Robert Altman, l'insoumis
L’un des films les plus symboliques du Nouvel Hollywood est sans doute M.A.S.H., de Robert Altman. Lorsque le réalisateur parcourt pour la première fois le scénario de M.A.S.H., il veut aussitôt le mettre en scène. Le producteur Ingo Preminger étant chargé de mettre en chantier le film sous la bannière de la Fox, il revient donc à cette dernière de choisir le réalisateur. De nombreux metteurs en scène ont lu et aimé le scénario, et ce bien avant Robert Altman, parmi lesquels William Friedkin. Mais tous ont été refusés par la production. Lorsque l’agent d’Altman, George Litto, présente à Preminger quelques-uns des travaux du cinéaste, le producteur est emballé. Problème : Robert Altman est mal vu par la Fox depuis qu’il a ridiculisé le studio dans une émission télé, dix ans auparavant... Toutefois, à force de négociations, le projet est finalement validé.
En 1970, bien que le Nouvel Hollywood soit parvenu à donner une place de plus en plus prépondérante aux metteurs en scène, les postes de chefs-opérateurs, cameramen, ingénieurs du son, monteurs, etc. sont souvent occupés par des vétérans, habitués à des méthodes pour le moins dépassées, et toujours attentifs à ce que tout soit fait avec le matériel du studio, aussi ancien soit-il. Inutile de leur expliquer que le film coûterait moins cher en utilisant tel ou tel matériel, chaque remarque est perçue comme une remise en question de leur pouvoir. Comme disait Hopper à la même période : "réaliser un film avec moins d’1 million de dollars, c’est remettre en question l’ensemble du système". Excédé par la réduction de la durée du tournage, passée de 60 jours à 45, Robert Altman finit un jour par décider d’abandonner la réalisation de M.A.S.H., mais Ingo Preminger parvient finalement à lui obtenir ce qu’il désirait.
Côté casting, Altman se fit un devoir d’éviter les stars, excepté Elliott Gould et Donald Sutherland. Altman se souvient : "Il était plus excitant de faire le film avec des inconnus qu’avec n’importe laquelle des grandes stars de l’époque. Sinon tout le boulot consistait à obéir aux ordres". Sur le plateau, le metteur en scène ne fait pas l’unanimité. Certains iront même jusqu’à le qualifier de mesquin, manipulateur et cruel. Durant la post-production, ses problèmes avec les technocrates de la Fox vont de mal en pis. Alors qu’Altman se trouve en studio de montage, le directeur de la post-production s’avance vers lui en lui lançant : "Eloignez-vous de la table de montage. Vous n’avez pas le droit de toucher à cette machine. Vous n’avez pas de carte de monteur, que je sache". Ce à quoi le réalisateur répond par un tonitruant : "Je touche toutes les machines que j’ai envie de toucher !"
Une fois M.A.S.H. monté, les réactions de la Fox suite à la projection du film furent catastrophiques. Le studio était horrifié par les dialogues crus et les torrents de sang qui se répandaient dans la salle d’opération. L’agent d’Altman, George Litto, confie : "C’était la première fois que l’on entendait le mot «fuck» dans un film de studio et que l’on voyait à l’écran un type couvert de sang en train d’opérer tout en demandant à l’infirmière d’enlever ses seins du passage". Alors que les producteurs s’apprêtaient à réclamer le remontage complet du film, on parvint à les convaincre de tenter une projection-test à San Francisco.
Contre toute attente, les spectateurs adorèrent et la séance se termina même par une standing ovation. Toujours pas satisfait et soupçonnant Altman d’avoir rempli la salle d'amis à lui, le studio réclama une seconde projection-test à New York, qui fut également couronnée de succès : M.A.S.H. était sur le point de sortir dans sa version originale. La sortie du film fut un véritable succès et un tremblement de terre pour le cinéma américain. Il y eut un avant et un après M.A.S.H., dont le réalisateur conquit le statut d'"auteur".
Ci-dessous, la bande-annonce du film...