MISSION : IMPOSSIBLE - FALLOUT
ATTENTION - Cette page contient des spoilers sur l'intrigue de "Mission : Impossible - Fallout", puisque certains de ses rebondissements y sont évoqués sans détour. Veuillez donc passer votre chemin si vous n'avez pas encore vu le film, et revenir ensuite.
C'est une petite révolution qui s'est jouée en coulisses avec ce long métrage. Un joli coup de canif dans le contrat initialement établi par Tom Cruise et qui voulait que, comme pour les Alien, chaque Mission : Impossible s'offre un réalisateur différent et en porte la patte. Fort du succès rencontré par Rogue Nation et de sa collaboration fructueuse avec sa star, Christopher McQuarrie devient le premier metteur en scène à rempiler derrière la caméra, ce qui a déçu plus d'un fan. Mais ça, c'était avant de voir des images de ce sixième opus. Ou le résultat final, qui prolonge (et conclut ?) ce qui avait été mis en place précédemment et apporte un peu de nouveauté au coeur du film-somme qu'annonce le titre.
En français, "Fallout" peut désigner plusieurs choses : les retombées radioactives de l'explosion nucléaire dont la menace plane sur le film ; les conséquences, et notamment celles des actes d'Ethan ; et la façon dont chaque opus précédent a pavé la voie menant vers celui-ci, à sa manière. Il s'agirait du dernier épisode de la saga que cela ne nous étonnerait pas plus que cela, tant l'ensemble a parfois des allures de best-of : on y retrouve la paranoïa du premier tout en faisant connaissance avec la fille de Max (la trafiquante d'armes à qui Vanessa Redgrave prêtait ses traits), incarnée par Vanessa Kirby ; les scènes d'escalade de falaise font inévitablement penser à l'ouverture du second ; l'épouse du héros, introduite chez J.J. Abrams, est de retour au même titre que sa condition, évoquée dans Protocole Fantôme, prend ici une place importante ; et il s'agit de la suite directe de Rogue Nation.
À défaut de Brandt (Jeremy Renner était pris par le tournage du prochain Avengers), nous retrouvons en effet Benji, Luther et Ilsa. Et même Solomon Lane, dont le souvenir hante jusqu'aux rêves d'Ethan, qui vit loin de chez lui et doit composer avec le poids, de plus en plus pesant, des conséquences de ses actes. "Tu aurais dû me tuer", lui dit à plusieurs reprises sa némésis incarnée par Sean Harris, au cours d'un récit où les reproches sont légion, et les comparaisons pas à son avantage. Il est le "Scalpel" de l'IMF là où le "Marteau" de la CIA semble plus approprié, il a commis l'outrecuidance de sauver l'un des siens ("Votre plus grande force", tempère son supérieur pour tenter de lui sauver la mise) alors qu'il aurait dû faire passer la mission avant tout, et ses méthodes semblent datées aux yeux des autres. Assez pour poser la question : y a-t-il encore une place pour un héros romanesque, à l'ancienne, dans le monde actuel ?
Suite aux attentats qui ont frappé la capitale française en 2015, Christopher McQuarrie a souhaité faire de Paris l'un des décors de Fallout, pour rendre hommage à la ville et ses policiers au détour d'une séquence. Ce faisant, il inscrit son film dans l'actualité, plus encore que le premier Mission : Impossible, dont il reprend même le schéma d'interrogatoire théâtralisé au début, et qui évoquait les répercussions de la chute du bloc soviétique sur le monde de l'espionnage. Il interroge ainsi la place de son personnage dans un monde comme le nôtre, où l'ordre mondial paraît de plus en plus instable, poussant les agents comme lui à changer de camp pour rejoindre le côté obscur de la force. Un questionnement qui s'applique également à Tom Cruise lui-même.
"La fin que vous redoutiez approche. C'est vous qui aurez ces morts sur la conscience. Les conséquences de toutes vos bonnes intentions." (Solomon Lane)
Car si Ethan paraît en décalage avec l'univers dans lequel il évolue depuis 1996, qu'en est-il de son interprète dans un milieu, le cinéma, où le seul nom d'une star ne suffit plus pour connaître le succès, et où les super-héros règnent en maître sur le box-office ? Est-ce alors un hasard si l'acteur affronte l'un d'eux, et pas des moindres, à savoir Superman lui-même ? Le natif de Krypton qu'il fait redescendre sur terre et à qui il oppose un défi plus relevé que ce qu'il a affronté avec la Justice League : "Fallout m’a offert la possibilité de faire mes propres cascades. C’est le genre de choses sur lesquelles il y a une courbe d’apprentissage, mais je rends compte que j’ai encore plein de techniques à apprendre car le physique ne fait pas tout", expliquait le pourtant très costaud Henry Cavill.
Pour mettre en scène le triomphe de son surhomme sur Superman, McQuarrie semble grandement s'inspirer de la trilogie Batman de Christopher Nolan. Jusque dans la bande-originale de Lorne Balfe, grand admirateur de Hans Zimmer, qui rappelle celle de Rises avec ses sons lourds et ses cuivres graves, et possède le même titre de première piste : "A Storm is Coming". Alors que le final, à travers sa façon de mêler plusieurs niveaux de suspense, renvoie à ce moment où le danger plane sur les pouvoirs exécutifs dans The Dark Knight, et qu'August Walker a le visage à moitié brûlé comme Double-Face, plusieurs parallèles se dressent entre Bruce Wayne et Ethan Hunt, tous deux confrontés à un ennemi désireux de voir le monde brûler tout en les brisant moralement, et incapables de se sortir de la spirale de la vie qu'ils ont choisie et qui les prive de toute normalité.
Comme l'Homme Chauve-Souris, la star de l'IMF voit ses valeurs remise en cause et ses précédents choix lui revenir au visage sous la forme d'adversaires de plus en plus dangereux, alors que le bonheur se refuse à lui jusque dans ses rêves. Pire : le cas d'Ilsa Faust lui prouve que la liberté pour laquelle il pourrait se battre est illusoire. Libérée de l'emprise de Solomon Lane, auprès de qui elle a oeuvré sur ordre du MI6, elle se retrouve désormais en cavale car elle représente une menace aussi grande que celle du chef du Syndicat aux yeux de ses patrons, et cherche à tuer le terroriste, quitte à aller à l'encontre d'Ethan. "Ne m'oblige pas à passer en force", l'implore-t-elle à ce sujet. Et, par extension, celui de leur relation.
Les deux personnages, dont le lien est définitivement touchant, ne se sont visiblement pas revus depuis la fin de Rogue Nation et ils se re-croisent alors que chacun cherche à rentrer chez lui. Le fait que la mission principale soit transmise dans une édition de "L'Odyssée" d'Homère, qui raconte le long retour d'Ulysse à Ithaque, n'est à ce titre pas anodin du tout. Dans le cas d'Ethan, il s'agit surtout d'un état d'esprit, d'une quête d'apaisement à laquelle il ne peut pas accéder sans sacrifices : "Il ne peut pas y avoir de paix sans d’abord une grande souffrance. Plus grande est la souffrance, plus grande est la paix", dit le manifeste des Apôtres de Solomon Lane écrit par Walker. Doit-il alors mettre en danger ceux qu'il aime ? Non selon Luther, qui encourage Ilsa à s'éloigner de celui qui tend à devenir son propre ennemi : "Si tu tiens à lui, tu devrais laisser tomber."
Ce qui n'arrivera pas vraiment. Même en étant l'opus le plus sombre et le plus rude, malgré un refus de la vraie noirceur au début, Mission : Impossible - Fallout s'achève sur une note optimiste et une scène au cours de laquelle Ethan, avec ses côtes abîmées, demande à ses partenaires de ne pas trop le faire rire, preuve qu'il revient de très loin à l'issue de cette longue fuite en avant où chaque membre de sa "famille" a un rôle important à jouer, dans l'action comme sur le plan psychologique. Jouant à nouveau plus sur le suspense que la surprise, comme il le montre en dévoilant très vite que Walker est une taupe, Christopher McQuarrie abat encore la carte de l'espionnage classique et cite La Mort aux trousses d'Alfred Hitchcock comme influence, que l'on ressent à travers l'idée de mouvement perpétuel.
Avec des combats plus brutaux que pour Cary Grant :
Emballant à nouveau quelques scènes d'action dantesques, de la poursuite dans Paris à la chasse en hélicoptère, il expédie encore une fois le morceau de bravoure teasé longtemps en amont (la chute libre au-dessus de la capitale, qui n'en reste pas moins époustouflante) pour mieux se concentrer sur les personnages et le récit complexe. Parfois trop, puisqu'il a fréquemment besoin de rappeler les enjeux dans les dialogues. S'appropriant des éléments des épisodes précédents, il livre un film-somme davantage ancré dans la réalité que les autres, et qui pourrait faire office de conclusion à la saga. Sans doute une mesure de précaution au cas où Fallout ne rencontrerait pas le succès escompté.
Mais Tom Cruise a d'ores et déjà annoncé avoir de la suite dans les idées alors que, comme le dit très bien Erika Sloane (Angela Bassett) dans la dernière scène, "le monde a besoin de Mission : Impossible". L'agence comme les films, qui dénotent et apportent un peu de fraîcheur au milieu des super-héros et blockbusters bourrés d'effets numériques. Le hasard veut que ce soit avec le long métrage où il nous a prouvé qu'il était quand même humain, en se cassant la cheville pendant une cascade, que Tom Cruise l'a rappelé.
Le tout en laissant penser que, comme son personnage, il était contraint de repousser ses limites sur grand écran pour accomplir sa mission : ici, rester l'une des grandes stars hollywoodiennes, ce que les scores au box-office des films hors-saga ont remis en question ces dernières années. Espérons pour lui que, contrairement à Ethan dans la majeure partie de Fallout, ses exploits surhumains soient appréciés à leur juste valeur. Et que d'autres réalisateurs parviendront à s'emparer de la franchise de la sorte, même s'il va falloir se lever de très bonne heure pour faire plus fort en matière d'action.
L'équipe du film a-t-elle accompli notre mission sur le tapis rouge ?