AlloCiné : Comment est né le désir de mettre en scène Entre deux rives, un film très politique ?
Kim Ki-duk : J'ai voulu faire ce film car je ressentais cette angoisse de tout le peuple sud-coréen vis-à-vis des essais nucléaires nord-coréens. Je voulais montrer au monde entier que la Corée du Nord n'était pas la seule responsable et ainsi faire réfléchir le public sur cette situation.
Les scènes d'interrogatoires sont particulièrement dures, comment avez-vous travaillé sur ces séquences ?
Je me suis d'abord basé sur les dossiers auxquels j'ai pu avoir accès et qui m'ont permis de savoir comment se déroulait un interrogatoire. J'ai aussi vu des émissions, des documentaires sur le sujet. Je filmais moi-même les séquences, préférant le faire en gros plan notamment, pour mettre en avant le personnage et ce qu'il disait. Le montage joue également un rôle très important dans ces scènes afin d'en accentuer la tension.
Avez- vous fait appel à des conseillers dans les services secrets et la police pour coller au plus près de la réalité ?
Non, je n'ai pas fait appel à des conseillers, je me suis surtout appuyé sur des livres de personnes qui ont été interrogées dans le même cas de figure que le film.
J'ai des amis qui ont quitté la Corée du Nord et ils m'ont donné leurs témoignages.
Avez-vous rencontré des immigrés nord-coréens pour préparer le film ?
J'ai des amis qui ont quitté la Corée du Nord et ils m'ont donné leurs témoignages. J'ai aussi vu de nombreuses interviews de réfugiés.
Vous insistez beaucoup sur la relation d'amitié qui se crée entre le personnage principal Chul-woo (Ryoo Seung-bum) et l'agent chargé de sa protection (Lee Won-geun), c'était important de montrer, à travers ces 2 personnages, qu'un espoir de réunification était possible ?
Je voulais montrer plusieurs facettes de la personnalité de ces personnages, et notamment à travers ce jeune agent, grâce à qui je souhaitais montrer qu'une sorte d'amour était possible malgré la situation critique dans laquelle ils se trouvent.
Selon moi, il existe plusieurs formes de réunification. La première à laquelle on pense est la réunification militaire ; mais dans le cas de la Corée, je pense plutôt à la réunification économique. La Corée du Sud aiderait la Corée du Nord avec toutes sortes de subventions et ce dernier pourrait aider le Sud, notamment grâce à ses ressources naturelles. Cette collaboration peut aider à la réduction des conflits je pense.
Dans les séquences où Chul-woo se retrouve seul dans Séoul, vous filmez caméra à l'épaule, on dirait presque de la caméra cachée, c'était le cas ? Comment avez-vous tourné ces scènes ?
Effectivement, j'ai tourné ces séquences en caméra cachée. Par contre, les personnes autour du personnage principal sont des figurants qui connaissaient donc l'existence du tournage. Mais nous n'avons pas eu les autorisations nécessaires pour filmer à Séoul, nous avons donc filmé de manière clandestine.
La nouvelle génération a totalement adhéré à ce qui est décrit dans le film.
Comment le film a-t-il été reçu en Corée ? Comment le peuple perçoit-il le conflit entre le Nord et le Sud à ce moment compliqué de l'Histoire des 2 pays ?
Il y a eu 2 types de réactions. Les personnes âgées et plus conservatrices pensaient que le film racontait des mensonges. En revanche, la nouvelle génération a totalement adhéré à ce qui est décrit dans le film, ils disaient que c'était vraiment réaliste. Ils étaient contents que Entre deux rives existe car ça leur a fait réfléchir sur notre propre responsabilité par rapport au conflit nord-coréen ; ils se sont aussi posés des questions sur de possibles solutions.
Dans toute la complexité du drame, il y a des moments qui peuvent paraître humoristiques et absurdes, comme les séquences où les autorités demandent à Chul-woo de réécrire sans cesse ses déclarations. Aviez-vous la volonté d'injecter des touches d'humour pour alléger le récit ?
Je n'ai pas eu cette volonté d'apporter de l'humour, je voulais avant tout décrire ces scènes de façon réaliste. Les interrogatoires se passent vraiment de cette manière et mon but premier était de montrer comment ça se déroulait. Si le public y ressent une sorte d'humour noir alors tant mieux, c'est aussi une façon d'appréhender le film.
Vous terminez le film par un plan sur la fille de 7 ans du personnage principal qui sourit face caméra, pourquoi avoir décidé de finir le film là-dessus ?
J'ai beaucoup réfléchi sur la manière de terminer le film. Celle que j'ai trouvé parfaite pour Entre deux rives était de montrer que cette petite fille préférait son ancienne peluche à la neuve qu'on lui a rapporté de Corée du Sud. Cette image m'évoquait les anciennes relations entre les 2 Corées, des bonnes relations, plutôt fluides, celles d'avant la guerre. Je souhaitais aussi montrer une forme d'espoir... l'espoir de retrouver un jour ces bonnes relations.
Le cinéma indépendant coréen commence à tourner en rond en abordant les mêmes sujets.
Quel est votre opinion sur le cinéma coréen actuel ?
Le cinéma coréen a connu une apogée dans les années 90 et 2000. Maintenant, quasiment uniquement les grandes entreprises financent la production des films et cela entraîne un problème : les œuvres abordent les mêmes sujets s'avérant plus commercialisables qu'autre chose. Cela commence même à déteindre dans le milieu du cinéma indépendant qui commence à tourner en rond en abordant les mêmes sujets.
Quel est votre prochain projet ?
Je viens de terminer le tournage d'un film qui s'appelle Le Temps de l'Humain. Le film traite du passé, du présent et du futur de l'Homme. Ce sera très différent de Entre deux rives.