
Steven Spielberg
C'est avant tout l'expérience humaine et morale de la guerre qui intéresse Steven Spielberg. "La période 39-45 m'obsède, car l'Amérique, qui avait déjà perdu son innocence plusieurs fois, l'a abandonnée à jamais pendant la Seconde guerre mondiale" expliquait le cinéaste dans une interview accordée à L'Express en septembre 1998, à propos d'Il faut sauver le soldat Ryan. "Je voulais rendre hommage à tous ces jeunes garçons qui n'avaient jamais quitté leur ville, ne parlaient pas d'autre langue que l'anglais, et ont été jetés directement sur Omaha Beach. Je voulais illustrer le choc brutal des cultures".
Si L'Empire du Soleil et La Liste de Schindler ont tous deux la Seconde guerre mondiale pour contexte (l'occupation de la Mandchourie par les Japonais pour le premier et l'Holocauste pour le second), ces deux (chefs) d'oeuvres relèvent avant tout de drames historiques, et non de films de guerre à proprement parler. En ce sens, on peut dire que c'est avec Il faut sauver le soldat Ryan que Spielberg livre vraiment son film de guerre.
"Je ne voulais pas venir avec mon équipe pour glorifier ce qui s'est passé. J'ai essayé de rester fidèle et cru" expliquait Spielberg. Le credo était simple : livrer un film de guerre ultra réaliste et sans concession. A des années lumière du débarquement du Jour le plus long.
Pari réussi au-delà des espérances avec un film gorgé de morceaux d'anthologie, dont la séquence du débarquement à Omaha Beach, qui dure 20 min, assurait déjà à elle seule la postérité du film. Tournée en Irlande avec plus de 1000 figurants, dont 250 soldats de l'armée irlandaise (et même une trentaine de personnes amputées jouant des soldats mutilés), le résultat est proprement hallucinant, et même décuplé par le travail tout particulier effectué sur les impacts sonores des balles qui déchiquètent les chairs.
En fait, l'impact de cette séquence (et plus largement du film) fut si foudroyant pour les vétérans du D-Day qui découvrirent le film qu'un numéro spécial de téléphone fut mis en place par le Department of Veteran affairs (l'équivalent de notre Secrétariat d'Etat aux anciens combattants) pour recueillir la parole de ces soldats traumatisés par le film, qui venait brusquement de raviver de douloureux souvenirs.
"Je ne regarde pas beaucoup de films de guerre" expliquait Christopher Nolan à Joshua Levine, auteur du livre Forgotten Voices of Dunkirk, réédité pour la sortie de Dunkerque. "On a vu Il faut sauver le soldat Ryan de Spielberg, qui était [...] instructif car il possède une esthétique de film d’horreur. Son approche de l’intensité et du gore est si absolue et réussie que nous avons compris qu’il fallait aller ailleurs" poursuit Nolan. En ce sens, Spielberg a bien retenu les conseils avisés du grand Samuel Fuller : "si tu fais un film de guerre, joue le réalisme" lui soufflait le réalisateur d'Au-delà de la gloire.
Ci-dessous justement, la fameuse séquence du débarquement...