Sorti en salles le 18 juillet 2018, le film de Desiree Akhavan, Come as you are, primé au festival du film de Sundance et porté par la lumineuse présence de la jeune Chloë Grace Moretz, avait aussi valeur de catharsis pour la réalisatrice. Pour écrire le script du film, Akhavan et la scénariste Cecilia Frugiuele se sont notamment basé sur l'expérience personnelle de la cinéaste. Jeune, elle avait suivi un traitement pour trouble alimentaire au sein d’un centre de rééducation pratiquant la thérapie de conversion : "J’aime beaucoup les histoires se déroulant dans des centres de rééducation et j’ai toujours voulu réaliser un projet qui parlerait de ce qu’on peut ressentir dans cet environnement. Tout est fait pour «aller mieux», mais qu’est-ce que cela veut dire au fond ? Chacun a sa propre perception de ce que cela peut signifier. Il y aussi des alliances qui se forment selon la volonté profonde de chacun d’aller mieux ou non. [...] Que signifie "aller mieux" quand de simples prières ne peuvent pas avoir d’effet sur l’homosexualité de quelqu’un ? Voilà le noyau autour duquel nous avons commencé à écrire le scénario avec Cecilia."
Quant à la comédienne, elle profitait justement de l'éclairage apporté par le prix remporté par le film au festival pour dénoncer une administration Trump "qui croit totalement aux thérapies de conversion", tout en rappelant que le vice-président Mike Pence "a même tenté de les subventionner avec des fonds publics". Et de pointer du doigt dans la foulée l'Etat du New Hampshire, dont le Congrès a raté l’occasion d’interdire ces camps de conversion au début du mois de janvier 2018.
Ci-dessous, la bande-annonce du film...
Huit mois plus tard, le cinéma n'en a pas fini avec le sujet, avec la sortie de Boy Erased, en salle ce 27 mars. Basé sur les mémoires de Garrard Conley, le film retrace le douloureux et authentique parcours de Jared Eamons, un fils de pasteur, incarné par Lucas Hedges (et épaulé par Nicole Kidman et Russell Crowe), la révélation de Manchester By The Sea, outé à l'âge de 19 ans et obligé de suivre une thérapie de conversion contre son gré, loin de ses parents, de sa famille et de ses croyances. Tout comme l'héroïne de Come as You Are, Jared est lui aussi contraint de suivre une thérapie de conversion.
Vous pouvez décrouvrir la bande-annonce du film ci-dessous...
Les thérapies de conversion, traitements indignes
Pour expliquer ce qu'on appelle les thérapies de conversion, parfois appelée thérapie de réorientation sexuelle ou bien encore thérapie réparatrice par ses défenseurs, il faut revenir en arrière. L'homosexualité a en effet longtemps été considérée par le corps médical comme une pathologie des maladies mentales. A la suite de quoi plusieurs thérapies de conversion ont vu le jour un peu partout dans le monde. Il s'agit en fait d'un ensemble de traitements d'origines diverses utilisés dans le but supposé (et controversé) de tenter de changer l'orientation sexuelle d'une personne, pour la faire passer de l'homosexualité à l'hétérosexualité.
En 1973, l'Association américaine de psychiatrie propose de substituer au diagnostic d'homosexualité celui de "perturbation de l'orientation sexuelle" dans le manuel américain de classification des maladies mentales (DSM); un outil de référence dans le monde médical. En France, l'homosexualité avait jusqu'en 1992 sa place dans un diagnostic, au même titre que la schizophrénie ou la dépression...
Dans la première moitié du XXe siècle, des techniques médicales agressives telles que la lobotomie et la sismothérapie (traitement par éléctrochocs) ont été expérimentées. Les thérapies de conversion proprement dites apparaissent spécifiquement durant les années 60, à la faveur de l'élargissement des thérapies comportementales aux dysfonctions sexuelles. Les modalités reposent essentiellement sur les techniques aversives. Autrement dit, il s'agit de coupler un stimulus à contenu homosexuel (par exemple des image d'hommes ou de femmes nu(e)s) à un stimulus qui provoque des sensations déplaisantes, telles que des nausées. Après plusieurs répétitions, le stimulus sexuel à contenu homosexuel devient un stimulus conditionnel qui déclenche automatiquement une réponse d'anxiété chez le patient. Le stimulus aversif le plus souvent utilisé était le choc électrique (de faible intensité), mais des stimuli olfactifs ont aussi eu les préférences de certains expérimentateurs.
Au-delà des réels enjeux éthiques, la mesure de l'efficacité de ces techniques a été elle-même très discutée. Les différentes techniques employées n'ont certainement pas transformé des homosexuels exclusifs en hétérosexuels. Dans une toute récente étude dont les résultats ont été publiés en janvier 2018 par le Williams institute, du Département des études juridiques de l'Université UCLA, les chiffres font froid dans le dos. 698 000 personnes ont déjà subi, aux États-Unis, une thérapie de conversion destinée à modifier leur orientation sexuelle ou leur identité de genre vécu, dont 350.000 lorsqu’elles étaient mineures. Près de 80.000 adolescents subiront une thérapie de conversion avant d’atteindre la majorité aux États-Unis. Si on ajoute les cures prodiguées en dehors du corps médical, par une institution religieuse ou spirituelle par exemple (57000 cas), le chiffre s’élève à 77 000 adolescents dans tout le pays.
Des pratiques discréditées
Ces traitements sont une source de controverse dans de nombreux pays. Depuis 1999, un mouvement s'est engagé à travers le monde, visant à interdire les thérapies de conversion. Des pays comme Malte (premier Etat européen à voter l'interdiction en décembre 2016), la Chine (depuis 2014), le Brésil (depuis 1999), le Canada (2015) et certains Etats américains l'interdisent, comme la Californie (depuis 2012) ou l'Etat de Washington (mars 2018).
Aux Etats-Unis, les plus grandes instances américaines de médecine s’accordent désormais sur leur inefficacité et leur nocivité, en particulier sur le bien être psychique. L’Association médicale américaine, l’Association psychiatrique américaine et l’Académie américaine des pédiatres se sont publiquement opposées à leur pratique. Si la pratique reste encore légale dans certains Etats américains, d'autres en revanche semblent prêts à prononcer une interdiction de cette pratique. Un sondage de 2016 cité par l'étude du Williams Institute rapporte par exemple que 71% des habitants de la Floride souhaitent l'interdiction des thérapies de conversion, tandis qu'ils sont 64% en Virginie, et 60% au Nouveau-Mexique. Les interdictions pourraient être progressives, si l'on en juge par les chiffres fournis par l'étude.
En 2014, à peine 8% des américains estimaient ces thérapies efficaces. Parmi les plus fervents partisans de la thérapie de conversion, on retrouve principalement des groupes de fondamentalistes chrétiens, ainsi que d'autres organisations religieuses d'extrême droite. Celles-ci profitent d'ailleurs d'une faille ou, en tout cas, d'un vide juridique. Ainsi, dans certains Etats qui ont banni les thérapies de conversion (Californie, Oregon, Nevada, ect...), n'importe quel individu peut toutefois proposer ces thérapies (qui d'ailleurs ne se dénomment pas forcément sous cette terminologie), même si c'est interdit dans l'Etat donc; à la seule condition de se revendiquer comme membre d'un clergé ou appartenant à un mouvement religieux et, dans certains cas, à la condition de ne pas faire payer ce "service". Des procédés qui rendent vulnérables les jeunes de 13 à 17 ans, très ciblés, et qui seraient au nombre de 57.000 dans ce cas chaque année, comme nous le disions plus haut.
Et en France ? Le flou règne, et ces thérapies de conversion ne sont pas condamnées. Mais il est très difficile d'évaluer leurs nombres, comme le révélait un article paru dans le journal Libération et daté de janvier 2017. "En France, il y a cinq ou six groupes qui pratiquent des “thérapies” de conversion" expliquait Louis-Georges Tin, militant homosexuel et auteur du Dictionnaire de l’homophobie (publié aux PUF en 2003). "Mais elles sont aussi le fait de psychiatres et des psychothérapeutes, difficiles à combattre, qui continuent à "guérir" leurs patients dans le secret des cabinets." Reste que si Malte, pour revenir à cet exemple, est effectivement devenu le premier pays européen à interdire les "traitements" censés "guérir" les personnes LGBT et qu'il s'est même penché sur l'ouverture de l'union civile et de l'adoption aux couples homosexuels, avorter dans ce minuscule Etat très catholique est encore totalement interdit, même s'il y a un risque vital pour la mère...