AlloCiné : Avez-vous approché le personnage comme si c'était un biopic de Marguerite Duras ?
Mélanie Thierry, comédienne : Non, on n'est pas dans le biopic et Duras n'existait pas à ce moment-là. Elle n'avait pas encore trouvé son nom d'écrivain. Elle espérait trouver sa place. Elle peinait à trouver des maisons d'édition. Elle avait publié un seul livre, passé totalement inaperçu. Elle essayait de convaincre tous ses amis de l'intelligentsia pour pouvoir se démarquer un peu.
Du coup, je ne l'ai pas abordé en me disant : il va falloir jouer Marguerite Duras, et tout ça va être vertigineux, et je ne sais pas à quoi je vais pouvoir m'accrocher pour pouvoir le faire sans la singer. Je me suis juste dit que j'avais à jouer le rôle d'une femme en attente, avec la culpabilité, l’égoïsme parfois de se complaire dans sa douleur.
Emmanuel Finkiel, réalisateur : C'est l'adaptation de son récit. Tout comme son récit n'est pas un récit purement autobiographique. Il est entre auto-biographie et fiction. Le film se situe un peu là. (...) On est partis du principe qu'à cette époque là, ce n'était pas encore Duras, donc il y a comme un angle mort sur comment elle était à ce moment là, comment elle parlait, etc. qu'on a habité comme on l'a senti. Mais il était important qu'elle nous rappelle Duras, pas spécialement qu'elle y ressemble. C'est avant tout une jeune femme, dont le mari est arrêté et déporté, qui ne revient pas et qu'elle attend. Elle attend qu'il revienne.
Mélanie et Benoit, pouvez-vous nous décrire la relation qui unit vos deux personnages dans La Douleur ?
Mélanie Thierry : Leur histoire est ambiguë. Ils sont joueurs tous les deux [les personnages incarnés par Mélanie Thierry et Benoit Magimel], il me semble en tout cas. Mon personnage est en attente d'avoir des nouvelles de son mari [joué par Emmanuel Bourdieu].
C'est un personnage en perdition, aux abois, en détresse absolue. Elle va se rattacher à ce qui va la ramener à son mari, à Robert, éventuellement peut être même que qu'ils puissent le libérer… Tout ça pourrait être possible. Après, il se trouve que [Pierre Rabier, joué par Magimel] est séduisant, qu'elle aime bien jouer avec le feu, qu'elle aime bien voir jusqu'où ça peut l'amener, même s'il y a une peur comme ça qui la ronge.
A chaque fois, elle se dit que c'est peut être la dernière fois et qu'elle ne reviendra pas vivante du prochain rendez-vous. Mais il est charmant : à la fois, il est intrigant et dangereux, et en même temps, il a quelque chose qui est tellement éloigné d'elle, elle étant tellement une intellectuelle, tellement Rive gauche, Saint Germain des près ; lui a quelque chose de la vraie vie, de beaucoup plus ancré dans une réalité finalement qui la dépasse, car ça reste un collabo. Elle est tiraillée entre une haine absolue, et un désir qu'elle a envie de refréner. Mais elle aime bien y goûter quand même à ce désir.
Benoit Magimel, comédien : Ils ne vivent pas dans le même climat. Elle est dans la Résistance. Elle vit le danger au quotidien. Elle prend des risques. Elle attend, elle a son mari qui est emprisonné. Lui, c'est un personnage absolument serein, heureux dans son époque. Pour lui, l'Allemagne gagnera forcément. C'est un collabo mais il ne peut pas en être autrement. Il se projette même dans le futur, d'avoir une petite librairie. Il s'imagine que la guerre va s'arrêter bientôt, qu'il va pouvoir démarrer une autre vie. Ce type est tout à fait à l'aise. En revanche, il mène une enquête et donc il est très ambigu.Est-ce que c'est un mec tordu ? Est-ce qu'il est en train de la piéger ? Est-ce qu'il est amoureux d'elle ? Elle est dans l'urgence, pas lui.
Comment s'est porté votre choix sur Mélanie Thierry pour ce rôle ? Etait-ce évident après avoir travaillé avec elle sur votre précédent film ?
Emmanuel Finkiel : A la suite de Je ne suis pas un salaud, j'avais une profonde admiration pour Mélanie Thierry. Je l'avais vue travailler, je la trouvais formidable. Mais je ne pensais pas à elle pour le rôle, allez savoir pourquoi ! Mon imaginaire allait ailleurs, et puis elle a fait des essais comme d'autres comédiennes, et elle s'est imposée immédiatement. Quiconque pouvait voir les essais pouvait voir que c'était elle. (...) Ce qui était important était que la comédienne ait l'épaisseur du personnage.
Pouvez-vous nous parler de votre approche de cette histoire, qui semble par le prisme du sentiment...
Emmanuel Finkiel : Oui, des sensations, de la subjectivité d'être le plus près possible de ce personnage de Marguerite, et de voir le monde un peu comme elle le sent, à travers son prisme. La Douleur est ce genre de texte qui met le lecteur dans un rapport intime. Chacun a son texte si je puis dire. Il appartient à celui qui le lis. A partir de là, on ne peut faire qu'une chose un peu personnelle.
Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez lu ce texte justement ?
Oui, je crois que j'avais 19 ans et j'ai été absolument bouleversé. Je me souviens que, plus encore de l'itinéraire, de cet homme qui est déporté, qui revient, plus encore que ce qu'elle ressent pour lui, ce qui m'avait bouleversé, c'était les quelques dernières pages qui correspondent à l'épilogue du film.
Ce n'est pas la première fois que vous travaillez avec Emmanuel Finkiel, Mélanie. Pour vous, Benoit, c'est la première fois. Comment qualifieriez-vous sa façon de faire du cinéma ?
Benoit Magimel : C'est quelqu'un de passionné, qui connaît le cinéma sur le bout des doigts. Il me racontait qu'il a fait tous les jobs dans ce métier. Il a une fièvre, une exigence. C'est un grand metteur en scène. Ça se ressent quand vous travaillez avec quelqu'un qui est comme ça. Tout le travail qu'on fait en amont, toutes les discussions qu'on peut avoir, tous les questionnement que l'on peut avoir, y compris évidemment pendant le tournage, sur le plateau. Je l'avais rencontré avant sur un projet qu'on n'a pas pu faire. On s'était vus plusieurs fois longuement. On avait pris le temps de parler des personnages. C'est quelqu'un de rare. Il a un immense talent.
La bande-annonce de La Douleur :