C’est avec qui ?
C’était l’un des plus grands événements de la télévision anglaise l’année dernière : pour la première fois depuis sa création en 1963, le docteur est une femme ! Il était temps. Un choix de la part de Chris Chibnall qui reprend les clés de la série après Steven Moffat (Sherlock). Et il décide d’appeler Jodie Whittaker, avec qui il a travaillé sur Broadchurch, pour devenir la nouvelle incarnation du célèbre Seigneur du Temps.
Seulement, ce n’est pas la première fois que Jodie Whittaker joue un docteur. En 2017, elle tient le rôle principal de Secret Médical (Trust Me en vo), une mini série anglaise de quatre épisodes, qui reviendra contre toute attente pour une saison deux (date inconnue à l’heure actuelle) avec une toute nouvelle distribution. A ses côtés, on retrouve Emun Elliott que l’on a pu voir dans la première saison de Game of Thrones ; Sharon Small qui a joué dans Born to Kill, Mistresses ou Meurtres à l’Anglaise ; ou encore Blake Harrison vu dans The Inbetweeners.
Ça vaut quoi ?
Étonnement, l’Angleterre ne possède pas une grande tradition pour les séries médicales. Il y a des spécimens (Monroe, Getting On, A Young Doctor’s Notebook, Call the Midwife) mais rien de parfaitement notable qui a fait date (comme St Elsewhere ou Urgences de l’autre côté de l’Atlantique). A croire qu’un certain (autre) docteur phagocyterait l’attention. C’est donc sur un terrain relativement vierge à l’échelle locale qu’arrive Secret Médical, avec la ferme intention de ne pas dévier une caractéristique maison : le drame social.
Cath Hardacre est une infirmière consciencieuse, hyper compétente et qui prend son travail très à coeur. Une dévotion qui se retourne contre elle quand elle décide de jouer les lanceurs d’alerte pour alarmer sur les dérives comportementales de médecins peu professionnels et bien trop protégés. Une mission noble dont s’est sentie investie Cath mais qui se retourne contre elle quand elle décide d’aller voir sa hiérarchie au lieu de communiquer à visage découvert dans la presse. Mise à pied, elle prend la décision de piquer l’identité de sa meilleure amie médecin partie en Nouvelle Zélande, pour « devenir docteur » à Edimbourg, en Ecosse.
Il y a quelque chose de pourrie au royaume de la médecine. Si les américains ont The Resident, les français Hippocrate, on peut compter avec Secret Médical chez les anglais pour rappeler les dérives du système médical local. La série prend le contre pied de l’héroïsation du docteur et dégomme le piédestal sur lequel il est si souvent posé. Tout comme la série française, le décors est morne, fonctionnel sans être particulièrement esthétique et s’y joue une comédie humaine un peu désemparée face au versant pathétique de notre espèce.
Une orientation à laquelle on n’aurait pas immédiatement pensé avec son pitch improbable. L’échange d’identité est un classique des soaps (ou récits d’espionnage) et son traitement, le plus souvent sensationnaliste, est a priori incompatible avec le drame social à l’anglaise. Seulement Dan Sefton le traite à la bonne hauteur, jouant aussi bien sur une tension naturelle (quelqu’un va-t-il découvrir la vérité ?), que la gymnastique psychologique et émotionnelle qu’impose de prétendre être ce que l’on n’est pas. Jodie Whittaker offre une remarquable composition, capable de montrer force et fragilité dans un même élan.
La série trouve le juste équilibre entre ce qu’elle souhaite dénoncer et le romanesque du pitch. Exceptée une dernière situation dramatique qui flirte avec la facilité, Secret Médical fait, tout en nuance et subtilité, un état des lieux du système anglais. En quatre épisodes, elle dresse des portraits de personnages brisés à différents niveaux dans un climat anxiogène. C’est pesant sans être lourd, intense sans exagération, émouvant sans être tire-larme et intelligent sans être donneur de leçon. Une série à la nature discrète qui la fera probablement pas rayonner dans un monde où sortir du lot est devenu de plus en plus difficile mais il serait dommage de s’en passer.