AlloCiné : M est un projet que vous portez depuis très longtemps et pour lequel vous semblez ne pas avoir fait de compromis. C'est votre film. On sent que vous avez le film que vous aviez envie de faire...
Sara Forestier, réalisatrice, scénariste et comédienne : Le film s'impose en fait. Un film impose son rythme. Mon perfectionnisme a pris du temps mais c'est tout le film qui a pris son temps par le sujet que je traite en fait. Le sujet du film est tellement fort, tellement profond -l'amour- qu'il ne peut pas être survolé. Ça demande une maturité aussi sur le regard qu'on porte sur l'amour. L'amour peut aussi être regardé de manière distanciée, caricaturée, comme des histoires fleurs bleues. J'avais envie de filmer l'amour comme une vraie expérience de vie. Parmi les expériences de vie les plus marquantes. Une histoire d'amour, c'est quelque chose qui peut vous transformer, qui vous marque très souvent, qui révèlent des choses sur vous, qui peuvent même être destructrices parfois, ou au contraire, salvateur.
J'avais envie de parler de ce qu'est vraiment l'expérience amoureuse. Qu'est-ce que c'est que l'expérience de l'intimité ? Qu'est ce que ça implique d'être dans une histoire d'amour ? Qu'est-ce que ça demande intimement à la personne ? Ça prend du temps pour y réfléchir. Je recherchais en même temps que j'écrivais. J'analysais en même temps ce qui sortait de ma plume inconsciemment. Car l'amour a beaucoup à voir avec l'inconscient aussi. Ce qui fait qu'on est attiré par une personne, on se le formule, mais c'est rarement ce qui se formule qui est la vérité. Les vraies raisons pour lesquelles on est tombé amoureux de quelqu'un, on le découvre a posteriori. Pareil : pourquoi on a « réussi » ou « raté » une histoire d'amour, on le comprend après coup. Il faut pouvoir écouter son inconscient. Le sujet a imposé son rythme.
Et puis, il y a une recherche de frontalité. Le film est très frontal. Rechercher une forme de vérité, vitalité. Je ne parle pas de naturalisme car je n'aime pas tellement ça. Ni de réalisme. Je parle surtout de véracité, vitalité. Ça demande du temps aussi, de faire beaucoup de prises. Il y a 200 heures de rush donc ça demande beaucoup de temps de montage, 2 ans de montage.
Pour trouver l'acteur qu'il faut, ça a pris énormément de temps, plusieurs années. Pour être à la hauteur de l'ambition du sujet, il fallait que j'ai les interprètes. Il fallait que je trouve un interprète qui puisse incarner cette peur et cette souffrance dont je parle dans le film, cet empêchement qu'on a parfois d'aller vers l'autre. Ça demandait de faire plusieurs castings.
Parlons également de la musique du film composée par Christophe, qui apporte aussi beaucoup d'émotion au film. Vous avez récemment tourné un clip avec lui. Dans quel ordre se sont déroulés les choses ?
Christophe est un ami depuis 10 ans. On a eu un coup de foudre amical. C'est quelqu'un avec qui je me sens bien. J'ai l'impression qu'on se ressemble aussi. Quelqu'un m'a dit : ton film, ça pourrait être une chanson de Christophe ! Ca m'a beaucoup plu parce que je pense que si je suis allée vers lui, au-delà du fait que c'est mon ami, c'est qu'il y a cette idée que le sentiment prime. On essaye beaucoup de comprendre le monde par le cerveau. On a tout le temps des analyses sociales, comme si on était dans un déni de comprendre les choses par l'émotion et le psychologique.
On parle beaucoup de déterminisme social mais dans mon film je parle de déterminisme émotionnel et psychologique. Comment on a été aimé par ses parents, ça nous détermine dans la vie ? Je pense que le déterminisme émotionnel est plus fort que le déterminisme social dans la vie. Le sentiment, l'émotion priment dans les chansons de Christophe. Parler des choses par l'intime, par l'expérience, par le fait qu'on l'a vécu.
Y a-t-il une grande part autobiographique dans votre film ?
C'est parti d'une histoire que j'ai vécu, une histoire vraie avec un garçon. Je crois que ce qu'il y a de plus autobiographique dans le film, ce sont les sensations que j'ai voulu retranscrire. Cette sensation de l'amour, d'être amoureux, d'être passionné par quelqu'un, d'avoir envie de lui plaire et en même temps avoir peur de ne pas lui plaire. De se découvrir soi-même face à l'autre. De se rendre compte qu'on avait peur de l'abandon. Cette sensation parfois qu'on est bloqué, qu'on est en colère contre la terre entière parce qu'on n'arrive pas, parce qu'en fait on est en colère contre soit. La sensation d'une première fois quand on fait l'amour.
Ces mélanges d'émotion, cette sensation de parler vraiment à quelqu'un, pour une fois. Je pense à cette scène du déjeuner pendant laquelle ils se parlent. Filmer des gens qui se parlent, ça ne veut pas forcément dire grand-chose. Mais quand tout d'un coup, dans une scène on voit des gens qui se parlent vraiment, soit par les yeux, soit par les corps, soit par des paroles… Je trouvais ça fort et c'est une sensation particulière quand tout d'un coup on sent qu'on a une vraie écoute en face de soi. Parler vraiment à quelqu'un ; tout ce qui se passe à l'intérieur de nous quand on le fait.
C'est intéressant que vous disiez cela, d'autant plus quand on fait une interview. Etre sensible au fait que l'interlocuteur ait le sentiment qu'on l'écoute, qu'on s'intéresse...
On a tous le sentiment d'être incompris à un moment donné de notre vie, je pense. Mais c'est marrant que vous m'ayez posé cette question sur le temps qu'a pris ce projet. Parce que j'ai senti parfois de l'incompréhension autour de moi, pourquoi ça prenait autant de temps. Mais on ne peut pas comprendre les choses tant qu'on ne les a pas vécues.
Ça donne le sentiment que cela fait partie du projet et ce qui provoque quelque part une attente particulière. Chacun pourra aimer le film pour ses qualités ou ses défauts, mais vous n'avez pas cherché à faire un film formaté...
Moi je ne parle pas de qualité ou de défaut car c'est toujours cette idée qu'on soit soumis à la culture de la performance. Chacun porte sa propre singularité et ses propres contradictions. Mais je pense que les gens n'acceptent pas leur vulnérabilité. Parce qu'on est dans cette culture de la performance. Le film parle de ça aussi : accepter sa vulnérabilité. Ce qui nous constitue n'est pas que dans la force. On a des forces et des faiblesses, mais même le mot faiblesse, il est presque biaisé car ce que certains considèrent comme une faiblesse peut être une force pour d'autres.
J'aimerais également parler de vos influences. Vous avez dit par le passé que vous aviez songé à proposer le sujet de ce film à Abdellatif Kechiche pour qu'il le réalise. Ce cinéaste ou d'autres ont-ils exercé une influence sur votre façon de réaliser ? Y a-t-il des souvenirs de choses que vous aviez vu et que vous avez mis en pratique ?
Non. Ce qui m'inspire, c'est la vraie vie, les histoires que j'ai eu, les sensations que j'ai eu. Les gens que j'ai pu rencontrer. En tant qu'artiste, on est surtout inspiré par sa propre vie. Quant aux influences, le fait d'avoir rencontré Kechiche, ça a été une occasion pour moi de voir qu'on peut faire du cinéma autrement. Idem pour Doillon. Je me suis autorisée de manière très naturelle à faire beaucoup de prises parce que je sais que a existe, qu'on a le droit de le faire. Après, ce n'est pas ce qui m'influence artistiquement.
Je souhaitais également vous parler de l'interview que vous avez donnée à Stupéfiant sur France 2 [la semaine dernière]. Avez-vous mis du temps avant d'accepter cette interview ?
Je l'ai fait de manière très spontanée, nous répond Sara Forestier du tac au tac. Je trouvais que c'était intéressant d'analyser ce qui se passe en ce moment autour de la femme. Je trouverai ça dommage qu'on réduise l'affaire Weinstein juste à un effet de scandale. Ce que je trouve intéressant dans cette histoire, c'est d'essayer d'analyser un peu plus profondément la situation de la femme dans la société. C'était vraiment dans une perspective d'analyse que j'ai donné cette interview. Je trouvais intéressant de le faire.
Ce qui est important pour moi, c'est qu'on ne monte pas les femmes les unes contre les autres. Il n'y a pas d'un côté les filles qui se maquillent et les filles qui ne se maquillent pas, celles qui posent nues et celles qui ne posent pas nues. Une femme a le droit de faire ce qu'elle veut et on doit respecter ses choix. Pour moi, le plus important dans tout ça, c'est qu'on respecte le désir de la femme. On n'a pas besoin d'être "No Make-Up" ou le cheveu sale pour être une féministe. Le féminisme, pour moi, c'est simplement de dire que le désir de la femme est le plus important, que le désir de la femme est plus important que celui qu'il suscite. La femme est libre de faire ce qu'elle veut, se maquiller, pas se maquiller ; poser nue ou pas.
J'ai simplement voulu aussi montrer d'une certaine manière qu'on avait perdu l'habitude de voir des visages nus à la télévision. C'est aussi ça, la vraie nudité. Il y a tellement de choses à dire. Le désir de la femme doit être au centre de tout ce qu'elle fait. De faire les choses par désir et par plaisir, et pas parce qu'elle sent une pression, qu'elle se sent obligée.
Quelles sont les réactions que vous avez eu ?
C'était très fort. J'ai noté beaucoup de choses qui m'ont beaucoup touchée. (Elle sort un bout de papier de sa poche, Ndlr.) Je vous lis quelques réactions ? Le féminisme, ça n'est pas le No Make Up. Le féminisme, c'est d'écouter ses désirs en tant que femme. Etre sexy, c'est un plaisir; je ne veux juste pas qu'on me l'impose. (...)
Vous avez reçu tout ça sur les réseaux sociaux ? J'ai vu que vous vous étiez inscrite récemment.
Oui, ou des messages personnels, ou des gens qui m'ont parlé. Là il y a aussi des choses que moi aussi j'ai dites que je me suis noté.
Avez-vous déjà un prochain projet en tant que réalisatrice ?
Oui. Il sera très différent. Je pense qu'il sera plus fulgurant, même dans son timing. C'est un film avec une urgence à l'intérieur. Ca s'appelle Alpha et c'est sur une femelle alpha.
La bande-annonce de M, avec Sara Forestier et Redouanne Harjane :