Martin Scorsese, le fanatique
Un autre ouvrier dans la construction de la légende du Nouvel Hollywood : Martin Scorsese. Depuis son plus jeune âge, Scorsese voue une passion sans borne au cinéma, abandonnant pour ce dernier son projet de devenir prêtre (il prendra même quelques années plus tard la décision de quitter femme et enfant plutôt que de laisser tomber le cinéma). Les cinéastes européens comme Pasolini, Truffaut ou encore Godard l’obsèdent. C’est en voyant des films comme Vivre sa vie, où Anna Karina traverse par exemple tout un magasin de disques pour chercher un album, qu’il prend conscience de l’existence d’autres façons de faire pour réaliser un film.
En 1966, il débute le tournage de Who's that Knocking at My Door pour lequel il fait appel à Harvey Keitel, alors sténographe pour un tribunal. Faute de financement, le tournage sera interrompu à de nombreuses reprises et durera quatre ans. Sélectionné au festival du film de New York, John Cassavetes s’exclamera à l’issue de la projection : "Ce film est aussi bon que Citizen Kane. Non, c’est mieux que Citizen Kane, ça a plus de cœur." Un tel compliment ne pouvait que ravir le jeune Scorsese, dont les films favoris se nomment alors Shadows (de John Cassavetes) et Citizen Kane. A partir de ce moment, John Cassavetes considéra Martin Scorsese comme un fils spirituel.
En 1969, "Marty" assiste le réalisateur Michael Wadleigh sur son film musical Woodstock. Son blazer bleu et sa chemise à manchettes très chic contrastent alors avec les centaines de hippies couverts de boue présents pour l’occasion. L’année suivante, sa rencontre avec Francis Ford Coppola au festival de Sorrento est décisive. Déjà à cette époque, ce gamin de New York est doté d’une connaissance encyclopédique sur le cinéma et la musique. Chacun de ses mots fuse alors comme une balle de mitrailleuse. Petit, barbu, les cheveux longs, nombreux sont les gens à le prendre pour le petit frère de Coppola. Rapidement, les deux hommes se lient d’amitié.
Le rock dans la peau, il fait alors partie des premiers réalisateurs à comprendre que la musique est dans l’air du temps. Ce qu’il ne tardera pas à mettre en application dans son cinéma. Avec son ami Brian De Palma, qu’il a rencontré en 1965 à l’université de New York, Martin Scorsese partage le rêve d’une prochaine victoire sur Hollywood. Ils fourmillent tous deux de nouvelles idées et ont soif d’innovation. Scorsese : "On se battait pour créer un précédent. Notre idée était que plus la caméra était légère, mieux c’était. On pouvait se déplacer plus rapidement, tourner plus rapidement, décrocher les éclairages plus vite. Nous n’étions pas faits pour tourner en studio."
Pendant l’été 1973, Martin Scorsese et son producteur Jonathan T. Taplin sont en quête d’un studio pour distribuer Mean Streets. Pour le cinéaste, ce film compte beaucoup, il s’agit d’un hommage au quartier dans lequel il a grandi, Little Italy, dans le Lower East Side de New York. Comme son ami Francis Ford Coppola vient de sortir la Paramount du gouffre grâce au Parrain, Marty pense que tout est joué d’avance s’il propose son film au studio. Mais il n’en est rien : le cadre de la Paramount chargé d’assister à la projection quittera la salle après à peine dix minutes en s’exclamant : "Ne me faites pas perdre mon temps, allez le vendre ailleurs, ça ne m’intéresse pas". Après ce revers, c’est finalement auprès de la Warner que Mean Streets fait sensation.
Mais en dépit de très bonnes critiques, Mean Streets ne fit pas exploser le box office. Un proche de Martin Scorsese raconte : "A la Warner, Délivrance, Orange mécanique et L'Exorciste étaient en concurrence." Avec le succès du film de William Friedkin, Mean Streets est un peu devenu le parent pauvre de la Warner. Malgré une réception en demi-teinte, le film marquait un renouveau dans le cinéma américain et révélait le jeune réalisateur au grand public. Pour la première fois, les mafieux n’étaient plus seulement représentés comme une bande d’amis buvant du chianti. Au passage, Scorsese venait de tracer au travers du personnage interprété par Robert De Niro les grandes lignes de l'anti-héros de Taxi Driver, qui fit de lui trois ans plus tard l’un des metteurs en scène les plus en vue de sa génération.
Ci-dessous, la bande-annonce de "Mean Streets"...