Ce dimanche, deuxième jour du Festival Lumière, l'Auditorium de Lyon faisait salle comble pour accueillir Michael Mann, venu rencontrer son public avant la projection d'une copie restaurée en 4K d'un director's cut de Heat, que beaucoup considèrent comme son chef-d'oeuvre. Avant d'introduire le formaliste cinéaste, à qui l'on doit aussi Le Dernier des Mohicans, Collateral ou encore Miami Vice, Thierry Frémaux a appelé sur scène un invité surprise. Le Mexicain Guillermo del Toro, présent à Lyon pendant toute la durée du festival, "y tenait" : il se joindra au directeur de l'Institut Lumière pour converser avec son homologue américain, et c'est une première ovation chaleureuse qui résonne dans la salle de concert. Après la projection d'un court montage autour des films de Michael Mann, le réalisateur, qui se prête rarement à ce genre d'exercice, fait son entrée sous les applaudissements bruyants et les bravos du public.
"Ce qui me fascine, c'est le conflit"
À la question de Thierry Frémeaux "Vous sentez-vous comme un auteur ?", le cinaste américain répond de manière assez catégorique : "Non, je ne me suis jamais vu comme un auteur, mais je considère que tout dans un film est de ma responsabilité, jusqu'au moindre détail." Et lorsque Guillermo del Toro lui parle de la grande cohérence de son cinéma et de la dimension crépusculaire de ses personnages en lui demandant s'ils s'inscrivent selon lui dans une dimension un peu légendaire de l'Amérique, Michael Mann est sans appel : "Ce qui meut mes personnages, ce qui constitue leurs motivations profondes, ce n'est pas leur environnement. Ce qui me fascine, c'est le conflit, c'est de là que naît le drama, la narration. Les conflits des personnages n'ont de sens que si j'arrive à créer une histoire suffisamment incarnée et intime pour que les spectateurs puissent s'y identifier."
Heat, c'était une sorte de hold-up pour le studio.
"Heat serait très difficile à faire aujourd'hui." À l'époque, en revanche, les choses se sont passées assez simplement, se souvient Michael Mann :
"Le seul problème que j'ai eu, c'était la durée. J'ai appris plus tard que les boss de la Warner avaient joué à pile ou face pour savoir qui devrait m'annoncer qu'il faudrait couper une demi-heure de film. Sauf qu'ils avaient pris cette décision avant même de voir le film. Il y avait une grande projection, ils ont vu le film et ils ont dit : 'Ok, ce sera un film de 2h35.' De manière générale, c'était une sorte de hold-up, car tout était déjà prêt. J'avais le scénario, De Niro, Pacino et on s'est présentés au studio en leur disant : 'Voilà ce que le film va coûter, voilà le casting...' Ils ont donné leur feu vert et quand on est partis, on a entendu des hurlements en provenance du bureau d'où on sortait. Quand je les ai appelés pour savoir ce qui s'était passé, ils m'ont dit : 'Ne refaites plus jamais ça, ne nous présentez plus jamais un projet où tout est déjà fait et où on ne contrôle plus rien.'"
La masculinité dans toute sa complexité
Guillermo del Toro a souligné la grande tendresse qu'entretient Michael Mann pour ses personnages masculins. Ce dernier explique que l'écriture du personnage de Neil McCauley (Robert De Niro) est en partie basée sur les recherches qu'il a effectuées dans les prisons : "J'ai rencontré des détenus extrêmements cultivés, qui avaient lu Camus, Marx, et qui avaient fait une projection extrêmement précise de la vie à laquelle ils aspiraient lorsqu'ils sortiraient, avec un véritable discipline, un code de conduite et un code émotionnel à respecter, se rappelle-t-il. Neil suit certaines de ces règles, celle de l'anonymat, celle de l'absence d'attachement, et la rencontre d'Eady (Amy Brenneman) lui explose à la figure dans le temps présent. C'est ce qui le désoriente et lui fait perdre la ligne qui était la sienne."
Pour ce qui est des autres personnages, il a tenu à leur donner plusieurs dimension et à les inscrire dans la réalité. "Il fallait, dit-il, que la complexité de ces personnages apparaisse dans le film, pour que le spectateur puisse se glisser dans la subjectivité de chacun d'entre eux. On est engagé avec le personnage de Neil, mais on l'est tout autant avec le personnage de Vincent Hanna (Al Pacino)."
Si l'on en croit le cinéaste, le film entier est construit autour de cet idée là. "Le film s'ouvre avec un premier chapitre, explique-il, qui commence comme un film d'action, avec une séquence de braquage, etc. Puis le film s'arrête littéralement et se poursuit sur un second chapitre, où l'on raccompagne les personnages chez eux, dans leur vie domestique. On voit De Niro qui retrouve sa solitude et on a tous ces plans fixes très froids. On a le personnage de Val Kilmer qui rentre dans sa maison, avec son couple qui bat de l'aile, de même pour Al Pacino quand il retourne dans son foyer."
Robert De Niro et Al Pacino : le choc des géants
Dans Heat, Robert De Niro et à Al Pacino sont réunis pour la première fois à l'écran. Pour Michael Mann, l'enjeu est tout autre : pour lui, les deux comédiens sont tout simplement les seuls choix possibles pour incarner ces deux personnages. C'est l'occasion pour le réalisateur de mettre définitivement fin à la rumeur qui a couru pendant quelques temps à Hollywood selon laquelle les deux acteurs n'étaient pas ensemble sur le plateau lors du tournage de la scène du diner, montée en champ-contrechamp : "Evidemment qu'ils étaient tous les deux sur le pleateau. D'ailleurs, dans la scène où ils sont face à face, le champ et le contrechamp ont été filmés simultanément. Il y avait une caméra derrière chacun et il aurait suffi qu'on bouge l'une des caméras d'un centimètre pour voir l'autre. Il se trouve que j'avais fait un plan plus large où on les voyait tous les deux, mais je me suis rendu compte au montage que ça n'avait pas d'intérêt, car la scène perdait toute son intensité", précise-t-il.
Le cinéaste a rendu hommage à tout le casting du film : "C'était un film choral et tous les acteurs ont été extraordinaires. Val Kilmer, Jon Voight, ont tous réalisé des performances incroyables. Il y avait une telle cohésion dans l'équipe que certains jours, des acteurs qui ne tournaient pas venaient quand même pour soutenir leurs camarades."
Créer un univers avec ses propres moyens
Pour terminer la masterclass, Michael Mann est revenu sur l'attention si particulière qu'il porte à chaque détail et a souligné le talent de dessinateur de son homologue mexicain. "J'ai face à moi un homme en la personne de Guillermo del Toro qui a la capacité de créer des espaces, des créatures, des atmosphères, à travers le dessin. Lui comme Ridley Scott ont ce pouvoir de dessiner. Moi, je n'ai pas ce don, donc je me débrouille avec ce que j'ai à disposition."
Et Guillermo del Toro de conclure, en brandissant devant la salle un script, non sans avoir rappelé que Heat contenait probablement la plus grande scène de braquage jamais tournée : "Le trésor que j'ai entre les mains, c'est le scénario de Heat annoté par Michael, et je dois vous dire que les notes qui y figurent sont d'une précision et d'une richesse en informations qui sont tout à fait aussi évocatrices qu'un dessin. Dans ces notes, il dit qu'il ne s'agit pas de caractériser des personnages ou des histoires, mais de donner vie à ces personnages et de voir comment ces hommes et ces femmes peuvent continuer à vivre."
Retrouvez la bande-annonce de Heat :