Après avoir exploré les rues de Baltimore et celles de la Nouvelle-Orléans, David Simon revient sur le devant de la scène télévisuelle pour s'attaquer à une autre ville, la mythique New York. Le créateur de The Wire avait déjà posé sa caméra à la périphérie de la ville aux milles fantasmes avec Show Me A Hero, la mini-série avec Oscar Isaac qui se déroulait dans les années 80 à Yonkers, mais, cette fois, il vise le coeur de Manhattan. Et pour ce faire, il retourne à nouveau dans le passé...
Lancée le 10 septembre sur HBO et en US+24 sur OCS City dès le 11 septembre, The Deuce nous plonge ainsi dans le New York des années 70, dans des quartiers malfamés au fort taux de criminalité et dans des ruelles sombres où se croisent prostituées, proxénètes, trafiquants de drogue, parieurs et autres malfrats louches en recherche d'un mauvais coup (ou d'un bon, suivant le contexte).
Au travers d'une galerie de personnages très fournie, David Simon et George Pelecanos, son co-créateur, ont l'ambition de raconter et de montrer, dans un contexte de libération des moeurs, de forte corruption, de violence et de délinquance, comment la pornographie va sortir du placard et des tabous pour prendre, petit à petit, des allures industrielles et faire sa propre révolution...
1. A quoi réfère le titre ?
The Deuce... Mais qu'est-ce que ça veut dire ? The Deuce ne désigne pas une personne (contrairement au Dude de The Big Lebowski !), mais un endroit si particulier qu'il en devient finalement un personnage à part entière. The Deuce est effectivement le raccourci de Forty-Deuce, le surnom donné autrefois au bloc englobé par la 42ème rue Ouest et son croisement avec la 7ème et la 8ème Avenue.
Dans les années 70 et 80, ce quartier accueillait une multitude de cinémas de seconde zone qui projetaient des films pornographiques. Aujourd'hui, ce bloc central de New York est toujours animé mais éminemment plus respectable et familial, puisque cette vitrine lumineuse est connue pour ses restaurants thématiques ou ses comédies musicales.
2. Un duo d'exception aux commandes
Même sans l'avoir vue, difficile de ne pas avoir entendu parler de The Wire, souvent citée comme l'une des meilleures séries de l'histoire de la télévision. Derrière ce monument, se cache David Simon qui est, depuis presque 20 ans, l'une des plus belles signatures de la chaîne câblée. Malgré des audiences confidentielles, il est toujours le gage d'une qualité et d'une écriture hors-pair. Ce qui intéresse David Simon, c'est d'offrir le plus de réalisme possible et, donc de s'appuyer sur des témoignages, afin de livrer des vérités mais aussi une vision, toujours plus approfondie, de la société américaine.
Simon nous expliquait d'ailleurs en 2012, à la sortie en France de son livre "Baltimore", le fonctionnement auquel il avait obéit pour que jaillisse le plus de vérités dans The Wire :"Même pour The Wire, lorsqu'on se conformait à des faits réels, il y avait de la triche, car on se trouvait dans le drama, contrairement à "Baltimore". Mais même là, notre règle était : c'est arrivé ou ça aurait, sans conteste, pu arriver ou il y a des rumeurs selon lesquelles c'est arrivé mais on ne peut pas tout à fait prouver que c'est arrivé. Mais si cela n'aurait pas pu se produire, nous n'en voulions pas dans l'épisode. Appliquer cette rigueur, cette règle, a modelé une série différente. C'est devenu quelque chose d'autre qu'un divertissement."
Ancien journaliste du Baltimore Sun, David Simon a émergé en tant qu'auteur dans les années 90 avant de se reconvertir à la télévision. Sa première collaboration avec HBO date de l'an 2000 avec The Corner, minisérie adaptée de son propre ouvrage d'investigation journalistique co-écrit avec le détective Ed Burns. A la suite, naîtront The Wire évidemment, mais aussi Treme, sur les conséquences de l'ouragan Katrina sur les habitants de la Nouvelle-Orléans, Generation Kill ou, dernièrement, Show Me A Hero.
De son côté, George Pelecanos est un auteur noir de la littérature américaine. Sensible à la question de la ville américaine ou à celle de la pauvreté urbaine, il collabore avec David Simon depuis The Wire. Pelecanos a travaillé, également en tant que producteur et scénariste, sur Treme. Par la suite, il a collaboré à la minisérie de Steven Spielberg, The Pacific et à Bosch, la série d'Eric Overmyer, un autre proche de David Simon. Mais, The Deuce marquera son entrée dans la création de série, puisque c'est la toute première fois que l'auteur de polars participe à en créer une de A à Z...
3. James Franco se dédouble
Simon et Pelecanos ont choisi de raconter leur New York des 70's à travers le prisme d'un très grand nombre de personnages qui se connaissent plus ou moins bien. Parmi eux, on retrouve Candy, la prostituée aux envies d'entrepreneuriat incarnée par Maggie Gyllenhaal mais aussi les frères Martino, des jumeaux tous deux incarnés par l'acteur James Franco. Ce dernier rejoint la longue liste des acteurs à avoir campé des jumeaux, avec toutes les problématiques mais aussi les défis en tant qu'acteur que cela représente.
Totalement différent l'un de l'autre, Vincent et Frankie Martino ont véritablement existé. C'est même Vincent qui a donné envie à David Simon et George Pelecanos, pas forcément désireux de créer une série sur l'émergence de la pornographie aux Etats-Unis, de se lancer dans l'écriture.
Dans les années 70, les frères Martino possédaient plusieurs bars à Time Square. Ces établissements servaient en réalité de couverture aux mafieux des quartiers alentours, qu'il s'agisse d'abriter prostitution ou trafic de drogue. Le vrai Vincent Martino a ainsi raconté aux deux auteurs le quartier qu'il avait connu à l'époque, ceux qui l'avaient traversé et comment, avec son frère, ils avaient été les témoins de l'émergence de la pornographie..
4. La série abordera-t-elle les "affaires" ?
De par son sujet principal, l'essor de la pornographie, The Deuce a de multiples pistes à explorer. La série ne sera pas un simple étalage gratuit de corps nus, ses deux créateurs cherchant à explorer le contexte social de l'époque et la question de la marchandisation du corps humain sur une période courant des années 70 jusqu'aux 80's.
Attachés au réalisme, Simon et Pelecanos se sont appuyés sur les anecdotes livrées par Vincent Martino mais leurs recherches les ont certainement menés vers d'autres sources. Et comme la période du New York des 70's regorge de vieilles affaires criminelles, il est probable que les auteurs ont songé à la question de les intégrer, ou pas, à leur série...
On peut ainsi imaginer des allusions, voire des épisodes entiers, consacrés, par exemple, à Gorge profonde, le film avec Linda Lovelace, sorti en 1972. Ce film X aurait à l'époque bénéficié d'un financement plutôt louche, lié avec le crime organisé.
En savoir plus sur les Frères Mitchell !
Il ne serait pas non plus étonnant de voir débarquer à un moment ou à un autre les frères Jim et Artie Mitchell. Ces derniers lient parfaitement ciné porno et criminalité et ont d'ailleurs fait l'objet du biopic Classé X. Ceux qui ont commencé par réaliser des courts métrages pornographiques réaliseront ensuite des longs (comme Derrière la porte verte) et seront également à l'instigation des "live nude shows". Leur histoire finira mal puisque Jim tuera son propre frère d'une balle dans la tête.
Dans de futures saisons, The Deuce pourrait même aller du côté des meurtres de Wonderland, dans lesquels le célèbre acteur du X, John C. Holmes, lui aussi lié au crime organisé, avait été impliqué en 1981. C'est la destinée hors-norme de cet homme qui avait d'ailleurs conduit Paul Thomas Anderson à créer le héros de Boogie Nights.
5. Des retrouvailles très "à l'écoute"
Fidèle à ses acteurs, David Simon recrute souvent des figures qui ont déjà hanté ses précédentes oeuvres. Ainsi, au casting de The Deuce, on retrouvera plusieurs anciens de The Wire dans des rôles majeurs, comme Lawrence Gilliard Jr. qui incarnait D'Angelo Barksdale à Baltimore, et qui se met désormais dans la peau d'un policier new-yorkais.
La série fera aussi la part belle à deux proxénètes aux méthodes bien différentes, incarnés par Gbenga Akinnagbe, alias Chris Partlow, le tueur de Marlo Stanfield dans The Wire, et Method Man, alias Cheese, un dealer qui savait toujours se placer là où c'était le plus confortable pour lui. Mais, on retrouvera aussi Chris Bauer, alias Frank Sobotka, et Anwan Glover, l'interprète du sage Slim, ami de Stringer Bell et Avon, devenu ici un cuistot du quartier !
Mais, les autres séries de David Simon seront aussi honorées en les personnes de Chris Coy, vu dans Treme ou encore de Natalie Paul, présente dans Show Me a Hero.
Plongez au coeur du Forty-Deuce :