"A partir d'aujourd'hui, vous ne parlerez que quand on vous parlera, et les premiers et les derniers mots qui sortiront de votre sale gueule, ca sera "chef". Tas de punaises, est-ce que c'est bien clair ?" - Chef, oui chef !- "Mon cul, je n'entend rien ! Montrez-moi que vous en avez une paire !"
C'est peu dire que dès sa toute première réplique dans Full Metal Jacket, le vachard et sadique sergent instructeur Hartman harponnait les spectateurs, pour ne plus jamais les lâcher. Une composition absolument géniale, pour laquelle R. Lee Ermey obtiendra même une citation au Golden Globe du Meilleur second rôle, en 1988. Si l'acteur cumule plus de 60 rôles plus ou moins consistants, que ce soit à la TV, au cinéma, ou même sa voix, aucun n'a eu autant d'impact et fut autant mémorable que celui qu'il joua chez Kubrick, d'autant que beaucoup de ses répliques furent improvisées par lui.
Ermey n'a d'ailleurs pas eu besoin d'aller chercher très loin pour composer son personnage : il fut lui-même sergent instructeur pour le Corps des Marines. Entré en 1961, il fut entre 1965 et 1967 instructeur au Marine Corps Recruit Depot San Diego en Californie puis fut envoyé en 1968 au Viêtnam, où il servit durant 14 mois dans le Marine Wing Support Group 17. Il continua son service à Okinawa et obtint le grade de Staff Sergeant avant d'être réformé en 1972 pour des raisons médicales. Ermey affirma souffrir de cauchemars dus aux expériences traumatisantes lors des combats.
Initialement, Ermey ne devait même pas jouer dans le film de Kubrick; il fut engagé comme conseiller militaire technique par Ian Harlan, le beau frère de Kubrick, qui travailla sur le film. "Il ne devait absolument pas être un acteur !" nous disait d'ailleurs Harlan, lorsque nous avions fait en sa compagnie une visite guidée de l'exposition consacrée à Stanley Kubrick à Paris en 2011. "Il devait montrer à l'équipe comment manipuler toutes ces armes, comment bouger, ect... C'était un vrai sergent instructeur, et il avait fait le Viêtnam. A l'époque, il était dans un bureau à New York, où il aidait d'anciens Marines à retrouver du travail. Je suis donc allé le voir, et lui ai proposé un poste de conseiller technique sur le film, qu'il a accepté. Il est venu avec un permis de travail en Grande-Bretagne. La suite est assez étonnante. On lui avait demandé de sélectionner les figurants, en leur donnant la réplique. C'était intéressant de le voir faire et travailler avec les gens. Il avait récupéré un uniforme du département des costumes, et il a refait exactement ce qu'il aurait fait dans la vraie vie, en utilisant notamment un langage plutôt fleuri qui était nouveau pour nous. En visionnant les vidéos des essais, Stanley a adoré ! Il a alors dit : "il faut l'engager ! Il faut qu'il joue le personnage ! On ne peut pas rêver mieux !"
Effectivement. Avec cette composition, Ermey a joué là le rôle de sa vie. So Long l'artiste...