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    Vif-Argent : "Il fallait qu'une magie opère !"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Rencontre autour de "Vif-Argent", premier long métrage, distingué par le prestigieux Prix Jean-Vigo. Ce film singulier mêle réalisme et fantastique avec audace. Entretien avec le réalisateur Stéphane Batut et la comédienne Judith Chemla.

    Les Films du Losange

    AlloCiné : Vif-Argent mêle de façon assez surprenante, et rare dans le cinéma français, réalisme et fantastique. Quelle était votre intention en commençant ce film ? 

    Stéphane Batut, réalisateur : Entre ce que j'imaginais et ce que j'ai fait, il y a une marge, un hiatus. Ce qui me touche, chez Georges Franju par exemple, c'est qu'il n'y a presque pas d'effets de fantastique, c'est à dire que ce sont des choses insolites telles qu'on pourrait les voir en se promenant dans la rue. C'est un peu comme ça que je vois les choses. Celles qui m'interpellent sont celles qui ont en elle-même une sorte d'aspect surnaturel ou mystérieux ou étrange. Chez Hong Sang-soo par exemple, il y a aussi ces choses-là. Quand je parlais du film pour présenter le scénario, c'est un peu comme ça que j'en parlais, et au fur et à mesure, en avançant sur le découpage, je me suis rendu compte que je n'arrivais pas à raconter exactement l'histoire en me cantonnant à un naturalisme pur.

    Au fur et à mesure, en travaillant avec Céline Bozon [directrice de la photographie], en faisant des repérages, on s’est dit qu'on allait aller vers quelque chose de plus fictionnel dans la forme, plus artificiel même dans la lumière. C'est une voie dans laquelle je me suis engouffré avec plaisir, parce qu'il y a aussi des influences du mélodrame hollywoodien, même du cinéma muet, qui, pour moi, compte. La première cinéphilie que j'ai eu, c'est celle du cinéma de minuit. Dans mon trajet pour réaliser ce film, j'ai réussi à conciciler une envie de documentaire et quelque chose de très simple, très minimal, et une progression vers quelque chose de plus ample dans sa forme. 

    Judith Chemla, comédienne : Les sujets fantastiques, les mondes invisibles m'intéressent beaucoup. Gratter la couche du réel pur, tel qu'on le connaît, tel qu'il est référencé dans le cinéma, et d'aller au-delà, de rêver, d'ouvrir un peu les portes. Je trouve que ce film ne tombe dans aucun cliché dans les rapports humains. Tout est un peu une découverte dans la façon dont les personnages principaux s'aiment.

    La surprise que j'ai en voyant le film est plus forte que j'ai en le lisant. Je me disais que c'était un pari mais pour donner à croire à cette histoire, ce n'était pas gagné ! Il fallait que dans le traitement, il se passe quelque chose, mais c'était un pari. Il fallait qu'une magie opère et on ne peut déterminer si ça va arriver ou pas. Il y a une humanité incroyable dans ce film, tout le monde y est fascinant. 

    Bestimage

    Une autre force de ce film, ce sont les acteurs. Stéphane Batut, vous avez un passé de directeur de casting. Votre couple se marie parfaitement ensemble, et outre Judith Chemla dont on connaissait déjà le talent, vous découvrez Thimotée Robart qui est excellent alors qu'il s'agit de son premier film... 

    Stéphane Batut : J'ai été aidé pour le casting par deux amis qui sont directeurs de casting sur d'autres films, avec qui j'ai travaillé sur plusieurs projets [Alexandre Nazarian et Judith Fraggi]. L'envie d'aller chercher un inconnu n'est pas venue tout de suite, j'avais pensé à quelqu'un au départ pour jouer le rôle et ça n'a pas pu se faire. J'ai eu cette envie d'aller chercher un inconnu parce que je l'ai fait pour d'autres films, et c'est toujours très excitant de voir apparaître un personnage à partir de quelqu'un qui ne l'a pas fait jusque là, et qui vient avec son histoire personnelle. Il y a un côté magique que j'aime beaucoup.

    Thimotée [Robart] est arrivé peut être par contraste avec que je pouvais imaginer du personnage au départ. Quand je leur donnais des modèles de recherche, je pensais à Christopher Walken jeune, donc un garçon à la fois très secret, blond, un peu évanescent, presque surnaturel, et Thimotée a quelque chose de très solaire, de très terrien. C'est sa candeur, la pureté avec laquelle il disait des choses pas évidentes à dire, des mots d'amour qui peuvent très vite être mièvres, et la sincérité avec laquelle il le faisait, je dirai presque l'innocence, m'a convaincu plus que m'a ravi. Après une longue recherche, ça a été une évidence. 

    Les Films du Losange

    Judith Chemla : Il a une présence, il ne se regarde pas du tout le nombril. Il se laisse complètement regarder sans savoir où il va. Il se donne et ne veut pas spécialement faire ce métier. Ça donne une présence un peu brute comme ça. On a bien travaillé. C'était du travail. Ce n'est pas juste une alchimie parfaite et 'hop, ça marche' ! 

    Votre héroïne est campée par Judith Chemla qui a déjà beaucoup joué au théâtre et au cinéma. Comment l'avez-vous choisie ?

    Stéphane Batut : Judith, je la connais depuis longtemps. C'est une actrice extraordinaire, une des grandes actrices de sa génération. Je n'ai pas pensé à elle tout de suite car le garçon auquel je pensais était plus âgé, et dans le film, il faut une grande différence d'âge, que ça soit visible. Je la trouvais trop jeune, et Thimotée arrivant, je me suis dit que c'était possible. Je lui ai proposé et on a fait des rencontres. On a travaillé ensemble. On a fait des improvisations, je les ai fait chanter... Des choses qui permettaient au physique de se rencontrer, aux corps d'agir ensemble, car il y a quand même des scènes d'amour et je voulais voir s'il y avait une sorte de liberté possible. On a travaillé pas mal en amont.

    Les Films du Losange

    Cela doit être qui plus est assez particulier de jouer pour ces scènes fantastiques, avec les effets spéciaux…

    Judith Chemla : J'aime bien car ça donne un vrai cadre. Ce n'est pas juste réagir à une chose qui arrive vraiment. Il faut imaginer. Ça convoque beaucoup l'imaginaire. C'est très intéressant, ça provoque d'autres choses, mêmes plus fortes. Par exemple, jouer une scène d'amour quand l'autre n'est pas là. C'est beau, on joue avec nos propres fantasmes quand ce n'est pas juste réaliste. Stéphane Batut nous laisse beaucoup d'espace dans sa direction, il est très respectueux. Il laisse les choses arriver. C'est un peu un truc de soricer ! Il laisse l'espace pour que les choses arrivent.  

    Judith, avez-vous des tournages qui arrivent dont vous pouvez nous parler ?

    Judith Chemla :  A la rentrée, je vais tourner un film avec Thomas Ngijol. C'est une comédie que met en scène Emmanuel Poulain Arnaud. C'est son premier long métrage, et a fait des courts avant dont un très drôle qui s'appelle La Couille ! Je joue également dans le film d'Olivier Dahan sur Simon Veil. Je joue Milou, la soeur de Simone Veil. Je suis ravie et un peu impressionnée car il y a des parties à Auschwitz. Je vais également chanter à l'Opéra de Montpellier en juin prochain. Ca sera la première fois pour moi avec un orchestre. Je suis chanteuse lyrique mais c'est la première fois avec un si grand orchestre. je vais chanter Pelléas et Mélisande de Debussy. 

    La bande-annonce de Vif-Argent, à l'affiche ce mercredi 28 août :

    Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême 2019

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