On ne le répètera jamais assez. Le prix humain de la Première guerre mondiale, guerre totale, fut terrible : environ 18 millions de morts, et près de 21 millions de blessés. Pourtant, à côté de cet effrayant bilan humain, on oublie hélas volontiers le prix payé par les animaux durant cette guerre. Qui fut tout aussi tragique.
Un grand nombre d'animaux furent utilisés par les belligérants lors de la Première Guerre mondiale, principalement des équidés pour le transport et la cavalerie, des chiens pour le transport et la transmission des messages, ainsi que des pigeons voyageurs. Dans une Europe encore largement paysanne, soldats et officiers vont vivre pendant ces années de guerre largement au milieu des bêtes qui seront victimes en nombre du conflit; certaines apportant aussi du réconfort aux soldats, comme les mascottes. Au total, plus de 11 millions de chevaux, d'ânes et de mules seront tués pendant la guerre.
On estime que 100 000 chiens environ ont été employés par les différents belligérants durant le conflit. De fonctions habituelles, mascotte d'une unité ou chien ratier, ils serviront également d'estafette pour transmettre des messages, de chiens de transport, pour tirer des lignes de téléphonie entre les tranchées ou repérer des blessés sur le champ de bataille.
C'est dans ce cadre que s'inscrit l'histoire émouvante et surtout 100% authentique de Stubby, le très joli film d'animation sortant en salle ce mercredi, et réalisé par l'américain Richard Lanni. Son histoire reste largement méconnue du grand public. De sa triste condition de chien errant dans la ville de New Haven, ville portuaire du sud-centre de l'État du Connecticut, aux États-Unis, Stubby devint la mascotte du 102e régiment d'infanterie américaine qui parti combattre en France en 1917. Par sa bravoure, sa capacité à détecter des attaques au gaz, à repérer les blessés, toujours sous le feu, Stubby fut même promu au grade de sergent, devenant le premier chien gradé de l'armée des États-Unis. Il fut l'animal le plus décoré de l'Histoire.
Ci-dessous, la bande-annonce du film Stubby, qui est notamment porté par Gérard Depardieu qui prête sa voix à un combattant français haut en couleur ..
En avril dernier, nous avons eu le plaisir dde nous entretenir un moment avec Richard Lanni, réalisateur de films documentaires historiques, qui souhaitait avec le film animé Stubby toucher un plus large public, en particulier, bien entendu, les enfants. Rencontre chaleureuse avec un homme francophone et francophile.
AlloCiné : Vous êtes producteur associé de la Fondation du Musée national de l'Infanterie de Fort Benning en Géorgie. Vous avez beaucoup travaillé sur la Seconde guerre mondiale. Avec "Stubby", c'est donc la Première guerre mondiale en toile de fond. D'où vient ce goût pour l'Histoire et surtout ces guerres mondiales ?
Richard Lanni : En fait, j'ai acheté une maison de vacances en Normandie, située près des plages du Débarquement. J'ai aussi un ami qui est guide de batailles. Je baigne toujours dans l'Histoire. Mais je trouve qu'il y a un problème avec elle. Il y a une énorme quantité de documentaires sur une multitudes de sujets. Mais beaucoup sont trop secs. Or je trouve qu'il est important qu'il y ait des choses plus dynamiques et accessibles pour les enfants. J'ai notamment fait une série de documentaires consacrés à la Seconde guerre mondiale, The American Road to Victory, qui relate trois épisodes de la Seconde Guerre mondiale en Europe [NDR : le Débarquement allié en Normandie, l’Opération Market Garden en Hollande et la bataille des Ardennes] du point de vue des G.I [NDR : À ce jour, The American Road to Victory est la série traitant de la Seconde Guerre mondiale la plus diffusée à la télévision américaine, avec plus de 6.000 diffusions depuis 2012]. C'est en faisant des recherches dans le cadre d'un documentaire sur la Première guerre mondiale, pour son centenaire, que je suis alors tombé sur l'histoire de Stubby. Je me suis dit : "ca c'est un vrai cadeau !". L'Histoire, c'est quelque chose de très, très important. Tous les jours, vous pouvez faire des parallèles avec la situation actuelle, des connexions avec le monde dans lequel on vit.
Puisqu'on parle de la Première guerre mondiale, quelle est justement sa place dans la mémoire collective américaine ?
Malheureusement, elle est très oubliée, contrairement à l'Europe, où son souvenir reste encore très vivace. Je pense d'ailleurs que l'histoire de Stubby a pu justement aidé aux Etats-Unis à raviver un peu la curiosité à l'égard de cette période, en proposant une histoire adoptant le point de vue du chien. Le film a d'ailleurs été retenu par la Commission américaine du Centenaire de la Première Guerre mondiale. On a aussi reçu le soutien de la Fondation du Musée national de l’Infanterie, et de la Mission du Centenaire [NDR : équivalent français de la Commission américaine du Centenaire de la Première Guerre mondiale]. Je voulais que l'approche de mon film soit transgénérationnelle. Que son histoire puisse susciter la curiosité des adultes, comme celle des enfants, et donc proposer plusieurs niveaux de lecture.
Si l'histoire de Stubby est très méconnue en France, j'imagine quand même qu'elle l'est nettement plus aux Etats-Unis, non ?
Pas tant que ça en fait, alors qu'il fut pourtant l'animal le plus célèbre aux Etats-Unis à l'époque. L'animal est d'ailleurs naturalisé et derrière une vitrine, au Smithsonian Institute à Washington DC, depuis son décès en 1926. J'ai retracé son parcours en me rendant dans les lieux qu'il avait arpenté en France sur la ligne de front, comme le Chemin des Dames, les champs de batailles du Nord; à Château Thierry aussi [NDR : Château-Thierry a été l'un des points clés durant les batailles de la Première Guerre mondiale en 1918, entre les troupes américaines et les troupes allemandes. Le 1er juin 1918, durant la troisième bataille de l'Aisne, la 10e division d'infanterie coloniale et la 2e division d'infanterie américaine arrêtent l'offensive allemande]. Ce qui est intéressant d'ailleurs, c'est que dans ces lieux, beaucoup de gens connaissent l'histoire de ce chien, qui a marqué l'Histoire locale. J'ai aussi fait beaucoup de recherches dans les bibliothèques de l'Etat du Connecticut, une grosse quantité d'archives, notamment celles du Smithsonian Institute... J'ai également contacté le petit fils de J. Robert Conroy, celui qui avait recueilli Stubby, qui avait de nombreuses histoires à son propos racontées par son arrière grand-père.
Pourquoi le choix de raconter l'histoire de Stubby sous la forme d'un film d'animation au lieu d'un film Live ?
Tout simplement parce qu'un film d'animation permet vraiment de toucher un plus large public, ce que n'aurai pas forcément donné un film tourné en live sur ce sujet. J'ajoute que la Première guerre mondiale est un cadre sous exploité dans ce domaine, alors qu'il représente un beau sujet. Avec un film d'animation, on contrôle son environnement, on a un chien qui ne parle pas. Dans de nombreux films d'animation actuel, les animaux parlent. Pas dans le mien. Il parle avec son attitude, son expressivité, ses yeux, ses émotions. Je ne voulais justement pas que le film bascule dans le cartoon.
Avec le langage du film d'animation, on pouvait rester dans une sorte de semi réalité qui était d'autant plus adaptée qu'on est dans un contexte de guerre "dure". Amuser et montrer un contexte violent à travers les yeux d'un chien permettait de créer un film avec beaucoup d'émotion et de sensibilité. Car Stubby, c'est bien sûr l'histoire de ce chien et de sa relation avec celui qui l'a adopté, mais c'est aussi l'histoire de cet homme sorti du fin fond de sa campagne et jeté sur le front d'un combat lointain, et les liens de camaraderie qu'il a noué sur le front.
Quelle est ou quelles sont la / les difficulté(s) qu'on rencontre lorsqu'on fait un film d'animation historique à l'adresse des enfants ?
C'est effectivement un vrai défi. J'avais comme référence en tête un livre de John Steinbeck, qui fut correspondant de guerre : Il était une fois la guerre [NDR : ll était une fois une guerre, publié en 1958, est un recueil d'articles écrits par John Steinbeck alors qu'il agissait en tant que correspondant de guerre pour le New York Herald Tribune entre juin et décembre 1943]. Ce qu'il écrit dans son ouvrage sont des témoignages de faits réels, mais il ne fait pas de rapports des événements comme les batailles ou autre au sens strict du terme.
Ca été compliqué de choisir les moments clés chronologiques dans votre récit ? Y'at-il une part qui relève de l'imaginaire ou êtes-vous parti d'éléments factuels toujours authentiques ?
Il faut savoir que Stubby a fait quatre campagnes, et a participé à pas moins de 17 batailles. Je ne pouvais évidemment pas tout mettre dans mon film, sinon on avait un film de 5h à 100 millions de dollars ! Du coup, l'idée était de mélanger parfois certains événements. Par exemple lorsque les habitantes de Château Thierry confectionne un manteau pour Stubby pour le remercier, qui a été mélangé avec la séquence du Chemin des Dames. Cela dit, on est resté à 90% authentique dans les événements du récit. On voit par exemple à un moment donné Patton croisant Stubby. On ne sait pas si cette rencontre a vraiment eu lieu, mais on sait que Patton était bien présent à la bataille de Saint-Mihiel, où il commandait les équipages américains de chars Renault. Donc, pourquoi pas ?
Vous aviez une idée précise au départ de l'approche visuelle de votre film ?
Absolument. Un mélange de 3D, avec des séquences en 2D, qui concernent les remises en contexte historique nécessaires pour comprendre où on est, et pourquoi. Cela dit, au début, la 3D me faisait peur, parce que le rendu de la lumière est très violent; les scènes sont souvent surexposées. Donc je voulais en quelque sorte compenser cela en mettant dans le film un aspect patiné, plus doux. Un peu comme les anciens Disney que j'adore, de la période de Blanche-neige. Au-delà de ça, la 3D permet de créer de formidable mouvement de caméra avec une importante profondeur de champ, impossible à faire en 2D. Je pense ici à la séquence où Stubby pourchasse dans les tranchées les rats.
Parlez-nous du savoureux personnage de Gaston, le soldat français à la carrure de colosse, mais à la voix douce, ancien cuistot, qui est doublé par Gérard Depardieu. Un personnage très attachant. Quand on connait la nature du comédien, réputé très bon vivant, on se demande à quel point vous avez créé ce personnage d'après son modèle vivant !
(Rires) En fait, dans les premières versions du film, ce personnage n'apparaissait pas, et ca ne fonctionnait pas du tout. Conroy apparaissait comme un personnage trop timide, sans trop de caractère, sauf si on mettait beaucoup de gags, ce qu'on ne voulait pas faire. C'était important de mettre un soldat français à côté de lui. Quand le personnage de Gaston a été créé, celui qui allait l'incarner relevait pour moi de l'évidence. Ce ne pouvait être que Gérard Depardieu ! Il aime manger, boire, c'est un poète... Il s'est impliqué d'ailleurs très rapidement sur le film; il a signé à la lecture du scénario. Il a enregistré sa voix très en amont, donc elle a servi pour créer le personnage.
C'est vrai qu'il a une voix très douce dans mon film, chaleureuse, qui contraste avec sa carrure. En anglais, on dirait que c'est un "Gentle Giant" - un gentil géant. C'est un personnage qui a une profonde humanité en lui, alors qu'il connait les pires épreuves depuis les quatres années de guerre. Je tiens aussi à dire que Gérard a aussi fait la voix en anglais de son personnage, en jouant un peu sur le cliché du français ne parlant pas très bien anglais, pour les américains. Je trouve son doublage en français formidable, parce qu'on sent vraiment la lassitude et la fatigue chez le personnage.
Puisque l'on évoque le doublage vocale, comment est venue Helena Bonham Carter sur le projet ? Comment l'avez-vous convaincue ?
Très simplement; elle a aussi accepté tout de suite ! Il faut dire que c'est une période qui lui parle intimement. Son arrière grand-père était Herbert Henry Asquith, qui fut Premier ministre du Royaume-Uni au début de la Première guerre mondiale. Ca été un vrai bonheur de travailler avec elle; c'est quelqu'un de très facile.
In fine, j'ai lu que votre société de production a mis en place des partenariats avec des organismes de protections des animaux, autour de la promotion du film. Pouvez-vous en parler ?
Bien sûr ! C'est une chose dont je suis aussi très fier. Nous avons mis en place aux Etats-Unis des partenariats avec 90 organismes qui s'occupent d'animaux, pour des opérations concernant l'adoption de chiens. Stubby, c'est un chien des rues. Il y a cette volonté de transmettre une mémoire et des valeurs positives, et profiter de l'opportunité qu'offre le film pour sensibiliser les gens à la question de l'abandon des animaux et la nécessité de prendre soin d'eux.