voir si tu joues aussi bien que t’es vilain maintenant" m’a-t-il dit. Le jour de l’audition, je n’avais pas lu le livre, Claude m’a donné comme indication de me souvenir que je tuais Jean de Florette. Alors j’ai joué la scène comme une tragédie avec l’accent provençal, mais j’ai quand même eu le rôle."
"Avant le succès que l’on connaît, il y a eu dix mois de tournage passionnants, avec des acteurs extraordinaires et la rencontre avec la maman de ma première fille (Emmanuelle Béart). D’ailleurs la scène où je l’observe en train de se baigner nue, pendant le tournage de mes gros plans, elle était doublée par un membre de l’équipe technique vêtu d’une écharpe de fleurs. Un type charmant avec qui on a bu beaucoup de pastis. Enfin bref grâce à ce type j’ai eu un César (rires)."
Rencontre manquée avec Maurice Pialat
"Après Jean de Florette, j’ai passé la plupart de mon temps à refuser les rôles. Mais un jour est venu Claude Sautet et je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté de l’occasion de travailler avec lui. J’ai beaucoup appris avec lui, c’est quelqu’un qui m’a donné accès à la parole car je suis quelqu’un de très mutique. Il enrageait par exemple que je ne lui pose aucune question sur le personnage. Mais la psychologie m’encombre. Pour moi, l’interprétation dépend de l’énergie, et le parcours du personnage ne m’intéresse pas, je préfère la surprise."
"Il y a aussi eu ma rencontre avec Maurice Pialat avec qui nous nous sommes préparés pendant neuf mois au tournage de Van Gogh. Berri m’avait appris à écouter, Pialat m’a, quant à lui, appris à regarder. Mais alors que s’annonçait le tournage j’ai eu l’occasion de réaliser un rêve en jouant à la Scala au festival d’Avignon et je ne le regrette pas car l’acteur qui a récupéré le rôle – Jacques Dutronc – a été extraordinaire !"
"Plus on travaille avec de grands cinéastes, plus le travail d’acteur est facile. C’est notamment le cas de Michael Haneke avec qui j’ai fait Caché, un tournage extrêmement simple. C’est quelqu’un de très précis, qui pense que le moindre détail peut sortir un spectateur de son film, d’où sa rigueur caractéristique."
"On a souvent écrit pour moi, je le reconnais, mais il y a aussi eu des hasard heureux. Comme par exemple quand Jean-Pierre Marielle a décidé de ne pas faire La Fille sur le pont."
Passage à la réalisation
"J’ai eu envie de devenir réalisateur en lisant Les Derniers jours de Charles Baudelaire de Bernard-Henri Lévy. Les images me sont venues alors que je le lisais, et après avoir tourné avec d’immenses réalisateurs, je commençais à me lasser et à ne trouver plus de rôles intéressants. Et puis c’était comme quand j’ai passé mon permis de conduire, si tous mes copains l’avaient, et bien pourquoi pas moi après tout ? (rires)"
"J’ai refusé énormément de rôles. Par exemple celui de Bienvenue chez les Ch’tis, que je n’ai pas pu faire parce que je tournais au moment Le Second Souffle d’Alain Corneau. Je ne regrette rien, on apprend ce métier en le faisant. Par exemple, j’ai beaucoup appris des mauvais films que j’ai tournés. Rencontrer le succès jeune m’a permis de me détendre, et d’apprécier ma notoriété. Je n’ai jamais eu de plan de carrière, j’ai toujours choisi mes films avec le coeur."
"Le cinéma français va très bien, et un festival comme Lumière permet de donner au public des références et de former les spectateurs de demain. Auparavant, il y avait des producteurs aventuriers venus de l’Europe de l’Est, mais je dirais qu’aujourd’hui le cinéma n’est plus aventurier."
"Nicolas Bedos s’est longtemps cherché : dramaturge, chroniqueur, il s’était construit cette image de personnage détestable. Mais c’est un auteur qui s’est révélé être un grand réalisateur. J’ai accepté de faire son film (La belle époque, présenté en ouverture du festival Lumière ndlr) en lisant son scénario. Vous savez, c’est vraiment très rare maintenant de tomber sur un très bon scénario."
Daniel Auteuil bientôt à l'affiche de La belle époque, le nouveau film de Nicolas Bedos :