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    Cinéma d'horreur français : pourquoi est-ce si compliqué ?

    Pourquoi est-il si compliqué de produire du cinéma de genre en France ? On a mené l'enquête et on en a discuté avec les réalisateurs. Tour d'horizon en quatre actes.

    Il y a dix ans, le monde du cinéma de genre était secoué dans tout son être par la déflagration Martyrs. Dix ans plus tard, Pascal Laugier, après avoir réalisé un film aux Etats-Unis, revient à une coproduction franco-canadienne en réalisant Ghostland. Depuis Martyrs, qui était sorti à la même période que les tout aussi extrêmes Frontière(s) ou A l'intérieur, on s'aperçoit que les propositions en matière de cinéma d'horreur en France ne se sont pas multipliées de manière phénoménale. Plus que jamais, et ce malgré les récents Grave ou La Nuit a dévoré le monde, on a l'impression que faire du cinéma d'horreur en France, c'est toujours une histoire compliquée. 

    Partie I : des films difficiles à produire dans le système de financement à la française

    Partie II : un public en demande qui ne se déplace pas forcément en salle

    Partie III : le genre snobé par la critique ?

    Le cinéma d'horreur peine à trouver sa place dans la grande famille du cinéma français. Réunir des financements se révèle laborieux et le soutien du public reste timide lorsqu'il s'agit de se déplacer en masse dans les salles en dehors du cadre des festivals. Qu'en est-il de la critique, dont l'impact sur les entrées est assez faible (bien que difficilement mesurable), mais dont l'influence sur l'image des films dans l'inconscient collectif est bien réelle ? Le cinéma d'horreur français parvient-il à trouver grâce aux yeux de la sacro-sainte critique cinématographique française ?

    Pascal Laugier, qui avait subi avec Martyrs les foudres de la critique non spécialisée (quand les magazines Mad Movies et L'Ecran fantastiques avaient vivement soutenu le film), a une idée assez claire sur la question : « Il y a toute une histoire de la critique française, d'André Bazin à Jean Douchet, en passant par Serge Daney ou les Inrockuptibles, et il y a un dogme idéologique qui tend à affirmer que le cinéma sera réaliste ou ne sera pas. Je crois que c'est Jean Douchet qui a dit quelque chose comme ça : "La caméra sera un outil d'enregistrement du réel ou rien du tout." »

    Dans l'histoire de la critique française, il y a un dogme qui tend à affirmer que le cinéma sera réaliste ou ne sera pas

    « Quand j'étais étudiant en école de cinéma, poursuit-il, j'avais des professeur godardiens, issus de cette pensée-là, qui me disaient : "Le fantastique… mais le cinéma est par essence fantastique, donc faire du fantastique c'est redondant, c'est vulgaire. Filme ta vie, filme ce que tu connais, tu verras, c'est déjà bien assez compliqué comme ça." Moi, à 20 ans, je savais déjà que ce n'était pas ça que j'avais envie de filmer. Ce dogme idéologique, je me le prends de plein fouet depuis que j'ai envie de faire des films qui viennent de mes maîtres à moi, John Carpenter, Dario Argento ou Tobe Hooper. Ce dogme du naturalisme à la française, on a du mal à le briser. Le cinéma français a une idée de lui-même avec des limites sur ce qu'on peut faire et ce qu'on ne peut pas faire. »

    Au-delà de la question du naturalisme et de l'attachement de la critique française à une forme de réalisme, se pose la question de la politique des auteurs. De tous temps, de Georges Méliès à Roman Polanski, des pionniers à ceux que la critique a élevés au rang de maîtres, les cinéastes français se sont confrontés au genre. Pour autant, il faut distinguer ceux qui envisagent le genre comme une composante de leur cinéma de ceux qui s'inscrivent pleinement dans une histoire du genre, ceux qu'on désigne comme les "maîtres de l'horreur" et parmi lesquels on retrouve les réalisateurs cités plus haut par Pascal Laugier. Le genre est toujours un moyen, mais pas nécessairement une fin. Et du point de vue de la critique traditionnelle, la fin pour un cinéaste consiste davantage à se révéler en tant qu'auteur qu'à s'accomplir au sein d'une histoire du genre horrifique. Aussi, la lourde tâche qui incombe à la nouvelle génération de cinéastes, si l'on s'intéresse au prisme de la reconnaissance critique, est de cet ordre. 

    Laurent Champoussin

    De ce point de vue-là, les films sortis récemment comme Grave ou La Nuit a dévoré le monde, s'en sortent très bien, ainsi que le souligne Coralie Fargeat, réalisatrice de Revenge, dont la réception critique a toutefois été mitigée. « C'est vrai qu'on a un rapport très compliqué, en France, au cinéma de genre français. Il y a une relation d'amour/haine quand il s'agit de films qui viennent de chez nous. Si dernièrement, ça a été un genre mal aimé et peu produit, c'est sans doute lié au fait qu'on en a assez peu fait, que les tentatives n'étaient pas toutes très abouties. On a de plus en plus de tentatives réussies et qui sont de vraies proposition de cinéma, avec un point de vue et des parti pris forts qui permettent de revisiter les codes du genre. C'était le cas de Grave de Julia Ducournau. Mon film, Revenge, est encore une proposition complètement différente, La Nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher, est encore autre chose. » 

    Si bien peu de cinéastes et d'artistes s'attachent à l'éventualité d'un succès critique, la critique a un vrai rôle à jouer en ce qui concerne la reconnaissance du genre et la réception critique des films cités ci-dessus semble corroborer l'idée selon laquelle l'horreur française en tant que telle peine aujourd'hui encore à acquérir ses lettres de noblesse dans les cercles intellectuels de l'éminente critique française. Un constat qui vient s'ajouter aux difficultés de financement et à la défiance du public et qui conduit, bien souvent, les cinéastes à quitter la France pour essayer de réaliser leurs projets dans de meilleures conditions. 

    Retrouvez dès demain la suite et fin de notre enquête "Cinéma d'horreur français, pourquoi est-ce si compliqué ? Partie 4 : la fuite des talents outre-Atlantique", qui sera disponible à partir de 19h sur AlloCiné. 

    La bande-annonce de Grave (2016) :

     

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