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    Soeurs d'armes : Caroline Fourest voulait faire "un vrai film de guerre"
    Clément Cuyer
    Clément Cuyer
    -Journaliste
    Clément Cuyer apprécie tous les genres, du bon film d’horreur qui tâche à la comédie potache. Il est un "vieux de la vieille" d’AlloCiné, journaliste au sein de la Rédaction depuis maintenant plus de deux décennies passionnées. "Trop vieux pour ces conneries" ? Ô grand jamais !

    Rencontre avec la journaliste Caroline Fourest à l'occasion de la sortie de son premier film de fiction, "Soeurs d'armes", emmené notamment par Camélia Jordana et Amira Casar.

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    Le film de guerre Soeurs d'armes, en salles ce mercredi, raconte l'histoire de deux jeunes françaises, Kenza et Yaël, qui rejoignent une brigade internationale partie se battre contre Daesh aux côtés des combattantes Kurdes. Leur quête croise celle de Zara, une rescapée Yézidie. Issues de cultures très différentes mais profondément solidaires, elles pansent leurs blessures en découvrant leur force et la peur qu’elles inspirent à leurs adversaires.

    Rencontre avec la journaliste Caroline Fourest, qui signe ici son tout premier film de fiction, emmené notamment par Camélia JordanaAmira Casar et l'acteur britannique Mark Ryder.

    AlloCiné : Vous réalisez depuis longtemps, des documentaires, des courts métrages... Mais il a fallu attendre plusieurs années pour que vous passiez à la fiction...

    Caroline Fourest : J'ai fait un court métrage il y a quinze ans, sur une histoire d'amour entre deux filles, quelque chose de très personnel. Mais j'ai tellement été absorbée par l'urgence de devoir ferrailler contre la remontée des intégristes, de l'extrême droite, et puis tous mes livres... J'ai du différer mon envie de cinéma pendant toutes ces années-là. J'y reviens enfin.

    L'histoire de Soeurs d'armes s'est imposée à moi après les attentats de Charlie Hebdo car elle réunit toutes mes passions, toutes mes obsessions aussi, sans doute... Et en même temps, elle a cette force épique qui correspond au cinéma que j'avais envie de faire. C'est devenu une évidence. Quand on fait un film de cette ampleur, c'est lui qui prend le contrôle, qui, à un moment donné, dicte même vos pas. Ce film est devenu une obsession, je n'avais plus d'autre choix que de le réaliser.

    Pourquoi le sujet de "Soeurs d'armes" est-il si important à vos yeux ?

    Le combat des femmes est au coeur de tous mes engagements depuis toujours. C'est parce que je ne peux pas supporter qu'on veuille réduire, couvrir, opprimer ou martyriser le corps et la liberté des femmes que je me suis toujours lancée dans les batailles que j'ai menées toutes ces années. Quand j'ai vu ce que les djihadistes faisaient aux femmes yézidies, quand j'ai vu qu'ils les déportaient, les esclavagisaient, les vendaient comme du bétail, les violaient, et qu'en même temps des femmes se dressaient face à eux et les terrorisaient, car les djihadistes avaient peur d'être tués par des femmes, je ne pouvais pas du tout rester à l'écart de cette histoire.

    Cette histoire est devenue la catharsis de tous mes engagements. J'avais déjà fait des documentaires sur les intégrismes religieux, des écrits féministes, mais je voulais montrer tous les points de vues, être du côté des djihadistes comme du coté des femmes en guerre. Je voulais être dans la peau d'une yézidie et pas seulement une journaliste qui interviewe. Je ne voulais pas raconter l'histoire d'une survivante, je voulais être dans sa peau comme dans celles des combattantes kurdes qui allaient leur faire payer. Le cinéma permet tout ça.

    Voyez-vous ce film comme une mission ? Une manière d'éveiller les consciences ?

    C'est un peu ma façon d'être dans tout ce que je fais : je fais souvent les choses car j'ai l'impression que si personne ne les fait de cette façon-là, on va oublier, passer à côté, ou on risque de se faire submerger par la propagande totalitaire. Là, j'ai réellement eu le sentiment, comme journaliste, qu'on montrait beaucoup les images des assassins, que toute la jeunesse savait bien qui était Mohammed Merah, mais que les jeunes ne connaissaient pas les visages de tous ces volontaires de leur âge qui se sont engagés aux côtés des Kurdes et qui nous ont sauvés. De même que tout le monde a l'impression de tout connaître sur cette guerre, mais personne n'a vu des images de combats. Elles me manquaient ces images, j'avais besoin de les voir.

    J'ai été au contact de ces guerrières, de ces combattantes que j'ai rencontrées en Irak et dans la montagne de Sinjar, et je trouvais qu'elles étaient incroyablement romanesques. Il y a eu je ne sais combien de films sur la Guerre du Vietnam, et je pense qu'il y aura des dizaines et des dizaines de films sur cette guerre-là, car elle est infiniment plus complexe, romanesque et cinématographique. La Guerre du Vietnam est cinématographique, car c'est une guerre à l'ancienne, avec beaucoup d'artillerie, de blindés et d'hélicoptères. Mais ici, des gens sont partis combattre pour des motifs d'une noblesse absolue, car ils voulaient défaire un totalitarisme d'une saloperie absolue qu'ils ont combattu avec les moyens d'une guérilla et l'appui d'une coalition aérienne. Il y a un vrai combat symbolique, plus fort que dans une guerre classique.

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    Avez-vous effectué un gros travail de recherche pour ce film ?

    Je me suis rendu plusieurs fois au Kurdistan irakien, avant et après la bataille de Mossoul. J'ai rencontré à peu près tous les groupes de guerrières existantes. J'ai pu composer des personnages qui réunissent un peu des éléments de tous ces groupes, j'ai réuni les Kurdes sous un même drapeau. Chaque fois que je pensais avoir un peu forcé le trait pour les besoins de la narration, de la dramaturgie, je me suis surprise à être rattrapée par le réel. Chaque fois que je pensais avoir inventé quelques chose, on me racontait des anecdotes de guerre encore plus folles. Tout ce qui est le plus fou dans le film, c'est vrai. J'ai surtout inventé ce qui est resté le plus crédible.

    "Soeurs d'armes" est un film de guerre à hauteur humaine...

    Mon désir était de faire un vrai film de guerre, à la hauteur de ceux que j'aime, de mes références. Je n'avais pas envie de faire un film intello ou ennuyeux. Et en même temps, comme spectatrice qui aime ces films d'action, ces films de guerre, je suis parfois frustrée car les personnages ne sont pas très profonds, il manque un peu de profondeur politique. Or, cette guerre est très politique. J'ai essayé de faire passer un peu de cette profondeur par des situations et non de longs dialogues, par la complexité de mes personnages.

    L'émotion est amenée par ce qui arrive à Zara, qui justifie toute cette guerre. Tout est porté par les personnages et par les situations, et quand il y a un dialogue explicatif, il est fait sur le ton de l'humour. C'est tout un travail sur l'écriture pour essayer de divertir le spectateur et lui permettre de prendre conscience sans souffrir. Je veux que le spectateur qui aime les films de guerre s'éclate, ne soit pas déçu à ce niveau-là, et en même temps, quand il en sort, qu'il se pose plus de questions.

    On sent un vrai travail de pédagogie avec ce film...

    Depuis vingt ans, je travaille à essayer d'être pédagogue, c'est quelque chose que ne savent pas ceux qui ne me lisent pas, qui ne me voient que sur les plateaux. J'ai un crédo personnel : la pédagogie est un combat. Je pense que ça demande beaucoup de travail, mais qu'il faut être généreux dans son travail. Le minimum de la politesse et de la générosité quand on essaie de faire passer des idées, c'est justement d'être clair, fluide et accessible. J'ai beaucoup travaillé pour que les situations et les personnages amènent cette complexité sans qu'elle se sente, que ce soit tout en fluidité et douceur. Il y a beaucoup de réflexion narrative. Ce n'est pas un pamphlet, pas un monologue, pas une leçon de morale, c'est un film.

    La bande-annonce de "Soeurs d'armes" :

     

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