"Je suis né au Chili, maman était au lit et mon père auchi mais il n'y resta pas car maman le tapa et papa s'épata…" Ne croyez pas la fausse biographie que Boby Lapointe a rédigée pour un de ses disques, ses origines étaient beaucoup moins pittoresques en réalité. Robert Lapointe, dit Boby, est né à Pézenas en 1922, où il s'est formé à la musique avec son père, collectionneur d'instruments, et où il a vite manifesté un tempérament très farceur. Les habitants de Pézenas se sont souvenus pendant longtemps de ses frasques, comme le coq du clocher de l'église repeint en fluo pour la messe de Pâques.
Jeux de mots et petits boulots
Doté d'un esprit brillant, à la fois scientifique et littéraire, il tente d'intégrer de prestigieuses écoles d'ingénieur car il rêve d'aviation. Il se révèle inventeur : pendant ses études, il conçoit l'embrayage automatique ; bien plus tard, en 1968, il créera un système de comptage informatique dit "bibi-binaire". En 1943, encore étudiant, il est rattrapé par la Seconde Guerre mondiale : réquisitionné, il est envoyé dans un camp de travail en Autriche, d'où il s'évade quelques mois plus tard.
Boby enchaîne les petits boulots, notamment celui de scaphandrier pour se cacher des Allemands qui le recherchent. Mais l'appel de la chanson est plus fort. Il écrit ses premiers textes, essaie de les faire chanter par d'autres qui ne comprennent pas ses calembours et trouvent son style difficile. Il se marie après la guerre et monte à Paris pour tenter sa chance. Après des années de vaches maigres, il décroche enfin son premier cachet d'artiste : en 1956, sa chanson "Aragon et Castille" est choisie pour le film Poisson d'avril et c'est Bourvil qui l'interprète.
Musicien prometteur
Il se fait petit à petit un nom dans le milieu musical parisien. Il débute sur la scène du Cheval d'Or, dans le Quartier latin, où il rencontre de jeunes artistes en devenir : Anne Sylvestre, Georges Brassens, Raymond Devos… Il enrichit petit à petit son numéro de simple chanteur et devient un véritable amuseur qui enchaîne blagues et sketches en musique. Le succès venant, il décide d'ouvrir son propre cabaret, le Cadran Bleu. Le côté fantasque de Boby lui joue des tours et il est contraint de mettre la clef sous la porte, malgré l'aide financière de son copain Brassens.
Dans les années 1960, Lapointe cherche à diversifier ses activités, il signe son premier contrat avec une maison de disques, multiplie les galas et fait ses premiers pas au cinéma. Ses chansons "Marcelle" et "Bobo Léon" connaissent un petit succès, il joue entre autres en première partie de Johnny Hallyday à l'Olympia et le jeune réalisateur à la mode François Truffaut l'embauche pour jouer un chanteur dans Tirez sur le pianiste. Pour aider le spectateur à suivre le texte de la chanson "Framboise !", le producteur exige des sous-titres, inventant par la même occasion le karaoké et donnant naissance au surnom "le chanteur sous-titré", ce qui fait bien rire Boby Lapointe. En effet, la célébrité ne l'intéresse pas, il préfère se donner à fond dans ses passions : les copains, les femmes, la bonne bouffe et les jeux de mots.
Une carrière interrompue
Figure populaire en totale rupture avec les chanteurs yéyés, il participe souvent aux émissions de variété et impose son écriture avec les tubes "L'Hélicon", "Saucisson de cheval"… sans oublier "Ta Katie t'a quitté". Après quelques petits rôles au cinéma et à la télévision, il est appelé par des réalisateurs chevronnés au début des années 1970 : Claude Sautet pour Les Choses de la vie et Max et les ferrailleurs, Marcel Carné pour Les Assassins de l'ordre, Pierre Granier-Deferre pour La Veuve Couderc. En tout, Boby aura pointé sa tête dans 8 films seulement, dont une bonne moitié sont de grands succès à l'époque et certains sont restés comme des classiques du cinéma français.
Bon vivant, sportif, Boby Lapointe est malheureusement atteint par le cancer à 50 ans et disparaît en 1972. Il venait de signer avec une nouvelle maison de disques, Philips, et sous la direction artistique de Joe Dassin (pas encore chanteur à l'époque) devait donner un nouvel élan à sa carrière musicale. Sa dernière apparition sur scène a eu lieu en première partie de son ami Pierre Perret, fin 1971. Nous restent les images d'un personnage sympathique et joyeusement franchouillard, et une cinquantaine de chansons dont certaines sont encore enseignées dans les écoles maternelles, comme "La Maman des poissons". Avec le succès de Plan Cœur, "Ta Katie t'a quitté" est redécouverte par une nouvelle génération et a même inspiré le compositeur et musicien électro Frédéric Magnon, alias Avril, pour le morceau "Close To Me" que Jules écrit à Elsa dans Plan Cœur. Tic tac, tic tac !
