Certains noms sont porteurs d’un imaginaire singulier. Mentionnez David Lynch et on voit immédiatement d’étranges paysages mentaux et oniriques teintés de bizarrerie. Énoncer David Simon et c’est au contraire une vision plus pragmatique, politique et social qui vient à l’esprit. Avec Ryan Murphy, on sait que ce serait excès et mauvais goût. Avec Shonda Rhimes, du soap ascensionnel sur-vitaminé. A priori Craig Mazin (créateur et scénariste de Chernobyl) n'évoque rien de particulier. Un coup d’oeil à sa filmographie nous met sur la voie : Scary Movie 3 et 4 ; Very Bad Trip 2 et 3 ; Le Chasseur et la Reine des Glaces. Soit des gros machins parodiques pas très fins ou du divertissement sans âme. Et c’est le même qui fait aujourd’hui Chernobyl, fiction âpre, minimaliste, anxiogène et sobre ? Étonnement, oui. On ne l’aurait pas parié et le résultat est à la hauteur de la surprise.
Une plongée immédiate dans le coeur de l'incident
Dans la nuit du 26 avril 1986, un incident a lieu dans le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Ce n’est pas un exercice de sécurité. Une augmentation de la puissance a entraîné la fusion du coeur conduisant à une explosion. La suite appartient à l’Histoire : plus grande catastrophe nucléaire du XXe siècle ; premier accident classé au niveau 7 sur l'échelle internationale des événements nucléaires (le second sera Fukushima). Mais sait-on vraiment ce qui s’est passé ? La série n’entend pas percer un grand mystère mais de représenter l’histoire sous un angle plus révélateur.
Passé un prologue qui donne assurément le ton (glacial et implacable), l’incident a déjà eu lieu quand démarre le premier épisode. Pas d’exposition, de présentation des personnages, de (faux) suspense mais une urgence immédiate et une réactivité nécessaire face à ce qui semble encore un peu nébuleux. Cela donne à la série un côté immédiatement austère et froid, voire dépassionnée. Et place le spectateur dans une position similaire à ceux découvrant au fil des minutes l’ampleur et les conséquences de la catastrophe.
Un traitement froid et implacable
A ceux qui imaginaient qu’une série anglo-saxonne allait forcément privilégier l’émotion, ce premier épisode leur donne tort et prend l’exact contre-pied. Principale illustration de cette tendance : la musique. Ou plutôt l’ambiance sonore. Quasi omniprésente, elle impose une nappe constante, électronique qui souligne le sentiment anxiogène qui accompagne les abords de la catastrophe. Elle plonge le spectateur dans un effet de sidération malade et inconfortable. Ajoutée à une image qui entend ne rien épargner, jusqu’aux effets les plus gores de la radiation et on se retrouve avec une oeuvre dure, froide et austère (un peu à l’image de ce que dégage le bloc soviétique).
Enfin il y a l’aspect plus politique de la gestion de la catastrophe et de l’ingérence gouvernementale plus (pré)occupée à maintenir la grandeur supposée qu’admettre un échec. S’il existe toujours le dilemme de révéler au public les motifs d’une catastrophe au risque de créer la panique, ici, il est seulement question de garder la face et minimiser l’impact de l’incident, même quand tout autour, la nuit brille étrangement et que les hommes tombent comme des mouches. Il faut dire que la question nucléaire, à l’époque, est encore obscure pour le plus grand nombre et rares sont ceux qui comprennent les dangers d’un tel cataclysme. Après tout, n’a-t-on pas dit que le nuage radioactif s’était arrêté à la frontière et que les français ne risquaient rien (même s’il a fallu temporairement s’abriter) ?
Un danger invisible
Une autre image forte de ce premier épisode est justement un nuage, aux abords d’un groupe d’immeubles. La ville de Pripyat a été construite pour servir de dortoir aux employés de la centrale. Ce nuage qui quitte la centrale pour s’éloigner paraît totalement inoffensif et pourtant il abrite la plus grande des menaces. En dessous, des hommes, femmes et enfants vaquent à leurs occupations. On pense alors à Phénomène de M. Night Shyamalan qui avait fait du vent la source de toutes les peurs. Car la radioactivité, comme les spores du film, se propage de façon invisible, condamnant ainsi des milliers de personnes à une terrible fin. Aujourd’hui, cette région d’Ukraine est encore interdite d’accès en raison de son taux de radioactivité. Si la faune et la flore ont en parti récupéré les lieux, ce paysage fantôme est toujours ce stigmate de la folie des hommes et un vestige de ce qui pourrait attendre notre civilisation si on ne fait pas attention.
La catastrophe de Tchernobyl a-t-elle servi d’exemple ? Pas sûr, quand on sait que le pays qui abrite le plus de centrales nucléaires est sujette à des tremblements de terre. Peut-être que cette mini-série peut, une nouvelle fois, attirer l'attention sur les dangers du nucléaire et le besoins, de plus en plus urgent, d'en sortir progressivement. Après tout, c'est l'une des forces de la fiction que d'être plus efficace que n'importe quelle politique...
Chernobyl est diffusée sur OCS, un épisode par semaine.