Orson Welles et William Randolph Hearst
Lorsque l'on parle des puissants patrons de Presse aujourd'hui, aucun ne soutient pourtant la comparaison avec un baron de la Presse tel que le sinistre William Randolph Hearst. En fait, Hearst faisait tellement peur que même ses plus farouches adversaires n'osaient pas l'attaquer frontalement, de peur d'avoir à subir la colère et les foudres olympiennes d'un homme à l'influence presque sans limite.
Celui qui en parle le mieux est sans doute Orson Welles, dont on sait que son incarnation de Charles Foster Kane dans son Citizen Kane est très largement empruntée à la vie du magnat. Bien des années après la sortie de son chef-d'oeuvre, Orson Welles écrivit, en mai 1975, ces propos concernant sa source d'inspiration : "la vérité est que Hearst ne fut jamais riche à la manière d'un Aristote Onassis. Le pouvoir d'Onassis résidait uniquement dans son argent. Il pouvait s'acheter une compagnie aérienne, une île ou un colonel grec. Mais sa place dans l'Histoire tient surtout dans les colonnes des rumeurs de la presse à sensation. Hearst, lui, publiait ces rumeurs; il les a même pratiquement inventé. La différence est immense".
En fait, l'influence de Hearst était telle qu'il y a même une fameuse anecdote à ce propos. Le photographe Frederick Remington, qui travaillait pour lui et qui fut chargé de couvrir la guerre hispano-américaine à Cuba en 1898, se plaignit alors auprès de Hearst dans un télégramme, lui disant qu'il n'y avait pas assez de combats à photographier pour le tenir occupé. Ce à quoi Hearst répondit : "Vous faites les photos. Je ferai la guerre".
C'est peu dire que Hearst ne goûta pas vraiment l'histoire du film de Welles, même si le magnat refusa de le voir. Il a interdit à ses publications de parler du film, même succinctement. Il tenta même de racheter la copie originale du film pour la brûler, menaça les exploitants de salles qui diffuseraient le film, et fit même un lobbying intense auprès de l'Académie des Oscars pour empêcher que le film de Welles ne remporte l'Oscar du Meilleur film, au profit de Qu'elle était verte ma vallée.
Parmi les autres motifs expliquant la rage de Hearst à l'égard du film de Welles figure le personnage féminin du film, la jeune Susan Alexander Kane, une chanteuse d'opéra ayant sombré dans l'alcoolisme incarnée par Dorothy Comingore. Nombreuses sont les personnes à avoir associé ce personnage à la muse de Hearst, l'actrice Marion Davies, même si, plus tard, Orson Welles se défendit de s'être inspiré de la comédienne pour créer ce personnage.
Welles raconta aussi que Hearst engagea une prostituée et un photographe pour le piéger et le compromettre suffisamment avec un éventuel scandale au point de ruiner sa carrière. Mais Welles fut renseigné par un policier avant que le piège ne soit mis en place.
Il existe enfin un autre argument expliquant la haine de Hearst envers Orson Welles et l'autre scénariste du film, Herman J. Mankiewicz. Mais c'est un argument totalement officieux, basé sur les rumeurs courant dans les dîners et soirées hollywoodiennes bien arrosées où les bons mots -comme les mauvais- sont lâchés en patûre. Rosebud, l'énigmatique et fameux nom que prononce Charles Foster Kane jusque sur son lit de mort et qui désigne la luge qui a bercé l'enfance du magnat, était en fait le surnom que Randolph Hearst avait donné... au sexe de Marion Davies; soit "bouton de rose"... Une anecdote croustillante qui serait bien entendu parvenue jusqu'aux oreilles d'Orson Welles et son ami scénariste. Et quand on sait que le film s'achève sur ce fameux nom porté sur les lèvres de Welles tandis que la luge brûle...