L'été 2014 a clairement été l'un des grands tournants de la carrière de Carl Barât : alors qu'il répète en Angleterre pour le concert qui marquera les retrouvailles tant attendues des Libertines, il doit se rendre fréquemment en France pour tourner For This Is My Body, et tenir son premier grand rôle de cinéma devant la caméra de Paule Muret.
Une série d'allers et retours qui ne plaît d'ailleurs pas tant que ça à la réalisatrice : "Elle a essayé de m'empêcher de faire le concert", nous raconte en riant le rockeur, redevenu meilleur ami de Pete Doherty, lorsque nous le rencontrons à Paris pour évoquer, avec humour et enthousiasme, ce long métrage dans lequel il incarne... une rock star.
AlloCiné : Comment vous êtes-vous retrouvé devant une caméra ?
Carl Barât : C’est Paule, la réalisatrice, qui est venue vers moi. Elle souhaitait travailler avec moi depuis plusieurs années mais n’arrivait pas à trouver comment protéger mon talent (rires) Elle a fini par revenir vers moi avec un scénario. Elle était très passionnée et me disait que je devais jouer ce rôle. C’était une belle offre et c’est très agréable d’avoir quelqu’un qui croit en vous, donc j’ai été ravi de sauter le pas.
Avez-vous hésité, vu qu’il s’agissait de votre premier rôle au cinéma ?
Pas vraiment car c’était excitant et stressant à la fois. Mais je sentais que je connaissais assez bien le personnage pour être capable de le jouer. C’est vraiment plus facile de commencer par quelque chose que vous connaissez : ça permet de se familiariser plus facilement avec les caméras, les dialogues… Sans ça ce serait trop dur donc j’ai eu droit à une super introduction au métier d’acteur.
Le fait d’avoir joué l’opéra rock "Pop'pea" sur scène, ou d’avoir vu Pete Doherty au cinéma, dans "Confessions d'un enfant du siècle", vous a-t-il donné un peu plus confiance ?
Je pense que oui. Chaque petite chose aide à avoir un peu plus confiance en soi, et à force vous en avez assez pour pouvoir tout faire.
Carl Barât sur scène (et en rouge) dans "Pop'pea" :
Beaucoup de choses paraissent réalistes dans le film, qu’il s’agisse de la rock star en-dehors de la scène ou de sa relation avec les fans : avez-vous pu infuser un peu votre expérience dans le scénario ?
Oui, mon expérience et celle de personnes autour de moi, auxquelles j’ai assisté. Mais pas jusqu’à toucher au scénario, qui est entièrement de Paule. Nous avons discuté de certaines variables que nous pourrions changer, mais c’est elle qui a tout écrit.
Vous avez cependant écrit des chansons pour le film : étaient-elles basées sur l’ambiance recherchée par Paule ? Ou s’est-elle adaptée à ce que vous aviez composé ?
Les chansons ont spécialement été écrites pour le film et le personnage. Il n’y a pas de références croisées à ma vie, et nous avons choisi une appellation générique, "le rockeur", pour lui. Et les chansons ont été écrites pour lui. C’était les plus ordinaires pour une rock star. Mais je ne voulais pas non plus que ce soit de la merde et que le refrain consiste à dire "Eye of the Tiger" quatre fois de suite. J’ai pris ce travail au sérieux.
Je me rappelle avoir été dans la même situation que le personnage
Vous êtes-vous quand même inspiré d’ébauches de chansons que vous aviez dans un coin de votre tête ?
Non, seulement du scénario. Le film devait initialement s’appeler "Pulse", et la chanson principale porte ce titre. Puis le personnage a peur de tunnels, et c’est pour cette raison que l’une des paroles dit "La vie est un tunnel à travers l’aveuglement". Tout ce qu’il y a dedans renvoie au scénario. Ou aux raisons pour lesquelles je pense que mon personnage fait ce qu’il fait. Mais je me rappelle avoir été dans la même situation que le personnage, lorsque j’étais dans des groupes étant plus jeune, et j’ai essayé de me remettre dans le même état d’esprit que lorsque j’écrivais des chanson à cette époque.
Dans la seconde partie du film, lorsque les personnages sortent à l’extérieur, votre personnage ressemble à un vampire. L’avez-vous approché avec cette image en tête ?
Bien sûr. Mais un vampire dénue d’immortalité, qui se nourrit de ce que les gens peuvent faire pour son propre ego. Il y a beaucoup de parallèles et je pense même avoir fait l’erreur de dire aux gens que je tournais un film de vampires au début (rires) Mais il est très vampirique sur le plan psychologique.
Il semble aussi se voir comme une figure christique, ce qui renvoie au titre.
Oui, c’est le complexe du Messie, en partie personnifié par l’artiste et par la groupie. Ce sont deux versions de la même chose.
Diriez-vous que trop de rock stars souffrent de ce complexe ?
Oui, et de différentes façons. Je n’ai jamais vraiment été un type à Messie, mais il y a des fois où j’étais trop auto-centré, nihiliste et narcissique, ce qui est une variante du complexe. Pas à la Jim Morrison non plus, car je n’ai jamais été jusque-là, mais j’ai vu d’autres personnes le faire.
Trop de rock stars souffrent du complexe du Messie
Vous avez d’ailleurs travaillé avec Russell Brand*, qui a un look de Messie.
(rires) Je pensais justement à lui en disant ça (rires)
D’où vient ce complexe chez les rock stars ? De la célébrité, des groupies et de tout ce qui va avec ?
Je pense que c’est cette adulation oui. Lorsque vous êtes immergé dans un monde, vous passez vos journées assis en disant : "Parlons de moi". Dans le milieu musical en tout cas. Vous allez ensuite avoir vingt personnes de plus pour parler de vous, puis d’autres qui demandent si elles peuvent traîner avec vous, et vous vous bourrez la gueule. Si vous faites ça tous les jours, vous pouvez sérieusement devenir auto-centré, ça arrive. Je ne sais d’ailleurs pas si je réponds bien à la question, car je pensais surtout à mon cas (rires)
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 21 octobre 2016
Rendez-vous dans quelques jours pour connaître les goûts ciné et séries de Carl Barât
* Carl Barât a écrit les chansons "Gang of Lust" et "Jackie Q" de la bande-originale du film "American Trip" avec Russell Brand