Dark était la première série allemande de Netflix. Est-ce que vous vous attendiez à un tel carton ou est-ce que vous aviez peur d'être perdu dans la marée de séries disponibles sur la plateforme ?
Baran Bo Odar, co-créateur de Dark : On ne s'y attendait pas. Ma femme et moi, on s'attend toujours au pire. Et on ne pensait pas qu'une série sur les voyages de temps pouvait attirer autant. On était l'une des toutes premières séries internationales de Netflix. Il y avait une vraie pression, parce qu'ils voulaient prouver que ça pouvait marcher. Et ils nous ont fait confiance sur ce projet, qui n'était pas le plus évident sur le papier, d'autant que nous nous ne sommes pas des noms connus et reconnus, surtout pour les américains. Ce succès, c'était une belle surprise. Peut-être plus encore pour nous que pour eux.
Avez-vous dû américaniser la série afin de la vendre plus facilement ?
Non, on ne réfléchit jamais comme ça. On préfère partir sur quelque chose d'un peu hybride, et on fonctionne comme ça avec nos films aussi. Mais c'est amusant, parce qu'aux Etats-Unis, on nous dit que c'est très allemand, et en Allemagne, on nous dit que c'est très américain. Alors la vérité doit se situer entre les deux. On regarde de tout avec ma femme. Des séries américaines bien sûr, mais par exemple moi je suis obsédé par les films coréens. Mon but en tant que réalisateur, c'est juste de proposer quelque chose qui est visuellement fantastique. Il y a des films super bien écrits mais qui sont tellement mal filmés que je finis par décrocher. Je pense à Festen de Thomas Vinterberg. C'est un grand film, mais les images sont moches. J'aime trop les images, je veux que ce soit différent de ce que l'Allemagne peut proposer en général aussi.
Vous réalisez tous les épisodes. C'est un vrai pari !
A l'origine, on était plutôt partie sur l'idée que je réalise le premier et le dernier épisode, comme ça se fait beaucoup, mais pour des raisons de budget essentiellement, du fait de la structure de notre série, c'était trop compliqué. On est obligé de tourner en fonction des lieux de tournage, et pas en fonction de la chronologie des épisodes. Et si on voulait conserver une cohérence d'ensemble, il était préférable que ce soit toujours la même personne derrière la caméra. Ce n'était pas difficile pour moi de l'accepter de toute façon, j'adore tourner. Tout comme c'est essentiellement ma femme qui a écrit tous les épisodes, accompagnée de quelques scénaristes. On avance d'une seule et même voix.
La série est complexe, est-ce qu'il y a des moments où vous vous êtes vous-même senti perdu ?
C'est arrivé, mais pas autant que beaucoup d'autres gens ! Nous avons affiché dans nos bureaux les différents arbres généalogiques pour les avoir bien en tête. En saison 2, c'était plutôt facile pour nous en réalité. Une fois que les régles sont clairement posées. C'était plus compliqué pour les nouveaux membres de l'équipe, qui nous posaient beaucoup de questions. J'essayais de leur montrer que c'était très simple en fait ! Et puis ma femme est très intelligente. Je lui fais souvent la blague mais je pense que dans une autre vie elle aurait pu être un serial killer. Elle a son tableau où elle relie tous les personnages, toutes les connexions... ça nous a bien aidé.
Au lancement, la série était souvent comparée à Stranger Things, peut-être en raison du timing de sa sortie. Pour moi, la comparaison était surtout avec Lost. L'une et l'autre faisaient partie de vos références ?
Lost faisait partie de nos références, pas Stranger Things, tout simplement parce qu'au moment de l'écriture de Dark, on ne la connaissait pas encore. On a terminé le tournage de la saison 1 lorsque la série est sortie. Quand on a vu la bande-annonce, on a tout de suite vu la similarité. On a compris qu'on avait les mêmes références que les frères Duffer en réalité. On fait partie de la même génération. On a tous été biberonnés à Stephen King et ça se ressent dans les deux séries.
Concernant Lost, on a adoré la série, même si elle nous a perdus passé la 3e saison. C'était un show brillant, le marketing autour aussi. Les nombres que l'on pouvait taper sur internet, qui nous envoyaient vers de faux sites... Tout ça était fascinant et avec ma femme on en était fous. On passait nos nuits à lire des théories sur internet. On avait envie de quelque chose de comparable, un mystère, des surprises, des fausses pistes, des révélations... Certaines réponses ont été décevantes malheureusement. On pouvait voir qu'ils avaient construit tout ça au fur et à mesure. Et je fais partie de ceux qui n'ont pas aimé la fin. Je ne pouvais pas croire que c'était aussi simple.
La bande-annonce de la saison 2 de Dark
Les voyages dans le temps, c'est toujours compliqué à gérer, surtout sur un format série. C'est peut-être à partir de là que Lost a commencé à dérailler. Quelle leçon vous avait retenue pour Dark ?
Qu'il fallait absolument donner des réponses aux téléspectateurs et au bon moment. Lost en a donné beaucoup, parfois trop tard, et en a laissé aussi plein de côté. On s'est dit qu'il fallait que l'on réponde à tout. La saison 2 pose de nouvelles questions, sinon ce ne serait pas drôle. Mais elles trouveront des réponses.
Est-ce que vous avez mis plus de temps à concevoir cette 2e saison ?
Moins de temps en réalité, même si ça ne donne pas cette impression. On a eu moins de temps d'écriture et de tournage que pour la saison 1. Netflix la voulait le plus rapidement possible. C'est une série trop complexe pour écrire tout en commençant le tournage. Il faut tout écrire avant de pouvoir commencer à tourner. Et puis le succès nous a mis plus de pression, c'est certain. On a dû passer trois semaines à ne pas savoir quoi faire. On était figés. Notre solution, ça a été de se dire "Faisons comme si personne n'avait vu la saison 1." On est très fiers du résultat. Et si le monde ne l'aime pas, tant pis. Mais nous on pense que la saison 2 est encore meilleure que la première. Elle est différente. Elle est plus complexe encore.
La saison 3 sera la dernière ?
Oui, c'est une autre leçon que Lost nous a apprise : il ne faut pas faire durer trop longtemps une série à mystères. Trois saisons, c'est suffisant pour raconter notre histoire.
Netflix a lancé une autre série originale allemande, How to Sell Drugs Online Fast. Est-ce que vous sentez un renouveau de la série allemande depuis Dark ?
Oui, très clairement. Dark a poussé Netflix à investir davantage dans les séries internationales. D'autant que ça a été un gros succès aux Etats-Unis et ils ne s'y attendaient pas du tout. Ils ont compris que ça valait le coup et que ça devait même faire partie de leur business plan pour les années à venir afin de les aider à grossir Quant à l'Allemagne, Netflix est une belle opportunité aussi. Mais ça a montré que le genre pouvait fonctionner aussi chez nous. Jusqu'ici, on ne faisait que de la comédie et du polar. Le thriller, la science-fiction et l'horreur n'existaient pas.
Vous venez du cinéma, aujourd'hui vous faites une série. Quel regard vous portez sur le cinéma en ce moment ?
Je suis allé vers les séries parce que le cinéma m'ennuie. Je le trouve déprimant. Tout est prévisible, tout est dirigé en fonction de l'intrigue, jamais en fonction des personnages. C'est l'inverse à la télévision. Mais le cinéma redeviendra formidable, j'en suis sûr. Il trouvera un nouveau souffle.
Propos recueillis lors du Festival CANNESERIES en avril 2019