Mon compte
    Damon Lindelof : "Fuck you, je vais adapter Watchmen de toute façon !"
    Emmanuel Itier
    Emmanuel Itier
    -Correspondant
    Basé à Los Angeles, Emmanuel Itier accompagne AlloCiné sur les sorties américaines, en assurant interviews/junkets et couverture d’événements US.

    Créateur de "Lost, les disparus", Damon Lindelof s'attaque à un monument de la pop-culture en transposant l'univers de Watchmen dans une série HBO. Rencontre.

    HBO

    AlloCiné : Si l'on comprend bien le premier épisode de "Watchmen", il semblerait que la police soit traquée par des suprémacistes. Quel est le message et l’idée derrière cette série ?

    Damon Lindelof (showrunner) : Vous avez tout compris ! En fait, tout a commencé il y a 4 ou 5 ans en me plongeant dans les écrits du journaliste Ta-Nehisi Coates et son analyse des courants suprémacistes blancs. C’est la première fois que j’ai lu sur la révolte des noirs à Tulsa en 1921, que l’on appelle Black Wall Street. Franchement, tout ceci m’a mis mal à l’aise et m’a donné honte. C’était le début de mon éducation sur les problèmes de racisme aux Etats Unis. Et si vous vous souvenez des comics Watchmen, ils avaient un contenu politique très marqué. Je me suis donc dit que cela pourrait être intéressant d’écrire sur une société américaine en pleine crise. Je pense que nous sommes en pleine crise de racisme en ce moment, et cette série parle de ce malaise alarmant. Dans une série traditionnelle de super-héros, on aurait les bons se débarrassant des méchants. Mais avec Watchmen, je voulais montrer que l’on ne se débarrasse pas aussi facilement du racisme et des suprémacistes. Nous vivons véritablement à une époque de chaos et cela va nous prendre du temps pour nous en remettre… si l’on peut s’en remettre.

    "Watchmen" version série s'inscrit donc dans le monde dans lequel nous vivons ?

    Damon Lindelof (showrunner) : Ce n’est pas une représentation du monde actuel mais une vision prémonitoire de ce que notre monde pourrait devenir si nous laissons les choses déraper. Nous sommes comme un cheval de Troie, qui tente de pénétrer votre réalité pour vous faire voir un futur effrayant afin de réveiller votre conscience pour ne pas basculer dans cet extrémisme. Je pense que Watchmen est un show unique car il ne s’intéresse pas à déterminer qui sont les bons et qui sont les mauvais, mais il cherche à analyser la crise existentialiste que nous traversons, avec toute sa violence, afin de comprendre où nous risquons d’aller si nous ne prenons pas certaines mesures. C’est une série conçue pour réveiller les gens et leur faire prendre conscience du danger et de l’urgence du moment.

    HBO

    Il semblerait donc que vous vous soyez inspiré du ton de "Watchmen" mais en restant à distance du comic-book d’origine ?

    Damon Lindelof (showrunner) : Oui, c’est vrai que nous avons juste voulu garder l’état d’esprit du comic mais que nous avons pris un certain nombre de libertés par rapport à la création d’Alan Moore et de Dave Gibbons. Nous avons voulu offrir aux fans de ces génies une extension de leur univers. Nous voulions également créer un monde plus ancré dans le réel et parlant de thèmes auxquels nous pouvons nous identifier. Ceci dit, j’adore le comic-book d’origine et j’ai beaucoup de respect pour le talent de ses

    créateurs. J’espère qu’après avoir regardé les neuf épisodes de la première saison, vous aurez apprécié le défi que nous avons adoré relever avec l’adaptation de cet univers si particulier.

    Que diriez-vous aux fans qui risquent d’être critiques vis-à-vis de vos choix créatifs ?

    Damon Lindelof (showrunner) : Je n’en ai aucune idée. Ce que j’essaye de faire chaque matin quand je me réveille et que je mets au travail, c’est de me faire d’abord plaisir car c’est un travail beaucoup plus compliqué qu'on ne peut l’imaginer. Ensuite, c’est évident que je suis également un "fan" et je respecte donc le point de vue de tous les fans de telle ou telle série. Je pense que les fans aiment que l’on soit honnête et authentique avec ce qu’on leur offre, surtout quand on se met à adapter leur comic favori. Mais je sais aussi que le fans adorent être surpris. Et tant que cette surprise reste dans le contexte respectueux du contenu

    d’origine, je pense que les fans n’ont pas de problème avec telle ou telle liberté créatrice que nous avons voulu prendre. Dans tous les cas, que le fans sachent que je pense à eux car je suis l’un d’entre eux.

    HBO

    Le masque de "V pour Vendetta" est utilisé maintenant par de nombreux alter-mondialistes. Craignez-vous que les suprémacistes se mettent à revêtir le masque de Rorschach ?

    Damon Lindelof (showrunner) : Très bonne question. Je vous avoue que nous n’y avons pas pensé en écrivant cette série. Mais en même temps, nous avons tenté d’être sensible par rapport au sujet et aux thèmes abordés dans Watchmen car nous savons que cela peut devenir explosif. En fait, l’idée est de montrer que parfois, dans nos cultures, certains groupes s’approprient certains symboles, comme le masque de V, et l’utilisent parfois à des fins extrêmes. Ici Rorschach est mort et ce sont des suprémacistes du nom de "La Septième Cavalerie" qui s’approprient à mauvais escient son masque.

    Est-ce que vous avez eu en tête le fait qu’Alan Moore déteste que l’on adapte "Watchmen" pour le grand ou le petit écran ?

    Damon Lindelof (showrunner) : Tout à fait. Alan Moore est un pur génie et l’un des écrivains les plus talentueux de notre époque. Donc forcément, cela me gêne de savoir qu’il ne veut rien avoir à faire avec une adaptation de son travail. Et bien sûr, nous ne pouvons pas utiliser son nom pour promouvoir la série. Il n’a même pas voulu savoir ce que vous faisions malgré mes nombreux appels pour communiquer avec lui. Je respecte son point de vue et sa décision, mais cela m’attriste. Je pense que l’état d’esprit d’Alan Moore est un état d’esprit punk et rebelle. Si on avait dit à Alan Moore en 1984 ou 1985 qu’il ne pouvait pas adapter Superman ou Swamp Thing, il aurait dit à ses créateurs d’aller se faire voir. Et donc, en me mettant dans la peau d’Alan Moore, je luis dis : "Fuck You, je vais adapter Watchmen de toute façon !"

     

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Commentaires
    Back to Top