Le mercure dépasse gentiment les trente degrés à Berlin, en ce lundi de la fin du mois d'août, où nous attendent Orlando Bloom et Cara Delevingne, les deux stars de Carnival Row, la nouvelle série d'Amazon Prime. Une atmosphère qui tranche sévèrement avec les conditions de tournage, à Prague, où les températures étaient bien souvent négatives : "Je connaissais ma réplique mais je ne me souvenais plus de mon nom", nous explique la comédienne, sur un ton beaucoup plus chaleureux, à propos de la situation dans laquelle elle se retrouvait sur le plateau. "Mais ça vous incite à réussir la prise le plus rapidement possible, sans quoi vous risquez de geler." À quelques semaines du début du tournage de la saison 2, les deux acteurs sont revenus sur cette nouveauté fantastique et très actuelle.
AlloCiné : L'un des cartons de la bande-annonce dit que ce qui est "différent est dangereux". Qu'en pensez-vous ?
Orlando Bloom : C'est que nous commentons. C'est davantage une question : ce qui est différent est-il dangereux ?
Cara Delevingne : Le problème est que ce qui est différent n'est pas dangereux, mais que beaucoup de personnes considèrent tout ce qui n'est pas comme eux comme une menace. Au lieu de chercher à comprendre, elles qualifient de "dangereux", ce qui est plus facile.
Orlando Bloom : L'une des grandes forces de la série, c'est qu'en plus d'une belle histoire d'amour et d'un thriller policier noir, il y a tout un commentaire social sur la vie avec l'autre ou la crise des migrants en guise de fond. Et comme elle n'est pas adaptée d'un matériau déjà existant, nous pouvons aller dans la direction que nous souhaitons, donc Travis [Beacham, le créateur et co-scénariste, ndlr] en profite pour faire des parallèles avec ce qui se déroule dans le monde aujourd'hui, tout en créant une version fantastique de notre passé.
"Carnival Row" paraît donc ancienne, mais elle est très actuelle.
Cara Delevingne : Et elle me paraît d'autant plus pertinente en se déroulant à cette époque. Je trouve cela plus choquant.
Orlando Bloom : Je trouve que c'est plus sûr pour le public de voir cela à travers le prisme fantastique. C'est plus facile à digérer et vous pouvez être plus objectif, vous en détacher pour vous sentir plus à l'aise au moment d'analyser et faire naître des conversations autour des questions et problèmes actuels que nous soulevons dans la série.
Pensez-vous que le conte soit une forme plus puissante pour parler de notre monde que le drame ou le documentaire par exemple ?
Cara Delevingne : Je ne dirais pas que c'est plus puissant. Mais cela permet de toucher un public plus large, et ça le rend plus important. Il y a beaucoup de personnes pour qui l'ignorance est une bénédiction, pour qui il est plus facile de vivre dans un monde fantastique où tout va bien et où vous pouvez ne pas affronter la réalité de notre monde. Des gens moins enclins à se tourner vers un documentaire, alors que la forme de Carnival Row est beaucoup plus accessible et appréciable à regarder, tout en ayant le même message.
"Carnival Row" est un projet de longue date. Pourquoi a-t-il mis aussi longtemps à voir le jour ?
Orlando Bloom : C'était un scénario de long métrage qui a mis près de vingt ans à se concrétiser. Personne ne voulait en faire un film, et c'est un scénario qui figurait dans la toute première Black List, cette liste annuelle des meilleurs scénarios qui ne trouvent pas preneur à Hollywood. Ce sont toutes les difficultés qu'il a rencontrées qui ont fait que Travis s'est tourné vers Amazon pour en faire une série, et je trouve que cela fonctionne mieux ainsi.
Cara Delevingne : J'en viens même à être contente que le film n'ait pas vu le jour, car le résultat est bien plus pertinent maintenant, par rappport à ce qu'il se passe.
Surtout que "Carnival Row" nous montre un système au bord de l'effrondrement, tout en étant un bon exemple de la façon dont l'industrie du divertissement évolue, avec ce scénario de film transformé en série, de la même façon que le petit écran raconte de plus en plus les histoires que le cinéma n'ose plus aborder.
Cara Delevingne : Oui, car il paraît beaucoup plus difficile de faire un film aujourd'hui. Il n'y a de la place que pour les films à gros budgets, et quelques longs métrages indépendants qui parviennent à se frayer un chemin. Quand l'histoire est différente et, parfois, sujette à polémique, c'est beaucoup plus compliqué.
Y a-t-il eu beaucoup de changements dans le scénario par rapport à celui du projet de film ?
Cara Delevingne : C'était un tout nouveau script, qui a développé ce qui avait été écrit avant.
Orlando Bloom : Ils se sont emparés du patron original de Travis pour le faire évoluer de façon massive. Nous avons ici une histoire d'amour belle et sincère entre nos deux personnages, dont nous découvrons les univers respectifs, et nous croisons d'autres personnages que nous pouvons également suivre pour façonner le monde dans lequel se déroule la série, et c'est ce que j'aime avec ce format. C'est ce vers quoi nous allons davantage aller dans la saison 2.
Cara Delevingne : C'est ce que j'aime le plus ici, la façon dont les personnages s'entrecroisent, interagissent les uns avec les autres.
Ma principale crainte était surtout qu'il y ait assez à raconter sur les personnages
Quels ont été les plus gros obstacles au moment de faire la série ?
Orlando Bloom : Il y en a toujours beaucoup sur la saison 1 de n'importe quelle série, car il y a tout à construire. Carnival Row n'est pas une adaptation et, même s'il y avait un script, il y avait tout un monde à bâtir, des personnages à définir. C'est un processus qui a duré très longtemps car nous avons fait des reshoots sur les trois premiers épisodes. Amazon a, heureusement, semblé assez confiant pour nous permettre de faire ces changements, de la même façon que Game of Thrones le fait. Même si nous ne sommes pas Game of Thrones, nous sommes Carnival Row. Et c'était intéressant de replonger dans ce monde fantastique, par -6 voire -13 degrés à Prague, où nous tournions.
Cara Delevingne : Nous avons hâte d'y retourner (rires)
Vous a-t-il été difficile, en tant qu'acteurs, de vous engager sur une série qui pourrait durer pendant plusieurs saisons ? Le risque est-il plus grand que pour un film ?
Orlando Bloom : Ma principale crainte était surtout qu'il y ait assez à raconter sur les personnages. Surtout que j'ai un fils de 8 ans qui vit en Californie, et dont je serais éloigné pendant une longue période à cause du tournage. Je voulais donc m'assurer que tout ceci, tout ce projet, en valait la peine.
Qu'est-ce qui, concrètement, a changé lorsque vous avez remodelé les trois premiers épisodes ?
Cara Delevingne : L'ordre des événements a été quelque peu modifié.
Orlando Bloom : Et ce sont aussi des changements qui concernent l'ampleur du show, qui a été amplifiée.
Cara Delevingne : Il y a des scènes dont nous parlions à l'écran mais que nous ne montrions pas, et ils se sont dit que ça vaudrait le coup de les montrer. C'est le cas du naufrage [dans le premier épisode] par exemple.
Orlando Bloom : L'idée était aussi de davantage nous faire découvrir l'univers de la série à travers les yeux de Vignette ou Philo, et faire en sorte que l'ensemble paraisse plus épique.
Parce que les créateurs savaient que la série allait être renouvelée pour une saison 2 ?
Orlando Bloom : J'imagine que oui. Ils avaient confiance en ce que le monde pouvait devenir, ce qui est bon lorsque vous travaillez sur quelque chose d'aussi compliqué. Je me souviens d'avoir vu des choses avant que nous ne retournions sur le plateau, et je me suis dit que les reshoots rendaient l'ensemble plus massif. Et c'est parfois ce dont vous avez besoin lorsque vous tournez un film ou une série qui bâtit un monde entier : Peter Jackson tourne les choses trois fois, et il est de notoriété publique qu'il retourne faire des reshoots. Cela permet d'étoffer l'ensemble et de faire des corrections.
"Carnival Row" est une série qui détonne par rapport aux autres car prend son temps, et paraît même lente au début, là où beaucoup tentent d'aller vite.
Cara Delevingne : Cela tient au fait qu'Amazon privilégie la qualité à la quantité sur ses séries, et n'est pas dans cette idée de binge watching. Ses séries se rapprochent de ce que faisaient les films il y a plusieurs années : elles avancent de la même façon que la vie le fait, au lieu de fuser. Car la vie ne va pas aussi vite. Ou pas de façon naturelle. Surtout avec un récit situé à la même époque que Carnival Row, ça ne fonctionnerait pas. L'espace y est différent.
Que peut-on attendre de la saison 2 ? Et qu'espérez-vous y voir ?
Orlando Bloom : À partir du moment où vous avez apprécié la saison 1, vous vous intéresserez un peu plus aux autres personnages, dont j'espère en voir un peu plus, au même titre que l'histoire d'amour entre Vignette et Philo. C'est une relation nuancée, avec des choses que l'on peut explorer.
Cara Delevingne : Et j'ai le sentiment que nous avons à peine plongé dans cet univers, et que plus les épisodes avancent, et plus vous voulez en voir, car c'est vraiment beau. C'est un peu comme tomber amoureux : vous en voulez encore plus.
Orlando Bloom : Je pense aussi que la deuxième saison parlera autant de notre monde que la première, car c'est ce qu'il y a de stimulant avec cette série. Et Amazon nous encourage à repousser les limites, donc nous pouvons continuer à développer ce discours.
"Carnival Row" est visible depuis le 30 août sur Amazon Prime Video :