C'est l'histoire d'un homme qui perd tout, aussi bien sa femme et son logement que son travail... et son humanité. Car Chien ne se focalise pas sur l'animal de compagnie de Vincent Macaigne dans le film, mais bien la façon dont son personnage va petit-à-petit se rapprocher d'un animal aux yeux des autres, et notamment du protagoniste incarné par Bouli Lanners. Un drôle de pitch pour un résultat qui ne manque pas de mordant, né dans l'esprit de Samuel Benchetrit. Sous la forme d'un livre, écrit au sortir d'une dépression tout d'abord, puis dans une adaptation en long métrage à retrouver à partir du 18 juillet en DVD, réalisée par ses soins, et qu'il nous a détaillée.
AlloCiné : Avez-vous écrit ce livre avec l'intention d'en faire un film ensuite ?
Samuel Benchetrit : Pas du tout. J'étais en train de finir Asphalte quand son producteur a lu le livre et voulu acheter les droits pour en faire un film. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m'a répondu que le déclassement au coeur du récit l'intéressait. Il m'a proposé de le faire et je m'y suis mis, mais sans jamais relire le livre. Et je m'y suis attaché.
Vous aviez écrit "Chien" au sortir d'une période sombre de votre vie. A-t-il été compliqué pour vous de vous replonger dans cet état d'esprit, cet univers ?
Non, même s'il s'agit d'un livre - et d'un film - sur l'effondrement d'un homme. On y pense donc et ça nous atteint, bien sûr. Asphalte, mon film précédent, était sur l'élévation, des gens qui s'aiment et se rencontrent. Ça ne touche pas de la même façon.
Pourquoi avoir choisi cet animal, le chien, pour représenter l'effrondrement, le déclassement du personnage principal ?
C'est un symbole le chien. C'est ce qu'il y a de plus proche de nous dans ces villes, en termes d'animal dressé. Le chien est tel que les hommes ont envie qu'il soit, ça n'est pas un animal sauvage. Peut-être qu'à la campagne j'aurais fait quelque chose sur les chevaux.
Inscrire le film dans une dystopie pour rendre la chose moins violente
Le film a l'aspect d'une fable et semble également parler de notre société. Est-ce dans ce but que vous avez choisi que le lieu et l'époque restent flous ?
Oui, c'est exactement pour cette raison. Le livre se déroulait dans Paris, avec des noms de rues. Mais c'est un livre, il y a quand même des filtres entre les mots et le lecteur. Là je voulais inscrire le film dans une sorte de dystopie pour rendre la chose moins violente, ce qui peut paraître bizarre. Moins proche de nous. Ça influençait aussi une façon de filmer et de jouer.
Il y a généralement un côté politique dans la dystopie. Considérez-vous que votre film est, d'une certaine façon, politique ?
Il l'est forcément, oui, car le personnage est confronté à plusieurs cercles sociaux. Il rencontre des gens qui ont des problèmes de coeur, d'argent ou de pouvoir, et c'est ce qui anime le monde dans lequel on est.
Est-ce aussi parce que vous envisagez le film comme une fable, une dystopie, que vous n'expliquez pas les raisons qui poussent Jacques à s'abaisser de la sorte ?
C'est un peu l'enjeu du film : la drôle d'idée que j'avais, c'était d'avoir un personnage très aimable dans un film qui l'est moins. Ce personnage est d'abord antipathique, et il faut s'y attacher car il ne se comporte pas comme la plupart des hommes. Il a, je crois, quelque chose de fort, car il ne pense pas que les gens font les choses contre lui. Il pense qu'ils ont une bonne raison de faire ce qu'ils ont à faire, ce qui est d'ailleurs le cas des chiens. Un chien battu ne se dit pas qu'il l'est parce que son maître est en colère, parce qu'il a des problèmes ou parce qu'il est comme ça. Il se dit qu'il est battu parce qu'il a fait une connerie. Jacques est comme ça, il n'a pas de cynisme.
Qu'est-ce qui vous a convaincu de confier le rôle à Vincent Macaigne ?
La rencontre avec lui, sa lecture du scénario et sa vision de l'histoire. J'avais vu d'autres acteurs, qui étaient inquiets du tournage, du confort. Avec Vincent on avait la même vision. Sur le tournage on parlait plus d'autorité, de totalitarisme et de choses comme ça que du film en lui-même.
Vous parliez de l'inquiétude des acteurs que vous avez rencontrés. Comment présente-t-on ce genre de projet et de rôle ?
En faisant lire le scénario, tout simplement (rires) En général ils lisent et disent que ça n'est pas pour eux, ou me demandent si je vais vraiment filmer telle scène comme prévu et s'il n'y a pas moyen d'adoucir. Dans ce cas je leur répondais que c'était le sujet du film. On ne va pas parler de la violence sans la voir à un moment donné.
On perdrait ce qui fait la force du film, son côté malaisant. Avez-vous eu du mal à trouver le bon équilibre entre humour et violence au montage, pour parvenir à ce film moins aimable que son personnage principal ?
Le montage a été long à cause des chiens, car c'est difficile de les filmer et je n'avais pas beaucoup de temps de tournage. Mais sinon le scénario était comme ça, c'est-à-dire avec une sorte de légèreté qui s'effrondre, ce qui peut aussi arriver dans la vie par moments. On peut très vite être mis sur le côté, déclassé. C'est ce qui arrive à Jacques, qui est en-dehors du monde, aussi parce que le film parle d'une ruprture amoureuse. Il y a, à mon sens, d'autres niveaux de lecture, sur l'amour qu'il perd, sur la paternité et le rapport qu'il n'a pas avec son fils.
On me parle beaucoup de soumission à propos de ce film, et du fait que Jacques soit un personnage soumis. Il l'est à ses enfants, à son fils. Moi je pense être assez libre par rapport à la place que j'ai dans le monde, mais je suis complètement soumis à mes enfants. Ils sont maîtres de moi et peuvent décider de beaucoup de choses.
Il faut se méfier des acteurs qui ont joué les héros pendant toute leur vie. Il y a quelque chose de très louche là-dedans.
J'ai lu que le personnage de Bouli Lanners devait initialement être incarné par Jean-Claude Van Damme. Pourquoi cet acteur pour ce rôle ?
J'ai été influencé par le livre, où il ressemble plus à Chuck Norris. J'imaginais un mec baraqué, avec un pick-up et une pensée extrême et profonde, et dont il est sûr. Un fan de Donald Trump, radical. J'imaginais donc quelqu'un d'impressionnant, avec des muscles, et je me suis intéressé à Van Damme parce qu'il parlait français. Il m'a d'abord dit oui mais, en échangeant avec lui, j'ai compris qu'on n'allait pas du tout faire le même film. Il voulait peut-être que cela se termine bien pour lui aussi.
Le personnage n'aurait donc pas été aussi inquiétant qu'il l'est dans le film.
Oui et Bouli, en plus d'être un immense acteur, est exactement à l'opposé du personnage dans la vie. Il n'y a même pas plus opposé car c'est quelqu'un qui de merveilleux, rempli d'humanité. Et les acteurs adorent qu'on leur propose cela et qu'ils aient le droit de le faire. Ils ont, d'un seul coup, le droit d'être des salauds, et le contraire existe aussi. Il faut se méfier des acteurs qui ont joué les héros pendant toute leur vie. Il y a quelque chose de très louche là-dedans.
Comment en êtes-vous arrivés à cette affiche qui, pour moi, résume bien l'esprit du film ?
Elle est au deuxième degré l'affiche, et j'aimerais d'ailleurs qu'on ne voit pas forcément le film au premier degré. Pour le moment, il n'y a pas de tiédeur dans les retours : soit les gens aiment, soit ils n'aiment pas. Il y a aussi du "J'adore" et du "Je déteste". Peut-être parce que c'est une question de degré. Je savais que j'aurais du mal à trouver l'affiche car le film traverse trop de sentiments, d'humour, de violence, de drame, de société... Et ça n'avait pas de sens de mettre les trois acteurs sur un fond blanc.
C'est une photo que j'ai faite sur le tournage, après une scène un peu violente, où Vincent était maquillé avec du sang et des larmes, et venait de jouer, donc il était complètement ébouriffé. Il venait de se faire battre en fait, et on s'est marrés. On a eu un fou rire, et j'ai fait cette photo. Je trouvais qu'elle représentait le film.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 1er mars 2018