Empoisonnements multiples, massacres et autres atroces séances de sévices, humiliations, lutte à mort entre clans familiaux, vengeances implacables... Bienvenue dans l'univers de George R.R. Martin, le vénéré créateur de Game of Thrones ! L'auteur, qui affirmait dans une interview donnée à la chaîne CBC en mars 2012 "prendre la fantasy épique dans la tradition de Tolkien […], et la combiner avec un genre réaliste", a largement nourri son oeuvre et bien entendu la série culte de HBO, en empruntant de nombreux éléments ou événements factuels qui se sont déroulés au Moyen-Âge, sa période de prédilection. A ce titre, un de ses modèles est le cycle des Rois Maudits de Maurice Druon, composé de sept tomes écrits entre 1955 et 1977 et qui fut merveilleusement adapté à la TV en 1973. "Voilà l'histoire originale de Game of Thrones" a même lâché Martin, en évoquant la saga fleuve de Druon, dont les premiers tomes ont été réédités en Grande-Bretagne en 2013, à la grande joie de Martin
Martin qui développe d'ailleurs une vision très sombre du Moyen-Âge. "Les mauvais auteurs [de fantasy] s’inspirent des structures sociales du Moyen âge […] mais ils ne semblent pas réaliser ce que cela signifie. Ils écrivent des scènes dans lesquelles la jeune paysanne courageuse gronde le méchant prince" expliquait George R.R. Martin dans une interview au Times Entertainment en avril 2011. "[Dans la réalité] Le méchant prince l’aurait violée. Il l’aurait mise aux fers et aurait ordonné qu’on lui jette des ordures dessus. Je veux dire que la structure sociale dans des endroits comme ceux-là était dure. Elles avaient des conséquences. Et les gens étaient élevés depuis l’enfance à connaître […] les devoirs et les privilèges de leur classe. C’était toujours une source de tensions lorsque quelqu’un sortait de sa condition. Et j’ai essayé de refléter cela" précisait l'auteur.
Si les propos du romancier méritent quelques vraies nuances - l'oppression sociale au Moyen-Âge étant bien plus subtile que ce qu'il laisse entendre-, il ne s'agit toutefois pas ici de développer l'aspect réaliste ou non de son approche dans sa saga. Mais de remettre régulièrement en perspective historique certains faits et / ou éléments empruntés à cette période du Moyen-Âge, dans une série de papiers publiés régulièrement sur le site.
Après avoir évoqué la fameuse marche de la honte de Cerseï Lannister vue dans le 10e épisode de la saison 5, nous avons encore un peu remonté la chronologie de la série pour nous arrêter au 9e épisode de la saison 3, lorsque nous avons évoqué les sinistres Noces pourpres, inspiré par Le Dîner noir, un sanglant événement survenu dans l'Ecosse du XVe siècle. Puis nous avons évoqué dernièrement le funeste sort du tyran Joffrey. Au menu cette fois-ci : la bataille de la Néra, dont les tactiques de défense employées ne sont pas sans rappeler le siège de Constantinople par les Arabes, qui a eu lieu au VIIIe siècle.
La puissance destructrice du feu grégeois
Souvenez-vous. Episode 9 de la saison 2. Après avoir révélé à l'ensemble des Sept Couronnes la vérité sur les enfants de Cersei Lannister (qui sont en fait le fruit de ses relations incestueuses avec son frère Jaime) et récupéré les forces de Renly dont il s'est débarrassé, Stannis Baratheon envoie l'ensemble de son armée attaquer Port-Réal et revendiquer le Trône de Fer. Laissés pratiquement sans défenses par Tywin et Jaime (qui sont partis se battre contre Robb Stark dans le Conflans), Cersei et Tyrion doivent faire face à une flotte de 200 navires. Après avoir garni les remparts de la ville de scorpions et de balistes, Tyrion a l'idée de faire forger une énorme chaîne pour refermer la Néra et séparer en deux les forces de Stannis, sur lesquelles il déchaîne son feu grégeois...
Pour rappel, ci-dessous, en vidéo...
Ce que l'on nomme "le second siège arabe de Constantinople" qui eut lieu en 717-718 est un siège terrestre et maritime de Constantinople, la capitale de l'Empire byzantin, par les Arabes du Califat omeyyade. La campagne est le point culminant de trente ans d'attaques et d'empiètement par les Arabes sur les régions frontalières de l'Empire byzantin, alors en plein désordre interne. 80.000 hommes dirigés par le commandant Maslama ben Abd al-Malik assiègent la ville par la terre, tandis que la flotte arabe qui accompagne l'armée doit compléter le blocus par mer de la ville. Le nombre de navires arabes est colossal. Certaines sources parlent d'une flotte de près de 1800 navires. Retranché derrière les imposants remparts théodosiens qui protègent Constantinople depuis sa fondation, les byzantins résistent aux troupes terrestres arabes qui ne parviennent pas à ouvrir une brèche dedans. La marine byzantine, supérieure techniquement à son adversaire, brisa la tentative de blocus, en utilisant notamment le feu grégeois.
Le feu grégeois est un mélange inflammable, brûlant même au contact de l'eau, employé, dans l'Antiquité et au Moyen Âge, pour la fabrication d'engins incendiaires utilisés au cours des sièges et des combats navals. Son invention est datée de la fin du VIIe siècle, et est attribuée à Callinicus d'Héliopolis, un architecte réfugié à Constantinople. Les Byzantins l'employèrent généralement lors des batailles navales avec des effets dévastateurs pour la marine adverse, comme justement lors du siège de Constantinople en 717-718. Cela leur procura un avantage technologique qui contribua à leur faire remporter plusieurs victoires décisives, ce qui permit d'assurer la survie de l'empire.
Le feu grégeois fit une énorme impression sur les croisés occidentaux. Tellement en fait que le terme même de "feu grégeois" est utilisé pour n'importe quelle sorte d'arme incendiaire, y compris celles utilisées par les Arabes, les Chinois et les Mongols. Secret militaire particulièrement bien gardé, la composition du feu grégeois byzantin est malheureusement aujourd'hui perdue. Cependant, des hypothèses évoquent des mélanges de résine de pin, de naphte, d'oxyde de calcium (chaux vive), de soufre ou du salpêtre. Le feu grégeois aurait été introduit en Europe occidentale au XIIe siècle, et utilisé pour la première fois en 1151 en France par Geoffroy V d'Anjou lors du siège du Montreuil-Bellay (situé en Maine-et-Loire), puis en 1203 au siège de Château-Gaillard (situé en Normandie).
Epilogue...
Quoi qu'il en soit, l'usage du feu grégeois a permi à Constantinople de continuer à être ravitaillée par mer lors de son siège de 717-718, tandis que l'armée arabe fut frappée par une terrible famine et la maladie, au cours de l'hiver particulièrement dur qui suit. Après avoir dévoré leurs maigres rations, les troupes mangèrent les chameaux, les chevaux et les singes qu'ils avaient emmené avec elles. Au printemps 718, deux flottes arabes envoyées en renfort furent détruites par les byzantins, tandis qu'une armée de soutien, envoyée celle-ci par voie terrestre à travers l'Asie Mineure, fut écrasée dans une embuscade. Un malheur n'arrivant jamais seul, les Bulgares, alliés aux byzantins, envoyèrent des troupes pour marcher sur les talons des arabes, contraignant ces derniers à lever le siège.
Terriblement affaiblis par la faim et les maladies, démoralisées par les échecs successifs, les troupes du califat Omeyyade furent noyées dans un bain de sang. Certaines sources de l'époque parlent de 22.000 à 30.000 tués du côté arabe. Quant à leur flotte, elle fut presque totalement anéanti par des tempêtes et les attaques byzantines. Selon Théophane le Confesseur, moine, théologien et chroniqueur de l'époque, seuls 5 navires arabes auraient réussi à s'échapper. Les récits arabes des faits rapportent des pertes globales s'élevant à environ 150.000 hommes, ce qui semble très exagéré. Mais ce chiffre élevé souligne aussi l'importance et l'impact qu'a eu ce terrible siège sur les troupes Arabes. Il faudra attendre la chute de Constantinople, le 29 mai 1453, prise par les troupes ottomanes, pour mettre fin à l'empire romain d'Orient. Quant à Tyrion, il sauve la couronne de Joffrey le lâche, qui n'aura de cesse d'humilier son oncle jusqu'à un certain banquet fatal...