Après avoir animé de nombreux personnages inoubliables pour les studios Disney dans les années 90, Glen Keane était au Festival d'Annecy l'année dernière pour présenter son tout nouveau projet, Dear Basketball, un court métrage nommé aux Oscars dans lequel il donne vie au légendaire joueur Kobe Bryant. Nous en avons profité pour revenir avec lui sur sa démarche créative...
Allociné : Avez-vous un conseil à donner en tant qu’artiste pour animer un personnage ?
Glen Keane : Le personnage ne commence pas avec le design. A un moment donné, le design finit par arriver. Mais vous devez d’abord tomber amoureux du personnage. Être ce personnage en vérité. Vous ne pouvez pas animer un personnage sans vivre à l’intérieur de sa peau. Dans mon cas, j’avais besoin de savoir ce qu’on ressentait quand on était Kobe Bryant même si j’étais un mauvais joueur de basket. Mais ça ne m’a pas fait peur parce qu’à l’époque, j’étais Ariel. J’étais un homme de 33 ans, et quand j’animais, je devenais une jeune fille de 16 ans. A l’intérieur de moi, j’ai cette croyance que l’impossible est possible. Et j’anime ce désir ardent dans un personnage si je parviens à le trouver. Mais en aucun cas le design n’intervient en premier. Je me plonge très profondément dans la phase de recherche, je lis beaucoup, j’écris, je dessine, je fais des croquis, je m’ouvre totalement, parce que je ne sais pas par où le meilleur va arriver. Je pense sincèrement que les meilleures choses dans la vie sont des dons, des choses que vous ne travaillez pas pour obtenir mais que vous recevez, spécialement quand vous êtes dans cet état de création. Il est dit que : "Tout le bien qui nous est donné, et tout don parfait vient d'en haut, descend du Père des lumières." [ndlr : Le Nouveau Testament, Jacques 1:17] C’est d’ailleurs comme ça que commence Raiponce, avec cette goutte qui tombe du ciel et qui crée cette fleur surnaturelle.
Vous devez d’abord tomber amoureux du personnage. Être ce personnage en vérité.
Pouvez-vous nous raconter l'animation de Marahute, l'aigle de "Bernard et Bianca au pays des kangourous" ?
Roy Disney avait un ami qui avait des aigles en Idaho. Donc j’y suis allé pour rencontrer ce gars qui avait 6 aigles royaux sur un immense terrain, aussi grand qu’un stade de football. Je pensais que j’allais apprendre des choses sur les aigles, et c’est ce qui s’est passé, mais alors que je filmais les aigles, j’écoutais ce monsieur en train d’en parler et toute mon attention revenait sur le visage de cet homme qui adorait ces oiseaux. En partant, je me disais : "Si je parviens à développer la même passion pour les aigles que lui, alors que je serai prêt à animer." Je suis rentré avec ce désir d’étudier les aigles. Exactement comme avec Kobe. En parlant avec lui, j’ai vu cette passion.
Je devais connaître le basketball comme lui le connaissait.
Justement, comment cela s'est-il passé avec Kobe Bryant ?
Je devais connaître le basketball comme lui le connaissait. Nous avons téléchargé ses 10 meilleurs matches, et avec mon fils Max qui a 37 ans, on s’est assis et on a regardé Kobe commenter plan par plan, repassant par tous les stades. Il a une mémoire photographique, il se souvenait de tous les matches qu’il avait joués. Il nous parlait de tout ce qui s'était passé dans sa tête, comment il s’entrainait, comment un entrainement précis l’avait préparé à une action précise. Je me souviens d’une action particulière où Kobe se déplace latéralement à travers le terrain. Il ne reste plus qu’une seconde de jeu, moins que ça, il a toujours la balle, une demi-seconde, il bouge sur le côté, il tombe et il tire de très loin. Il regarde la balle décrire un arc au-dessus du terrain et passer à travers le filet. Et il m’a dit : "Tu sais comment j’ai fait ça ? Quand j’étais petit, j’étais sur mon vélo, avec mes amis on jetait des pierres sur un poteau téléphonique. On le manquait toujours jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il fallait lancer avant le poteau et que la pierre tournerait pour l’atteindre." Voilà ce qu’il y avait derrière ce panier. Tout le connectait au petit garçon qu’il était.
(Re)découvrez "Duet", l'un des derniers chefs-d'oeuvre de Glen Keane...