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    Mais vous êtes fous : "Plus je t'aime, plus je te contamine"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Céline Sallette et Pio Marmaï forment un couple à l’épreuve de la question de l'addiction et de la contamination, dans "Mais vous êtes fous", premier long métrage de la journaliste, romancière et scénariste Audrey Diwan. Rencontre.

    Manuel Moutier

    Vous êtes journaliste et romancière à la base. Pourquoi cette histoire a suscité en vous le désir d'en faire du cinéma et non pas en littérature. Comment avez-vous abordé la technique du cinéma ?

    Audrey Diwan, réalisatrice : J'ai plutôt écrit des films ces dernières années, donc ça donnait une appréhension de ce qu'était le milieu du cinéma. D'autant que souvent après avoir écrit des films, j'ai voulu tourner le making of, de sorte à être sur le plateau et de voir de manière empirique ce qui importait au cinéma, tous les endroits où ça peut bien se passer, et aussi tous les endroits où des obstacles surgissent.

    Cette histoire est née d'une rencontre. Un jour, j'ai rencontré la femme dont c'est l'histoire. C'est une histoire que j'ai beaucoup fictionnalisé depuis, mais au départ, j'ai rencontré une femme par hasard par le biais d'une amie qui m'a dit, quand on s'est retrouvé toutes les deux : "Tu as de la chance d'avoir tes enfants, toi". Elle m'a raconté son histoire. Elle était au beau milieu d'un drame. Elle me disait qu'une semaine plus tôt, elle avait une vie qu'elle qualifierait de normale, et m'a dit qu'elle avait découvert que son mari souffrait d'une addiction. On lui a retiré ses enfants, voire il y avait un doute qu'elle ait pu participer, elle, à cette histoire qui d'un point de vue juridique avait une importance. Qu'elle ait pu participer volontairement au fait que tout le monde puisse être contaminé dans la famille. J'étais d'abord face à quelqu'un de sidéré, vraiment troublé, et de très bouleversant. Et puis, aussi, face à quelqu'un qui parlait de son conjoint, non en le jugeant, en tout cas en ne faisant pas que ça. Mais en essayant de comprendre d'abord tout ce qu'elle même n'avait pas vu, et puis tout ce qu'il devait traverser lui aussi.

    Je l'ai rencontrée en 2014 et la conjonction de ces trois sentiments (la sidération, la colère et l'envie de comprendre), cette femme m'est restée dans la tête très longtemps. 4 ans jusqu'à ce qu'il y ait une résolution. Comment s'est effectuée cette contagion, qui est quand même une idée étrange quand on y pense. Plus je t'aime, plus je te contamine. Et cette idée là m'a donné envie d'écrire. 

    Manuel Moutier

    Quel a été votre parti pris pour filmer l'addiction ?

    Audrey Diwan : C'est dur de dire ce qu'est une addiction. Il y a l'idée qu'on se fait de l'addiction, il y a ceux qui l'ont vécu… Il y a quelque chose de presque impossible à dire. On s'est dit que la drogue agissait comme une maitresse, c'est presque une triangulaire amoureuse entre un couple et une addiction qui agit comme une maitresse dans le sens où elle occupe tout son espace mental. Que ce secret risque de détruire tout ce qu'il a construit. En fait, je voulais raconter plus que l'addiction.

    Il y a de grands films sur l'addiction : Panique à Needle Park, Oslo 31 août… Moi je voulais faire un film sur le couple. Il fallait trouver une traduction pour montrer à quel point ça occupe son espace mental, et en même temps qui n'empiète pas sur leur histoire à tous les deux. J'avais comme l'idée d'une sirène, j'avais ça en tête.

    Après pour trouver l'acouphène, c'est tout un parcours, parce qu'il y a l'idée que l'on se fait d'un bruit qui est omniprésent, et il y a -et ça c’est vraiment intéressant dans la fabrication d'un film-, comment on trouve le bruit exact. Il y a un compositeur de musique qui m'a proposé un instrument dont je ne connaissais pas l'existence, qui s'appelle l'orgue de verre, qui est un peu comme quand on passe un doigt sur un verre de cristal et qui créé dans l'arrière-plan de la pensée quelque chose d'intolérable et d'omniprésent. C'était vraiment un travail sur les sensations, de sorte que le jeu des acteurs et ce qu'on y ajoutait autour fonctionnent ensemble. 

    Céline Sallette, comédienne : Il y a d'autres stratagèmes aussi. Par exemple, le personnage de Pio Marmaï n'est jamais filmé en train de prendre de la drogue.

    Audrey Diwan : C'est vrai, le seul moment où on le voit prendre de la drogue, c'est un moment fantomatique. C'est lorsqu'il rejoue les gestes. J'ai beaucoup travaillé avec les narcotiques anonymes et ceux qui prennent de la drogue ressentent de toute cette expérience, jusqu'à ce qu'ils en sortent, une honte immense. Je me disais que c'était intéressant de comprendre qu'on ne parle pas du tout de drogue festive. On parle de quelque chose qui aide tous les jours à tenir, comme une béquille. Je n'avais pas du tout envie de le montrer, mais juste de dire : un jour je serai capable de refaire les gestes, et de dire ce que j'ai fait et vécu. 

    Manuel Moutier

    Céline, après Nos années folles, Mais vous êtes fous, cela fait au moins deux films pour lesquels on peut se dire, en lisant l'histoire, que c'est tellement incroyable que ça ne peut pas être vrai, alors qu'à chaque fois, il s'agissait d'histoires vraies. Est-ce que l'approche est différente ? Etes-vous particulièrement attirée par ce genre d'histoires ?

    Il se passe un truc entre moi et la folie ! Je vais vers des projets, et il y a des projets qui viennent vers moi. C'est peut être un savant mélange entre ce que j'attire dans l'imaginaire de nos contemporains, et ce que je dégage, et ce qui aussi vient comme une boucle, comme une répétition. Plus je joue des films sur la dépendance, plus on m'en propose. Et effectivement dans le film d' [André] Téchiné, [Nos années folles], il y avait une grande histoire d'amour et une grande histoire de dépendance. Et du coup, j'en ai un peu marre, je vais faire d'autres trucs, je vous le dis tout de suite ! Tous les titres avec fou dedans, c'est terminé. J'ai fait un film qui s'appelle Les Footeuses, mais c'est pas pareil ! Il y a « foo » mais c'est pas pareil. 

    Comment aborde-t-on un personnage qui est inspiré de quelqu'un de réel ? Avez-vous eu besoin, envie d'échanger avec elle ?

    Céline Sallette : C'est une très bonne question. J'ai préféré ne pas la rencontrer car mon expérience personnelle me nourrissait déjà suffisamment ! Mais comme il y avait quelque chose d'un peu intimidant dans cette histoire, j'ai préféré me dire : « ça va, j'ai les bases, je vais broder ». Et de toute façon, ces choses là sont assez fragiles, assez intrigante à chercher. Les émotions sont un peu miraculeuses. Au cinéma, on ne sait jamais quand ça vient, quand ça nous attrape. Ce sont des trucs que nous sommes allés chercher avec la confiance d'Audrey [Diwan], qui nous a mis dans une espèce d'espace incroyable de confiance, de tranquillité. On était hyper sécurisés ; ce sont des choses qui aident beaucoup pour jouer. Ensuite elle nous a réuni avec Pio, et c'est vrai qu'il y avait une alchimie assez évidente, qui nous a permis de nous jeter à l'eau et d'aller explorer ces états bizarres. 

    Manuel Moutier

    Comment avez-vous travaillé pour que cette alchimie opère justement entre Pio Marmaï et Céline Sallette ?

    Céline Sallette : J'ai l'habitude de dire que les acteurs, ils se rencontrent un peu comme des chiens sur un trottoir ! C'est à dire qu'ils se sentent ! La prochaine fois que vous voyez deux chiens qui se croisent sur un trottoir, vous pensez à moi ! Soit ils aboient, ils ne se sentent pas, ils ne peuvent pas se saquer, ils ont des rapports de domination… Soit c'est assez clair. Les acteurs, c'est pareil !  

    Comment avez-vous choisi du titre ? Faut-il y voir un clin d'oeil à la chanson du groupe Benny ? 

    Audrey Diwan : C'est un parcours de chansons. Je cherchais un titre pour expliquer ce moment où il est un peu dans ce moment d'addiction. Je me disais que, générationnellement, d'exhumer ce titre, en me disant que je ne serai peut être pas la seule à comprendre ce qu'est Benny B. J'avais envie d'un titre qui marquerai un élan, qui raconterait le film à l'endroit que j'avais envie qu'on l'entende, c'est à dire quelque chose qui ne soit pas étiqueté, ni comme un drame, ni comme une histoire sentimentale. Juste un élan. Et ensuite un titre qui soit un peu inclusof parce que pour moi il y a deux personnages, et je voulais qu'on parle d'eux deux. Mais vous êtes fous s'adressait pour moi à eux deux. Et un titre dans l'espoir utlime auquel on dirait : "oh oui !"

    La bande-annonce de Mais vous êtes fous 

    Propos recueillis lors de la séance-débat organisée par le Club 300 AlloCiné à Paris 

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