Il y a tout juste 30 ans, le 30 avril 1989, disparaissait prématurément, à l'âge de 68 ans, un homme qui a laissé une empreinte indélébile dans le cinéma italien -et le cinéma tout court-, Sergio Leone, laissant orphelins des millions de cinéphiles. Le cinéaste était sur le point de voir concrétiser un projet qu'il carressait depuis des années. Des décennies même : réaliser un film ayant pour toile de fond le terrible siège de Léningrad, durant la Seconde guerre mondiale. L'anniversaire de son décès est justement l'occasion de revenir sur ce projet qui aurait sans doute été, on l'imagine, dantesque...
Sergio Leone travailla ainsi à une adaptation du roman The 900 Days : The Siege of Leningrad, écrit par Harrison E. Salisbury et publié en 1969, qui relate l'hallucinant siège de la ville par les troupes nazis sur le front de l'Est. Un siège qui dura de 1941 à 1944 et qui fit, côté russe, environ un million de morts de faim, 350.000 soldats tués et plus de 110.000 disparus. C'est dire le terrible prix humain payé par les Soviétiques et la population civile. Le récit devait être vu et raconté à travers les yeux d'un photographe américain piégé dans la ville au début des combats, et qui devait être joué par Robert de Niro, que le cinéaste dirigera dans son sublime Il était une fois en Amérique. Le photographe vit alors une passion amoureuse et clandestine avec une femme russe, tandis que les deux se battent pour survivre à l'enfer du siège, au milieu des décombres et de la famine qui frappe les habitants. Le dénouement de l'histoire était funeste : le photographe était tué le jour de la libération de la ville....
Leone s'intéressa au roman dès sa parution en 1969, peu de temps après avoir achevé son Il était une fois dans l'Ouest. S'il semble que le script de ce projet ne fut jamais terminé, Leone avait apparemment déjà une idée de l'ouverture de son film, très "leonienne", comme dans ses westerns. Il voulait commencer par un gros plan sur les mains du compositeur russe Shostakovich jouant sa "symphonie pour Leningrad". Avant que la caméra n'élargissent le champ et laisse place à des civils et soldats russes armés, puis balaye une tranchée russe où se tiennent des défenseurs de la ville. La caméra se hissant alors pour aller filmer l'immense steppe enneigée à l'extérieur de la ville, où se massent des centaines de chars Panzers allemands qui se lancent à l'assaut de Leningrad. Vu le sens et le génie de la mise en scène de Leone, on a des frissons rien qu'en lisant la description de ce plan-séquence, décrit en intégralité ici par le maître lui-même.
Ci-dessous, un petit extrait d'un film de propagande sociétique sur le siège de Léningrad. Un million de civils moururent de faim...
Leone se rendit même dès 1971 en URSS pour faire des repérages, estimant que ce film ne pouvait être tourné ailleurs qu'à Leningrad même. Mais les Autorités soviétiques d'alors -on était en pleine Guerre Froide- étaient inflexibles sur leur refus. Il est d'ailleurs intéressant de noter qu'il a fallu attendre la période de Glasnost ou dégel lancé par Gorbatchev pour que les Autorités soviétiques s'assouplissent un peu plus : Il était une fois en Amérique fut en effet le tout premier film du cinéaste à être projeté en URSS.
Leone dû attendre 1989 pour réunir enfin la somme très (très) élevée nécessaire au tournage du film, qui était alors de 100 millions de dollars, tandis que l'oeuvre devait être une coproduction américano-soviétique. Mais Leone mourut d'une crise cardiaque à 68 ans, deux jours avant de signer le deal devant lui permettre de réaliser -enfin- ce vieux rêve de film. Quel signe tragique du destin...