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    The Americans : Fin en apothéose pour l'une des plus belles séries de la décennie

    Il y a quelques jours, "The Americans" s'achevait, livrant un final aussi poignant que sublime. Retour sur une série confidentielle qui a marqué son temps et qui gagnerait, on l'espère, à être découverte et redécouverte à travers les années...

    Capture d'écran

    Attention, cet article contient des SPOILERS sur "The Americans" !

    Une série qui s'en va, c'est toujours un moment de tristesse pour les téléspectateurs qui en ont suivi les rebondissements. Une très bonne série qui s'en va, c'est carrément une petite mort pour tous ceux qui l'ont tendrement aimée pendant plusieurs années, surtout, bizarrement, lorsqu'ils l'ont chérie en toute intimité, en toute discrétion. The Americans fait sans conteste partie de cette seconde catégorie. Au fil des ans, peu l'ont suivi, peu en ont parlé. Ce 31 mai sur Canal+ Séries, elle tirait d'ailleurs son ultime révérence, en faisant des "heureux-malheureux". Des fans heureux et satisfaits de voir que leur série s'achevait sur un final sublime. Des fans tout autant malheureux de devoir dire adieu à ce qu'ils ont toujours su être l'une des meilleures séries de cette décennie. Si ce n'est plus.

    Créée en 2013 par Joel Fields et Joe Weisberg, un ancien agent de la CIA, The Americans a toujours fait son petit bonhomme de chemin loin des foules, loin des audiences dithyrambiques. Six saisons durant, le drama de FX a toujours soulevé les plus belles critiques, été nommé à de nombreux prestigieux prix sans, pour autant, jamais vraiment obtenir les statuettes qu'il méritait. Finalement, seul l'American Film Institute a su récompenser ses qualités en la nommant quatre années de suite parmi les 10 meilleures séries de l'année.

    Et pourtant, quand on y pense, The Americans avait de quoi intriguer. On parle tout de même d'une série américaine qui a fait de ses héros des ennemis des Etats-Unis ! Mais aussi d'une série qui a réussi à faire aimer des espions russes à des téléspectateurs américains parce qu'elle a su être un modèle de nuances, un lieu où le blanc et le noir n'existent pas, tout comme les gentils ou les méchants. Il ne serait d'ailleurs pas fou de se dire, qu'à l'instar des grandes séries ignorées pendant leur diffusion, The Americans vivra un destin et une réussite parallèle...

    Dans un monde parfait, elle se révélera comme il se doit, au fil du temps. Et tous les chanceux qui n'ont pas encore eu à lui dire au revoir découvriront ses trésors. Autant les prévenir, ces chanceux, que The Americans n'envoie pas de la poudre et des paillettes aux yeux. A la place, elle exige une certaine attention, celle aussi de s'ouvrir à un univers particulier, où les couleurs sont loin d'être éclatantes, où le décor est souvent sombre et la nuit dense, où les scènes peuvent s'étirer dans la longueur et où le rythme n'est pas tout à fait le même. Une série riche en niveaux de lecture qui créé aussi un mélange d'action et d'émotions totalement unique.

    Keri et Matthew, armes de destruction massive

    Lorsque The Americans démarre, nous sommes en 1981, au début de l'ère Reagan, dans la dernière décennie de la Guerre Froide, période hautement paranoïaque. Philip et Elizabeth (Keri Russell et Matthew Rhys), deux agents du KGB infiltrés dans la banlieue de Washington depuis 15 ans, posent en tant que mari et femme. Après avoir fait semblant pendant toutes ces années, et avoir même eu deux enfants, Paige et Henry, tout change lorsqu'ils commencent à éprouver des sentiments l'un pour l'autre et à remettre en cause, de manière différente, leur double vie et la cause qui les transportait jusque-là.

    A partir de là, la série, qui s'appuie sur un authentique programme d'agents dormants du KGB infiltrés aux USA, les Illegals, n'ira jamais là où on l'attend et ne laissera rien au hasard, bâtissant des intrigues en saison 1 pour ne les résoudre que plusieurs saisons après.

    L'une des plus grandes forces du show réside dans les personnages complexes de The Americans, en premier lieu, Philip et Elizabeth. Epoux, amants, espions et partenaires sur le terrain, collègues à l'agence de voyage qui leur sert de couverture, ils représentent à eux seuls plusieurs vies. Sans compter celles qu'ils créent pour leurs missions d'espionnage respectives. 

    Elizabeth : Tout ça est très américain

    Si Philip et Elizabeth sont si fascinants, c'est évidemment à cause de leur métier mais aussi pour leur ambivalence et leurs différences. Pour leur couverture, ils ont dû effacer tout de leurs origines russes, ne rien laisser passer et tout abandonner derrière eux. Entraîner à s'aimer pour de faux, ils finissent par s'aimer pour de vrai, pour le meilleur et, surtout, pour le pire. Il s'agit d'un couple qui se doit de manier le mensonge et la manipulation dans tous les aspects de sa vie, même les plus intimes. Ce qui ne les empêche pas d'être parfaitement sincères et francs dans leurs sentiments mutuels. 

    Totalement dédiée à sa patrie et à la cause, anti-américaine jusqu'aux bout des ongles, Elizabeth est certainement l'un des personnages les plus durs, les plus impitoyables et les plus passionnés qui existent à la télévision. Avec ce rôle, Keri Russell fait d'ailleurs tomber la tendre Felicity aux oubliettes pour nous livrer la violente Elizabeth, une femme qui n'a confiance en personne et qui ne rechigne pas à tuer quand Philip, au fur et à mesure des saisons, ne supporte plus d'être l'arme au service de ses patrons. Quand la première reste mystérieuse même lorsqu'elle se veut chaleureuse, le second est un excellent vendeur qui reste ultra sympathique, même dans sa "fausse" vie. C'est précisément là que ce qu'ils sont vraiment transparait légèrement dans leur personnage respectif. 

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    Le mensonge pour visage éternel

    Vu la thématique de la série et les enjeux géopolitiques qui en découlent, le mensonge et la trahison sont évidemment au coeur de The Americans. Ils sont même le fond de commerce de Philip et Elizabeth et, même dans leur vie "publique", avec enfants et amis, ces derniers se doivent de mentir. Ce n'est pas pour autant qu'ils n'en souffrent pas. Ainsi, lorsqu'ils se retrouvent dans les bras d'un autre homme ou d'une autre femme, se servant du sexe comme d'un outil, on s'aperçoit que s'ils savent donner le change et revenir l'un vers l'autre comme si de rien n'était, une marque subsiste. A l'idée d'entamer des rapports avec Kimmy et Jackson par exemple, Philip et Elizabeth auront eu bel et bien des doutes et un dégoût d'eux-mêmes. 

    D'autres dommages collatéraux suivront bien évidemment, marquant les personnages et la série de leurs empreintes, à l'image de la douce et influençable Martha, dont le destin ne peut laisser indifférent, ou de Young Hee, seule amie qu'Elizabeth n'ait jamais réussi à se faire et qu'elle a dû trahir pour sa mission. Ce sont ces multiples vies éclatées, ces dommages collatéraux qui, petit à petit, amèneront à la déliquescence de la double vie de Philip et Elizabeth dans la saison 6... 

    Cette saison, des éclats de vérité et de conscience ont en effet surgi chez tous les personnages. Ainsi, Elizabeth a réalisé le mensonge du KGB et Henry, de son côté, a confié à Stan le fossé qui existait entre lui et sa mère, au cours d'une scène aussi touchante qu'inédite. Jamais, en six ans, Henry n'avait formulé ce manque. Inconsciemment, lui aussi, comme Paige en son temps, a toujours su que quelque chose n'allait pas. Cette saison, celle des révélations, aura aussi eu la force de montrer que, finalement, tout le monde savait. Stavos, l'employé des débuts, glisse également à Philip qu'il n'a jamais rien dit de ce qui se tramait dans les coulisses de l'agence de voyages. Quant à Stan, il engage une enquête personnelle contre ses amis et voisins, le coeur lourd et la peur au ventre...

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    L'authenticité comme moteur

    En dehors de la famille Jennings, The Americans a en effet réussi à déployer un fascinant portrait des rapports humains. La scène du final dans laquelle Stan confronte ses amis dans le parking est l'une des plus poignantes de la série et l'aboutissement de la lente et riche construction d'une amitié. Noah Emmerich livre là sa meilleure scène dans The Americans, révélant tout ce que le mensonge peut faire de dégât : "Tu as fait de ma vie une farce", assène-t-il avec émotion. "Tu as été mon seul ami de toute ma vie de merde. Pendant toutes ces années, c'était ma vie, la farce, pas la tienne", répond Philip avec tout autant de tristesse, sous le regard d'Elizabeth. 

    Des scènes comme celles-ci créent des personnages de chair et de sang. Si elles fonctionnent, c'est qu'elles viennent aussi dans un contexte où tout est authentique. Dans The Americans, le soin à la reconstitution des années 80 est évident, que ce soit au niveau des costumes que des décors. Tout est dans le détail et le fait de choisir des acteurs russes, ou parlant parfaitement le russe, pour camper les personnages russes que l'on voit le plus, qu'ils soient à la Rezidentura ou en Russie, est une autre preuve de l'authenticité de la série. Nina, Oleg ou encore Arkady Ivanovich sont autant de personnages attachants, et non de simples accessoires, qui ont fait la série. 

    L'attention aux détails s'entend jusque dans la musique, qui a toujours un sens par rapport à l'intrigue, mais aussi dans les techniques d'espionnage et de contre-espionnage de la série. Joe Weisberg y a évidemment apporté son expertise, notamment en matière de protocoles de communication de l'époque, à base de boites aux lettres mortes (pour déposer un message secret) et d'appels téléphoniques codés. 

    Ce qui fait de The Americans une série du réel, c'est aussi sa brutalité et le temps qu'elle prend pour faire les choses. La série nous a offert tout un tas de scènes violentes mais surtout perturbantes tant elles duraient dans le temps. Dans The Americans, un meurtre est sale, long et laborieux. Il ne se passe jamais comme il faut. Il est brutal et il se lit ensuite sur les visages. Ceux de Philip et Elizabeth qui, au fur et à mesure des six saisons, ont été marqués, par les assassinats et les méfaits commis. Même lorsqu'on suit la série depuis ses débuts, on se retrouve parfois choqués par la violence dont elle peut être capable. Souvenez-vous du coup de la hache cette saison ? Ou du meurtre de Gennadi et Sofia ? 

    Si ces scènes qui créent le malaise et le choc sont réussies, c'est aussi par le biais d'une mise en scène minutieuse. Dans la saison 5, on se souvient par exemple de cette opération qui dure véritablement 13 minutes à l'écran, presque sans aucune parole, créant tension, stress et suspense grâce à un rythme intelligent, et non lent, comme on pourrait le croire. Et qui aboutit, encore, à un meurtre de sang froid.

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    Une fin en apothéose 

    A la manière de Breaking Bad ou des Soprano qui ont mis sur le devant de la scène de grands anti-héros aux mains sales, The Americans a su, elle aussi, livrer un final marquant, qui embrasse tout ce que la série a été. Prévue depuis 2016, cette fin, écrite en amont et peaufinée pendant longtemps, ne va pas vers la logique qui aurait vu la mort de l'un de nos héros. Il faut se l'avouer, au vu de la saison 6, on s'attendait à ce qu'Elizabeth et/ou Philip ne survivent pas. A nouveau, la série n'est pas allée là où on l'attendait après une saison qui a monté crescendo pour resserrer l'étau autour de Philip et Elizabeth. Condensé de tension et d'émotions, "Start" est un bijou de Series Finale qui offre plusieurs scènes cruciales. 

    La première reste celle où Philip et Elizabeth, qui doivent quitter les Etats-Unis en urgence, tentent de s'organiser et, le coeur lourd et plein d'horreur (mais sachant qu'il s'agit de la meilleure décision pour lui), décident de laisser Henry derrière eux. C'est ensuite la scène du parking avec Stan qui, évidemment, emporte le souvenir. Une scène inédite et bouleversante à l'issue de laquelle l'agent du FBI fait le choix de laisser partir les Jennings. 

    Retourné dans la planque auprès de son collègue, pour à son tour "faire semblant", Stan est sous le choc, tandis que résonne "Brothers In Arms". Au son des Dire Straits, Oleg est dans sa prison américaine pendant qu'au loin, chez lui en Russie, son père annonce à sa femme que le père de son enfant ne reviendra pas. Les Jenning tournent aussi une page et se débarrassent de ce qui a fait d'eux des Américains, tout en jetant aussi le passeport canadien d'Henry avant de remplacer leurs bagues par les véritables alliances de leur mariage clandestin, celui-là même qui les a fait être découverts par le FBI. 

    Très attendus, les adieux au téléphone à Henry, sont également déchirants à plusieurs égards. Même à ce moment décisif, la vérité se doit d'être cachée sous peine qu'Henry, qui ne se doute toujours de rien, soit entaché. Quand Philip déclame son amour à son fils, ce dernier imagine que ses parents ont un peu abusé du vin sans savoir que c'est la dernière fois qu'il leur parle. "Je veux juste que tu sois toi-même... parce que tu es génial", lui dit Philip. Lorsque c'est finalement au tour d'Elizabeth, à nouveau, elle ne parvient pas à dire à Henry, avec ses propres mots, tout ce que son coeur contient d'amour. Et lorsqu'elle y arrive, Henry ne peut, lui, y répondre...

    Impossible non plus de ne pas évoquer la fantastique scène musicale de ce final sur "With or Without You", le tube de U2. Une scène qui alterne entre les émotions des héros et l'avancement du voyage de Paige, Philip et Elizabeth, pour finir par mêler les deux. Seul au monde, Stan regarde Renée dans le noir, en se demandant si leur relation est aussi un leurre. Il contemple la maison des Jennings, fantôme de son amitié avec Philip, pan de sa vie qui s'écroule en morceau.

    Pendant ce temps, les Jenning, eux, traversent le pays en train, chacun de leur côté, comme dans un tourbillon. Un contrôle a lieu. Le souffle court, ils passent au travers. Le train repart. Le soulagement est intense tout comme le choc brutal de voir soudainement Paige sur le quai, redescendue au dernier moment. Chacun à leur tour, ses parents découvrent que leur fille est définitivement partie, qu'elle les abandonnés comme ils ont abandonné leur fils, réalisant que sa vie n'était pas en Russie. Cette scène est l'une de celle qui restent en mémoire. Car là aussi, à nouveau, nos héros se doivent de rester impassibles, même si leurs traits tremblent, frémissent, contenant autant de douleur que d'horreur. Cette scène magistrale se termine d'ailleurs avec la douleurs de leurs deux plus grandes victimes : Stan arrive à l'école privée d'Henry pour lui dire l'impossible vérité, embrassant sans étonnement le rôle de référent parental qu'il a d'ailleurs toujours tenu à son égard. 

    Après un long voyage, Philip et Elizabeth arrivent enfin en Russie, non sans un rêve douloureux d'Elizabeth. Eux-même peinent à y croire, tant leurs souvenirs, vivaces certes, ne sont plus que des images passées d'une vie d'il y a vingt ans. S'arrêtant pour contempler Moscou et ses lumières, ils évoquent le passé, le souvenir de leur recrutement et la promesse qui leur avait été faite, celle d'une vie difficile. Ils refont l'histoire. Que se serait-il passé s'ils n'étaient jamais partis ? Se seraient-ils rencontrés ? Impossible pour eux de le savoir...

    Peut-être que la mort aurait été plus douce que la vie sans leurs enfants. Peut-être qu'effectivement, Henry et Paige ne sont plus des enfants et qu'ils s'y "habitueront", comme le dit Elizabeth, en russe. Peut-être qu'ils parviendront à redevenir Mikhail et Nadezhda, à appuyer sur "Start" et à faire abstraction comme ils l'ont toujours fait dans leurs missions auparavant, même les plus longues. Ou peut-être n'ont-ils simplement plus aucune maison, ni l'Amérique, ni la Russie. Juste l'un et l'autre, leur amour et, à nouveau, d'autres souvenirs à chérir d'une autre vie. 

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