Canal + sans le foot, le financement du cinéma français en péril ?
Olivier Pallaruelo
Olivier Pallaruelo
-Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

L'annonce de la perte des Droits de diffusion de la Ligue 1 du championnat de foot par Canal + à partir de la mi-2020 fait trembler les fondations du cinéma français. Et pour cause : la chaîne est son premier bailleur de fonds...

"Canal + survivra". Ce sont les mots de Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal +, au micro de la matinale de Patrick Cohen. C'est dire la violence du choc et, disons-le, de sidération, depuis l'annonce de la perte par la chaîne cryptée des Droits de diffusion de la Ligue 1 de football, raflés par l'agence espagnole Mediapro (mais contrôlée par un fonds chinois...), qui remporte aussi le match du dimanche 13h et multiplex du dimanche 15h. Bein Sport, le concurrent de Canal + sur ce créneau, a gagné un lot (les matches du samedi 21h et du dimanche 17h) et Free a remporté celui des droits numériques. Canal + n'a donc empoché aucun des lots mis en jeu par la Ligue de football professionnel (LFP) pour la période 2020-2024. Alors même que la diffusion du Football fait partie intégrante de l'ADN de la chaîne depuis sa création, en 1984...

Dans un communiqué diffusé hier, le groupe Canal + précise rester ouvert à tous les scénarios possibles, et qu'il va "examiner absolument toutes les options" dans la mesure où il existe "la possibilité de sous-licences." Maxime Saada se veut rassurant : " Canal+ s'est réinventé plusieurs fois. Il y a des moyens de se réinventer. On a un dispositif qui nous permet de résister à beaucoup de choses". Il n'empêche : la chaîne est, pour le moment, KO debout.

"C'est un séisme" lâche Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), cité dans le Film français"L’an dernier, dans un contexte tendu pour la production cinématographique, la réduction du chiffre d’affaires de Canal+ s’est déjà soldée par un financement inférieur de 40 millions dans le cinéma par rapport à 2016". Et l'intéressé d'envoyer une torpille sur l'actuelle équipe dirigeante du groupe : "Canal+ aurait pu au moins sécuriser un lot, Vivendi ayant les moyens d’investir. Ils ont joué petit bras et ils sacrifient le développement de Canal+ au profit d’une rentabilité. C’est un séisme. Est-ce que l’affaire est totalement jouée, et que Canal+ pourrait encore récupérer des droits ? Je ne sais pas. Les dirigeants de Canal+ avaient pour instruction de ne pas monter dans les enchères. Ma seule pensée va à André Rousselet, qui a créé la chaîne et l’a développée en la faisant tenir sur deux jambes, le cinéma et le foot. Bertrand Meheut et Rodolphe Belmer ayant enrichi le pôle création avec les séries. Les dirigeants actuels de Canal+ en ont fait une unijambiste".

La sanction boursière ne s'est d'ailleurs pas faite attendre après l'annonce de la nouvelle hier, qui a tourné au bain de sang pour l'action Vivendi. À la Bourse de Paris, l'action du groupe a perdu en séance jusqu'à 5%. En une matinée, la capitalisation boursière de Vivendi a perdu 1 milliard d'€, soit le montant de l'ensemble des droits du foot français...

Canal +, le bailleur de fonds du cinéma français

La nouvelle a logiquement provoqué un séisme dans le cinéma français, Canal + étant le premier bailleur de fonds du 7e Art en France. Par décret du 9 mai 1995, la chaîne doit en effet consacrer au moins 20% de ses ressources totales, hors taxes, à l’acquisition de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques. La chaîne a une obligation de 12,5% d’investissements dans le cinéma européen, et 9,5% dans des films d’expression originale française, ou de 3,62€ par abonnés selon les termes d'un accord signé en 2015 applicable jusqu’en 2019.

En 2017, Canal + a  injecté 158 millions € dans les préachats de 117 films français. Un niveau déjà en érosion depuis plusieurs années. Or, avec la fuite des abonnés qui devrait découler de l'absence de football à l'antenne, le chiffre d'affaires de la chaîne devrait fortement baisser. Et donc mécaniquement ses investissements dans le cinéma français...

Le Film français souligne que ce dossier brûlant arrive alors que deux autres dossiers majeurs sont déjà sur la table des discussions. D'abord la réforme de l’audiovisuel public, dont l’arbitrage relatif aux économies que l’Etat voudrait imposer oscilleraient selon les informations du Film Français entre 200 millions € et 1 milliard €. Autant dire une cure drastique. Cet arbitrage devrait d'ailleurs intervenir au sommet de l’Etat prochainement. L'autre dossier sur la table est celui de la modernisation de la chronologie des médias, dont la négociation se trouve désormais entre les mains du Ministère de la Culture.

La médiation pour réformer la chronologie des médias diffusant les films proposait encore en mars dernier que les services de vidéo à l'abonnement type Netflix puissent obtenir les mêmes droits que la télévision payante s'ils financent aussi le cinéma français. De fait, Canal + risque de se retrouver en concurrence de plus en plus frontale avec les services de vidéo à la demande (SVod). Et, dans ce domaine, Netflix est un mastodonte... Sans oublier la concurrence de OCS.

Canal + a d'ailleurs tenté de réagir à l’hémorragie d’abonnés (antérieure à la question des Droits du foot, faut-il le préciser...) et proposera à la rentrée une offre à moins de 10 euros par mois, visant les moins de 26 ans. Ces derniers pourront souscrire à la chaîne Canal+ pour la première fois à 9,95 euros au lieu de 19,90 euros par mois, sans engagement". Il sera alors possible de regarder les chaînes et les programmes de Canal+ via myCanal sur mobile, PC et tablette. Autant dire que les semaines à venir vont être cruciales pour la chaîne cryptée.

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