C'est l'un des visages emblématiques de France 2 : Olivier Minne, présentateur de Fort Boyard depuis 15 ans et de nombreux jeux télé, comme Pyramide, La Cible ou plus récemment Joker, Tout le monde a son mot à dire et Les 5 anneaux d'or. Mais vous souveniez-vous qu'Olivier Minne avait aussi été l'un des rares speakerins (ou speakers) de la télévision française ? Il fut même l'un des tous derniers speakers d'Antenne 2 au début des années 90. Il a par ailleurs signé un livre hommage aux speakerines il y a un peu plus de 20 ans et travaille justement à un nouvel ouvrage sur le sujet. Fort de cette expérience et expertise sur les speakerines, personnages au coeur de la nouvelle série de France 2 dont deux épisodes inédits seront diffusés ce soir sur France 2, nous avons eu envie de nous entretenir avec le présentateur télé, qui est aussi féru de cinéma. Interview.
AlloCiné : Avez-vous vu la série Speakerine sur France 2 ? Qu'en avez-vous pensé ?
Olivier Minne : Oui, j'ai vu la série bien sûr. Ça m'a intéressé bien entendu puisque j'ai été la dernière speakerine à avoir fait une annonce sur la 2, et parce que j'ai été formé par la première speakerine [Jacqueline Joubert]. Donc je connais bien mon sujet.
J'ai regardé avec curiosité, j'ai trouvé que Marie Gillain incarnait très bien ce qu'aurait pu être une speakerine dans les années 60 puisque c'est la période qui a été visée par les scénaristes. Après, c'est une fiction, donc forcément elle prend des libertés avec ce qu'était la réalité de l'époque mais j'ai trouvé que ça se tenait.
Marie Gillain incarne très bien ce qu'aurait pu être une speakerine dans les années 60
C'est de la fiction, mais savez-vous si une speakerine en particulier a servi un peu de modèle ?
Je ne sais pas ce que Marie Gillain ou les scénaristes ont pu en dire. Dans son caractère, c'est quelqu'un qui ne se laisse pas faire, avec son mari qui essaye de la remettre en place en permanence. Quand je dis en place, je parle de celle dévolue aux femmes à l'époque, celle de femme au foyer et le fait qu'elle s'en défende en permanence. Ca, c'est très caractéristique de beaucoup de femmes de l'époque bien sûr, et des speakerines en l'occurrence puisqu'elles avaient la possibilité de travailler de leur côté, de gagner leur vie sans forcément attendre de leur mari que l'argent rentre à la maison.
On va dire que c'est un mélange entre Jacqueline Joubert, Marianne Lecène... Anne-Marie Peysson était plus moderne que ça. Le personnage de Marie Gillain a un look très classique : ils l'ont mis dans un profil de tailleur, assez classique, ce dont beaucoup de speakerines s'était déjà détaché dans les années 60. On va dire que le look est plutôt Catherine Langeais, et le caractère et la tête, on est plutôt chez Joubert.
Vous parle-t-on encore régulièrement de l'époque où vous étiez speaker ?
Non. Très sincèrement, non. De temps en temps, des gens qui veulent me montrer qu'ils me suivent depuis longtemps m'évoquent les 400 coups que j'ai pu faire à l'époque quand j'étais gamin et que j'ai commencé comme speakerin. Mais c'est extrêmement rare d'avoir des gens qui me parlent de cette période. Ce n'est pas tout frais tout ça !
Aimeriez-vous que les speakerines reviennent à l'antenne ou serait-ce une mauvaise idée ? Eprouvez-vous une forme de nostalgie ? Comme vous aviez écrit un livre sur le sujet, c'est quelque chose qui vous tient probablement à coeur…
J'avais écrit un bouquin il y a 22 ans [La Saga des speakerines, ed. Michel Lafon, 1996]. C'était plutôt une sorte d'essai assez maladroit. Mais là c'est bizarre que vous m'ayez appelé -parce qu'il y a plusieurs mois de ça, je ne savais pas qu'allait sortir une série à ce sujet, mettant en scène comme personnage principal une speakerine-, car je suis en train de réécrire complètement un bouquin sur l'histoire des speakerines, depuis 1931. Ce livre n'aura rien à voir avec celui qui a été écrit il y a 22 ans. Je me suis replongé ces derniers mois dans toute l'histoire que j'avais déjà évoqué, dans toutes mes notes et tous mes enregistrements de toutes les speakerines de l'époque.
Catherine Langeais et Jacqueline Joubert, dont j'étais très proche, me disaient que ce métier était avant tout l'incarnation d'une antenne. On va dire que c'est l'aspect romantique de la fonction, l'incarnation d'une antenne féminine qui a tout moment permettait de savoir ce qui allait se passer le moment d'après. Il n'y avait pas Internet bien sûr. A la fin des années 40, début des années 50, les magazines télé n'étaient pas encore existant réellement. Télé 7 Jours n'existait même pas. C'était son ancêtre qui évoquait les programmes.
Remettre les speakerines à l'antenne ? C'est sûr que ça ferait un peu de buzz et ça créerait une identité particulière
Et la fonction de speakerine avait pour but de pallier les manquements de la technique. La technique était encore fragile. Aujourd’hui c'est extrêmement rare ; ça ne justifierait pas d'avoir un bataillon de speakerines. Seulement, puisqu'on est dans une époque où je trouve que tout est très formaté, tout se ressemble, c'est vrai que d'avoir des speakerines qui viendraient de temps en temps, c'est sûr que ça ferait un peu de buzz et ça créerait une identité particulière.
C'était aussi un lien très humain, c'était les seuls qui parlaient directement en plan serré au téléspectateur. Il y avait quelqu'un dans votre salon qui vous parlait directement. C'était vraiment une relation très particulière, une relation entre deux personnes. Cette relation créait des sentiments très divers chez les téléspectateurs puisqu'il y en avait qui pensaient réellement que la speakerine leur parlait et partaient dans des délires épouvantables en les harcelant. Certains se prenaient pour leur fils ou leur amant.
Donc économiquement ça ne tiendrait pas la route car ce serait de la pub en moins, une minute ça coute cher en télévision, mais je continue de penser que peut être qu'un jour -c'est très improbable- quelqu'un de la télé se dira 'pourquoi ne pas aller à contre-courant de tout ça' et revenir sur ce côté un peu vintage, puisque le vintage fonctionne si bien finalement.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet de livre que vous avez ? Dans ce premier livre sur les speakerines que vous aviez écrit, on apprenait par exemple que Chantal Lauby avait été speakerine !
A l'époque, en 1996, quand La Saga des speakerines est sorti, je n'ai pas osé écrire certaines choses car vivaient encore Jacqueline Joubert, Catherine Langeais et Anne-Marie Peysson. Dans la manière dont j'ai évoqué à la fois leur parcours et ce qu'elles m'ont dit surtout, il y a des choses que je me suis interdit de raconter, entre autres sur la relation entre Catherine Langeais et François Mitterrand. Parce que Catherine était vivante, parce que Catherine avait décidé de n'en parler qu'à demi-mots et elle m'avait demandé d'être extrêmement prudent dans les mots que j'utiliserai concernant sa relation avec François Mitterrand. C'est ce que j'ai fait.
Il y a des choses que je m'étais interdit de raconter
Quand j'avais remis mon livre à l'éditeur, François Mitterrand n'était pas encore mort. Quelques mois plus tard, il meurt et Catherine Langeais donne une grande interview à Paris Match dans laquelle elle donne des extraits des lettres que François avait écrit à Marie-Louise puisqu'elle s'appelait Marie-Louise à l'époque. Je pense que j'avais été un des premiers à lire les lettres que François Mitterrand avait écrit à Catherine Langeais. Quand elle m'a remis ces lettres et m'a autorisé à les lire, j'avais vraiment l'impression d'entrer dans la tombe de Toutânkhamon. (…)
Bref, que ce soit dans les relations que ces femmes ont eu avec les hommes qui dirigeaient la télévision à l'époque, le combat qu'elles ont mené les unes et les autres pour plus d'égalité… Tout ça, je ne l'ai pas évoqué aussi clairement que ce que j'aurais pu / dû le faire à l'époque. J'étais jeune. Donc ce livre va être très augmenté par rapport à ça. Et puis je parle davantage de ma relation et la manière dont j'ai vécu le métier parce que je ne l'avais pas dans ce livre à l'époque. Je m'étais effacé par rapport au récit. Je parle davantage de la manière dont ce métier existait quand je l'ai connu puisque je l'ai connu les trois dernières années.
Clémentine Célarié et Annie Duperey ont essayé d'être speakerine
Et par rapport à ce que vous me disiez, certes il y a eu Chantal Lauby, mais il y en a eu d'autres qui ont essayé aussi. Clémentine Célarié avait essayé. Il y a Marie Dubois, qui s'appelait Claudine à l'époque. Il y en a une qui a failli aussi, mais qui n'y est pas allé, c'est Annie Duperey. Elle a voulu passer le casting à Rouen ; elle est partie au casting avec une femme qui s'appelait Jacqueline Alexandre, qui a présenté Soir 3, qui a fait une très belle carrière de journaliste. Annie Duperey n'a pas été prise et c'est Jacqueline Alexandre qui a été prise.
Le livre sortira aux éditions du Rocher fin octobre - tout début novembre. Il ne sera ni un essai ni une succession de bios. C'est un mix entre des souvenirs personnels, mélangés à des faits historiques et à des témoignages de toutes les femmes qui ont été speakerines, emblématiques en tout cas, et qui m'ont parlé à l'époque. J'évoquerai aussi dans ce nouveau livre ce qu'ont été les speakerines et ce qu'elles ont apporté en Belgique, à Monte-Carlo et dans le Grand Duché du Luxembourg. C'est intéressant de mettre en parallèle les parcours des femmes entre Bruxelles, le Grand Duché et Monaco, parce qu'il y avait une approche différente de ce métier, de ce que pouvait faire une femme à l'antenne.
Travaillez-vous sur d'autres livres ? Vous avez récemment signé un livre sur Louis Jourdan. Peut être préparez-vous un autre livre sur un autre acteur ?
Non, je n'ai pas de projet de biographie ou de choses comme ça. Mais il y a un autre livre qui n'a rien à voir avec tout ça, qui est un roman. Je vous avouerais que j'écris ce livre parce que mon éditeur Séguier, chez qui j'ai sorti le livre sur Louis Jourdan, est convaincu que je dois maintenant partir sur cette voie. Alors j'y vais ! J'ai été surpris. Mais finalement il y a des moments où il faut se résoudre aussi à accepter que l'autre à une vision plus claire de vous que vous-même. Je pars dans cette aventure, je ne sais pas ce que ça donnera. En tout cas, c'est passionnant.
Claire Chazal, comédienne pour une fiction de France 3Pour revenir à la fiction et au cinéma, on a pu voir récemment une reconversion étonnante, de l'animatrice télé Sandrine Quétier vers la fiction. Vous avez fait un peu de fiction par le passé, mais cela commence à remonter. Est-ce une envie que vous avez aujourd'hui ? Pourriez-vous vous reconvertir comme l'a fait Sandrine Quétier ?
J'ai fait une série, en coproduction avec la Belgique et Telfrance, qui s'appelait A tort ou à raison, de 2008 à 2012 environ. J'ai fait quelques unitaires et quelques apparitions dans d'autres choses. Mais non, j'ai décidé l'année dernière que j'arrêtais de jouer. C'est trop compliqué quand on est animateur d'imposer une autre image. La manière dont les sociétés de production se comportent vis à vis de vous, je préfère m'épargner ce qui m'a été imposé ces dernières années. Il y a une forme de condescendance et de mépris qui, passé un certain âge, n'a plus à être d'actualité. Je préfère arrêter.
J'ai décidé l'année dernière que j'arrêtais de jouer. C'est trop compliqué quand on est animateur d'imposer une autre image
Et de voir un parcours comme celui de Sandrine Quétier, de prendre ce risque, est-ce que ça vous a surpris ?
Elle est beaucoup plus jeune que moi. Elle a raison de tout arrêter si elle pense qu'elle a vraiment un truc à faire. C'est maintenant qu'il faut arrêter pour pouvoir construire une autre carrière. C'est ce qu'avait fait en son temps Caroline Tresca. Caroline a tout arrêté pour ça, à la fois pour faire de la peinture mais également pour jouer. Elle a eu tout à fait raison de le faire.
Mais ça reste très compliqué, à part si vous êtes très soutenu par la chaine qui vous emploie. J'ai des confrères comme ça, comme Jean-Luc Reichmann sur TF1 et Stéphane Plaza sur M6. Il ont un contrat avec leur chaîne. Mais pour un exemple comme celui-là, il n'y en a pas d'autre.
Encore un dernier petit mot sur votre cinéphilie. Vous avez écrit un livre sur Louis Jourdan, vous partagez un certain nombre de choses sur le cinéma sur les réseaux sociaux, on décèle un certain appétit pour le cinéma chez vous… Comment définiriez-vous votre cinéphilie ?
Ma cinéphilie est assez éclectique. Je n'ai aucun a priori sur quelque cinéma que ce soit. Après j'ai des goûts,des préférences qui sont liés aussi à mon âge. On a des nostalgies qui font que… Je peux très bien aller voir un bon pop-corn movie, et puis à côté de ça, aller voir des films plus indépendants ou moins mainstream.
Quand j'étais gamin, il n'y avait pas beaucoup de chaînes et la télévision proposait beaucoup de films en prime-time. Dans les années 70, c'était des films qui pour le coup n'étaient pas si vieux que ça, quand c'était des films des années 40 ou 50. Il n'y avait que 20 ou 30 ans d'écart entre leur sortie et leur diffusion. Aujourd'hui, il faut ajouter 40 ans de plus, c'est ce qui empêche ces films-là d'être à nouveau diffusés. Mais je prends ça comme une richesse. C'est ce qui m'a permis de découvrir tout un cinéma américain, français, italien... Si j'avais 14 ou 16 ans aujourd'hui, je n'y aurais pas eu accès aussi facilement. Aujourd'hui, il faut y aller soi-même ; il ne vous est pas présenté d'emblée. Il faut avoir une cinéphilie chevillée au corps pour se plonger dans l'histoire du cinéma.
Donc ça va d'un bon John Wayne à La La Land, en passant par un film avec Rita Hayworth… Ça peut être un Hitchcock, un Howard Hawks… J'ai vraiment des goûts qui sont larges. Ce que j'aime, c'est quand ça touche à des sujets universels, et voir ces films – que ça soit par le cadrage, la manière de jouer, par la lumière, c'est à chaque fois des histoires qui sont plus grandes que la vie.
La bande-annonce de Speakerine, sur France 2 ce soir, à partir de 20h50 :