Miracle à Santa Anna - Sortie le 29 août 2018
De Spike Lee avec Derek Luke, Michael Ealy, Laz Alonso
DE QUOI ÇA PARLE ?
De nos jours à New York, un vétéran noir américain de la 2nde Guerre Mondiale, Hector Negron, assassine un immigré italien sans raison apparente. L’enquête s’oriente sur les traces du bataillon noir américain « Buffalo Soldiers » envoyé en Toscane pendant la 2nde Guerre Mondiale. En 1944, une escouade de soldats noirs américains se retrouve dans un village toscan en montagne, encerclé par l’armée allemande.
LE FILM DE GUERRE SELON SPIKE LEE
Après avoir passé quelques années difficiles, Spike Lee est de retour en grande forme avec Blackkklansman, Grand Prix du Jury cette année au Festival de Cannes. Avant cela, son remake de Old Boy en 2013 n'avait pas convaincu le public et la critique, laissant le cinéaste dans une mauvaise passe jusqu'à sa renaissance en 2018.
Mais replongeons une dizaine d'années en arrière. Spike Lee a triomphé avec son thriller machiavélique Inside Man, en 2006 ; le réalisateur souhaite désormais s'attaquer à un sujet épineux, le massacre de Santa Anna Di Stazzema, survenu le 12 août 1944. Ce jour-là, des soldats SS ont tué 560 civils italiens, perpétrant un crime de guerre d'une barbarie sans nom, l'équivalent italien du massacre d'Oradour-sur-Glane (642 victimes le 10 juin 1944).
Le cinéaste a donc la volonté d'adapter le roman éponyme de James McBride, dont l'oncle a été soldat en Italie durant la seconde guerre mondiale, ce qui a poussé l'écrivain a s'intéresser à ce sujet. Pour cela, l'auteur a étudié l'histoire de la 92ème infanterie de l'Armée de terre américaine, disposant de 15.000 soldats afro-américains ayant servi durant la campagne d'Italie, d'août 1944 à novembre 1945. (Les fameux Buffalo Soldiers dont Bob Marley parle dans une chanson devenue célèbre).
Lee engage McBride pour écrire le scénario puis met le film en chantier. Il met les grands moyens pour restituer le plus fidèlement possible le contexte historique, tournant notamment en Toscane, dans des lieux hautement symboliques de la résistance italienne comme la Ligne Gothique, située dans le nord de la Botte, le long des Apennins.
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Soutenu par les autorités italiennes, le tournage du long-métrage se déroule bien... jusqu'au moment où ce dernier doit sortir sur les écrans en Italie, le 3 octobre 2008. En effet, dans le film, le massacre a lieu suite à une trahison d'un résistant italien. Ce parti pris n'a pas été du goût de tout le monde, suscitant une vive réaction de la part de l'Association Nationale des Résistants d'Italie (ANPI). Ces derniers reprochent à Spike Lee et son scénariste James McBride d'avoir pris la liberté de réécrire l'histoire pour l'accomoder à leur sauce, jetant le discrédit et le déshonneur sur la résistance italienne.
Les membres de l'association spécifient que les soldats allemands ont agi seuls, sans aide extérieure, s'appuyant sur le jugement du tribunal militaire de La Spezia, en 2005, qui a condamné dix anciens SS à la réclusion criminelle à perpétuité. Le cinéaste italien Vittorio Taviani avait même pris la parole à l'époque, affirmant qu'on ne devait pas s'amuser à trahir l'Histoire, surtout celle de la Résistance. Si le romancier et scénariste James McBride s'est excusé de cette réécriture historique lors d'une conférence de presse à Florence en 2008, Spike Lee n'a pas été aussi diplomate :
"Je ne crois pas qu'il faille présenter des excuses à qui que ce soit. Car cette controverse démontre qu'il y a beaucoup de questions restées ouvertes au sujet de cet événement, qui représente un chapitre de l'histoire italienne qui n'a pas encore été refermé. Et puis disons la vérité : aujourd'hui, tout le monde est de leur côté, mais à l'époque ce n'était pas le cas, en Italie comme en France, car après avoir effectué leurs actions, ils se réfugiaient dans la montagne en laissant les civils à la merci des représailles."
Le scénariste italien, Francesco Bruni, qui s'est chargé de traduire les textes des personnages italiens dans le film, a lui aussi déploré le manque de discernement de McBride et Lee : "Le gros défaut de Lee est McBride est la méconnaissance des mœurs italiennes et une image un peu folklorique de l'Italie de l'époque. Ce qui explique, notamment, les ennuis qu'ils ont rencontré en adaptant cette histoire", explique Bruni.
"La trahison du résistant est une exagération romanesque, pardonnable dans n'importe quel autre contexte, mais qui suscite des réactions en Italie où le débat sur les luttes partisanes est encore vif. Nous sommes dans un pays où il y a un Président du Conseil qui a du mal à se déclarer antifasciste, alors que le Ministre de la défense affirme que nous devons commémorer les victimes de Salò sur le même plan que les résistants. Je crois que c'est plus notre problème que celui de McBride et de Lee qui tout au plus ont été imprudents", tempère le scénariste.
"James McBride a des amis qui vivent entre la Ligurie et la Toscane et qui lui ont raconté cette histoire. De plus, il avait un proche qui faisait partie des Buffalo Soldiers en garnison en Italie. Il a relié les deux choses d'une façon innocente : une histoire de soldats noirs en Italie à laquelle il a rajouté Santa Anna Di Stazzema car l’histoire l'avait beaucoup frappé. Il n'a pas fait attention où il mettait les pieds", ajoute Francesco Bruni.
Les spectateurs italiens n'ont toutefois pas tenu rigueur à Spike Lee pour ce "révisionnisme" historique, ovationnant longuement le cinéaste lors de l'avant-première du film à Florence en 2008. Le village de Santa Anna a même nommé le metteur en scène citoyen d'honneur. Le Président de la République italienne de l'époque, Giorgio Napolitano, a également encensé le film, "un hommage à l'Italie et à la Résistance", selon lui.
POURQUOI LE FILM N'EST-IL PAS SORTI EN FRANCE EN 2008 ?
Au pays de Molière, la controverse a été d'un autre ordre ; le long-métrage devait être distribué par TF1 Droits Audiovisuels via sa filiale TFM Distribution. Ces derniers n'ont pas honoré le contrat les liant à Spike Lee, estimant que le résultat final n'était pas conforme à ce qui était convenu à la lecture du scénario. Le film n'est pas donc pas sorti en France à cause de cela.
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En 2011, TF1 Droits Audiovisuels a été condamné à verser 32 millions d'Euros de dommages et intérêts pour n'avoir pas respecté ses engagements contractuels visant à commercialiser Miracle à Santa-Anna. D'aucuns affirmaient que ce sont les mauvaises critiques émanant des USA et du Festival de Deauville 2008 qui ont rendu frileux le distributeur et l'ont convaincu de ne pas commercialiser l'oeuvre de Lee.
Bien que sorti aux Etats-Unis en septembre 2008 et en Italie le 3 octobre de la même année, le film n'a pu être montré dans le monde entier, et ce en raison du refus de TF1 Droits audiovisuels - qui avait l'exclusivité sur ce film - de l'exploiter et de le distribuer à l'international. Miracle à Santa-Anna connaît finalement une vraie sortie au cinéma dans l'Hexagone grâce au distributeur Splendor Films. La boucle est bouclée.
Toujours à l'affiche, Blackkklansman de Spike Lee