AlloCiné : Un couteau dans le coeur est un film qui attire l'oeil par plein d'aspects, sa mise en scène, ses couleurs, sa musique, son casting... On y décèle des références qui donnent presque envie de visionner le film une seconde fois pour considérer à nouveau ses influences...
Yann Gonzalez, réalisateur : Je crois qu’il n’y a pas besoin de références. Peut être qu’on y voit des petits détails en plus qui nous permettent d’apprécier davantage le film, mais je ne crois même pas. Pour moi, ce n’est pas le jeu des 7 erreurs. Il n’y a pas de références à trouver, il y a un univers qui je pense est accueillant et ouvert. Pour moi, c’est la proposition d’un voyage. On peut arriver vierge de toutes références, à 15, 16 ans. Avoir très peu de films jusqu’ici et entrer. C’est un film qui parle du sentiment, avec des personnages intenses, c’est une aventure. C’est un film d’aventure au sens large du terme pour moi.
C’est vrai qu’à chaque fois qu’on me rencontre, on me parle beaucoup de ça, parce que je suis très cinéphile, je vois beaucoup de films, donc ça rejailli d’une certaine manière. Mais pour moi ce sont les personnages qui sont au cœur du film, l’histoire aussi abracadabrantesque soit-elle. Oui, il y a quelque chose de farfelu dans ce récit, surement incohérent, mais il faut se laisser guider par les sentiments, les émotions de ces personnages, et c’est en cela qu’on a besoin de rien. Il faut juste se laisser aller, guider.
J’imagine bien que c’est une tonalité un peu différente de ce que l’on voit d’habitude. Peut être certains y voit une forme de théâtralité, un jeu pas forcément très naturaliste, mais ce ne sont pas des questions que je me pose.
J’ai envie comme un enfant de créer une histoire de toute pièce, avec ses propres dialogues, sa propre grammaire, ses propres éléments de fiction, mais tout en laissant le jeu ouvert, que tout le monde puisse y entrer. Je n’ai pas envie d’exclure des gens en faisant des films, au contraire. J’ai envie que les gens aient le désir en sortant du film de vivre dedans comme dans une maison accueillante et ouverte.
Je me considère à la fois comme un cinéaste et un cinéphile
Quand je parlais de référence, cela voulait dire aussi que c’est un film qui peut donner l’envie d’en découvrir d’autres. Vous citez dans vos références un film dont je dois reconnaître n’avoir jamais entendu parler jusqu’ici Simone Barbès ou la vertu, et cela peut susciter la curiosité de le découvrir.
C’est génial. Si ça donne accès à des films dont les gens n’avaient jamais entendu parler, c’est magnifique parce que moi je me considère vraiment à la fois comme un cinéaste et un cinéphile.
Quand je fais mes films, je suis totalement cinéaste, mais évidemment il y a aussi ma mémoire de cinéphile qui traverse mes images, même si je n’y pense pas forcément de manière consciente. Je me sens comme un passeur aussi. Si ça peut inspirer d’autres gens à leur tour, c’est génial. C’est comme un cadeau bonux ! (rires)
Parlons de votre mise en scène. Qu'est-ce qui vous a guidé dans ces choix ?
C’est retrouver une part de risque et une part d’enfance à la fois, avec tous mes collaborateurs. Se délester du poids de cette société qui juge, toujours un peu patriarcale, qui est aussi une société de cinéma patriarcale, qui parfois nous pousse jusqu’à l’auto-censure. Vraiment se libérer de tout ça et faire un cinéma plus intuitif, plus joueur, plus ludique. S’amuser nous-mêmes en espérant amuser nos spectateurs. J’ai beaucoup travaillé en amont avec mon chef opérateur et ma chef décoratrice, et j’ai l’impression qu’on a vraiment délimité ces terrains ensemble, et cherché à faire des paris.
Il fallait qu’il y ait ce goût du danger chaque jour
Chaque jour sur ce tournage, il y avait des paris à faire, des enjeux, des choses qu’on avait jamais faites. On avait envie de risquer, de tenter. Il fallait qu’il y ait ce goût du danger chaque jour, flirter avec le danger de manière joyeuse. Ca a été un tournage vraiment très joyeux. Donc inventer un mouvement de caméra, inventer un raccord, confronter deux acteurs qui a priori étaient aux antipodes… Tout ça, ce sont des paris de mise en scène qu’on avait envie de faire et qui forcément dépassaient le cadre de la mise en scène pure pour aller vers la lumière, les costumes, les décors, qui pour moi font partie de la mise en scène.
Avec le recul, comment avez-vous vécu la présentation cannoise et l’annonce d’être en compétition? Etait-ce pour vous le meilleur endroit pour présenter le film?
Oui, oui, c’est le meilleur endroit. Beaucoup de gens nous ont dit que c’est un film qui aurait été davantage protégé à la Quinzaine des réalisateurs ou à la Semaine de la critique ou à Un Certain Regard. Je n’avais pas envie d’être protégé, j’avais envie d’y aller. J’avais envie d’assumer ce film jusqu’au bout et assumer le monde que j’ai créé, mes personnages. Donner un coup de projecteur sur ces personnages de la marge, et les baigner de lumière.
Une manière de dire que cette marge de cinéma pouvait un moment donné redéfinir la norme
Pour moi, la lumière du film, c’est Vanessa Paradis. J’ai l’impression qu’elle inonde de lumière tous les personnages. Pour moi, la mise en Théâtre Lumière de Thierry Frémaux, c’était une manière de dire que cette marge de cinéma pouvait un moment donné redéfinir la norme. Mettre la marge au centre. C’est un geste presque politique de la part de Thierry Frémaux que je trouve très fort. Même si effectivement ça nous met en danger, ça clive encore plus, ça énerve… Ca irrite un peu les pudibonds et les grenouilles de bénitier, je trouve ça jouissif.
Je me demandais si vous aviez envisagé à un moment de faire participer Vanessa Paradis à la bande-originale ?
Non, non, je l’ai engagée en tant qu’actrice, même si j’aime beaucoup sa musique. Pour moi, elle était là en tant qu’actrice et il ne fallait pas que ça déborde sur le reste. Je n’avais pas envie de convoquer la chanteuse, mais l’actrice. Donc, non, il n’en a pas été question.
J’ai vraiment besoin de me remettre à rêver, à imaginer des choses, des personnages, des récits. Besoin de paresser aussi, c ‘est important !
Avez-vous déjà un projet en écriture pour la suite ?
Pas encore. J’ai vraiment besoin de me remettre à rêver, à imaginer des choses, des personnages, des récits. J’ai juste besoin de me poser, d’écouter de la musique, de lire des livres, de voir des films, de vivre des choses dans ma vie personnelle, de faire l’amour, de rencontrer des personnes… Me re-nourrir pour être regonflé à bloc pour que des histoires puissent sortir de mon vécu et de mes nourritures culturelles. Je ne suis pas du genre à faire un film par an, j’ai besoin de souffler, de me régénérer et tout ça, ça prend du temps. Besoin de paresser aussi, c ‘est important !
La bande-annonce d'Un Couteau Dans le Coeur :