Game of Thrones : le mur qui cache la forêt
Coup de tonnerre à Hollywood le 20 mai dernier : HBO annonce que son président, Michael Lombardo, en poste depuis 9 ans mais présent au sein de la chaîne depuis 33, quitte ses fonctions. Comme souvent dans ces cas-là, la séparation est annoncée comme "prise d'un commun accord". Mais ne nous y trompons pas : c'est de résultats d'audiences décevants et d'un enchaînement de couacs dont l'homme fort de la chaîne culte fait les frais.
Certes, Game of Thrones est un succès qui fait vibrer la planète et restera à jamais au panthéon des séries les plus cultes, mais quels autres shows made in HBO créent le buzz et/ou suscitent la passion des critiques et des sériephiles ces dernieres années ? On pourrait citer les comédies Veep et Silicon Valley, justement diffusées après GOT, le drama The Leftovers... mais c'est bien tout ! L'époque où Les Soprano et Sex & The City pouvaient réunir jusqu'à 10 millions d'abonnés est bien loin. De plus, la fin de GOT n'est plus très loin. Il ne reste plus que deux saisons qui totaliseront 13 épisodes, soit une fin en juin 2018. D'ici là, tout est à refaire.
Une pionnière assiégée, un trône convoité
Pendant ce temps-là, les concurrentes directes de HBO dans l'univers du payant que sont Showtime et Starz parviennent à se distinguer avec des projets culottés (Masters of Sex, The Affair, The Girlfriend Experience), quitte meme à récupérer ce dont HBO n'a pas voulu comme American Gods, qui risque de cartonner très prochainement.
Les chaînes câblées type AMC ou FX prennent de la hauteur grâce aux cartons de Mad Men et Breaking Bad -elles aussi refusées par HBO- Sons of Anarchy, The Walking Dead, tandis que les plus populaires TNT et USA Network tentent une montée en gamme (Mr Robot).
Enfin, les plateformes de streaming, à commencer par la tentaculaire Netflix, prennent toute la place médiatique avec House of Cards, Orange is the new black, Narcos et bien d'autres; Amazon se fait remarquer avec Transparent ou The Man in the High Castle; et Hulu se lance à son tour dans la course (11.22.63, The Path)... Bref, plus que jamais, la guerre est déclarée !
Celles qui sont mortes au combat
L'été dernier, le ratage complet de la saison 2 de True Detective, pour lequel Michael Lombardo avait reconnu être responsable après avoir demandé à Nic Pizzolatto d'accélerer la cadence d'écriture, a signé le début des malheurs de la chaîne. La possibilité d'une saison 3 s'éloigne d'ailleurs de plus en plus, au profit d'un nouveau projet du créateur.
Il y a d'abord eu le tournage chaotique de la mini-série Lewis and Clark, produite par Brad Pitt et Tom Hanks, qui a fini par être interrompu. A l'heure actuelle, les épisodes sont en cours de réécriture et aucune date de reprise n'a été fixée. L'autre mini-série alors en pré-production Codes of Conduct par Steve McQueen a été purement et simplement annulée après des mois de développement et le tournage du pilote. Coup de massue pour David Fincher à la même période, qui voit tour à tour ses deux projets pour la chaîne, Videosyncrasy et Utopia, passer à la trappe après n'avoir pas pu se mettre d'accord sur leurs budgets en plus de divergences créatives.
La dramédie Looking, malgré un bel accueil critique, n'a pas obtenu sa saison 3 mais seulement (et heureusement) un téléfilm de conclusion, diffusé au milieu de l'été. Chance que n'aura pas Togetherness, annulée après deux saisons elle aussi. La satire politique The Brink, dans un premier temps renouvelée pour une saison 2, a finalement été abandonnée. Même sort pour la musicale Vinyl, pourtant signée Martin Scorsese. Elle qui devait être l'événément de 2016 pour HBO a tourné à la catastrophe avec des audiences plus que confidentielles malgré un budget pharaonique. Il s'agit là d'une décision logique du remplaçant de Lombardo, son fidèle disciple Casey Bloys, qui marque ainsi le début de son règne par un geste symbolique fort.
Westworld : à la conquête d'un nouveau public
La science-fiction n'a jamais vraiment été explorée par HBO. A l'heure où les blockbusters du genre cartonnent plus que jamais au cinéma, en particulier Star Wars et Interstellar, dont les budgets permettent de voir les choses en très grand, la chaîne a logiquement confié les rènes de Westworld, un pari fou, celui d'adapter le film méconnu mais culte des années 70 en série, à J.J. Abrams, en qualité de producteur, et Jonathan Nolan, le frère scénariste de Christopher qui vient d'achever la plus grand public Person of Interest. HBO leur a permis d'avoir les moyens de leurs ambitions et les premières images absolument bluffantes ont de quoi rassurer sur la qualité du produit final.
Pourtant, les choses n'ont pas été simples. Là aussi, la production a connu quelques difficultés, le tournage a été stoppé pour retravailler les scripts, et le lancement, prévu à l'origine début 2016, a été repoussé à l'automne. Pour autant, la chaîne semble énormément miser sur elle et devrait lui offrir une promotion gigantesque dans les semaines à venir. Reste à savoir si le public sera intéressé par une histoire complexe dans un monde entre passé et futur peuplé de robots, de vastes paysages désertiques et d'orgies... Westworld sera-t-elle le Game of Thrones de la SF ? A noter que Nolan travaille en parallèle sur une autre série pour HBO, l'adaptation du classique de la littérature Foundation...
Divorce, Insecure... Les femmes prennent le pouvoir !
Les nostalgiques de Sex & The City, encore très nombreux, n'ont pas forcément accroché à Girls, la comédie de Lena Dunham qui a choisi d'adopter un point de vue plus réaliste et arty et beaucoup moins glamour sur la vie de jeunes new-yorkaises. HBO a peut-être trouvé la solution pour renouer avec ce public-là, qu'elle a totalement délaissé ces dernières années. Non pas en proposant une suite des aventures de Carrie Bradshaw -qui à l'époque des revivals en tout genre n'aurait pas plus étonné que cela- mais avec une nouvelle série dont Sarah Jessica Parker est la star.
Divorce, c'est un peu l'après mariage de Carrie, le retour à la réalité. L'histoire de Frances, une mère de famille forcément new-yorkaise dans la force de l'âge, qui décide de "recommencer" sa vie avec l'aide de ses amies Dallas et Diane, et songe même au divorce. Mais son mari ne l'entend pas de cette façon...
A l'heure où la télévision américaine embrasse plus que jamais la diversité en offrant des rôles principaux à des acteurs ou actrices issus des minorités, HBO, et le câble de manière plus général, s'est montrée bien timide en la matière. Une petite polémique avait d'ailleurs éclaté lors du lancement de Girls, en accusant la série de ne parler que de la "jeune femme blanche" puisqu'aucune de ses héroïnes n'était black, latina ou asiatique. Insecure semble arriver comme une réponse à cela, mais ne soyons pas trop réducteurs, elle vaut mieux que cela !
Rien de bien original sur le papier pourtant : les expériences quotidiennes savoureuses et parfois surréalistes d'une Afro-Américaine à l'aube de la trentaine et de sa meilleure amie délurée... Mais ce qui risque bien de faire la différence, c'est Issa Rae, jeune comédienne de stand-up qui est ici à la fois la créatrice, la productrice et l'actrice principale de la série. La voix d'une génération ?
Des mini qui ont tout de grandes
Acheter des séries déjà clé en main, c'est à dire des séries qui ont été développées en externe et qu'une chaîne ne se contente que de diffuser, avec toute une équipe de production et un casting déjà mis en place, c'est à court terme une solution pour HBO. Et c'est d'ailleurs ainsi que True Detective s'est retrouvée sur son antenne. Et bien des succès actuels de Netflix, également. Trois mini-séries sont ainsi attendues dans les prochains mois, avec des stars dans la distribution.
Big Little Lies sera la première à débarquer, certainement début 2017, et a plus d'un atout pour créer l'événement. A commencer par son casting, composé de Nicole Kidman, Reese Witherspoon, Shailene Woodley, Laura Dern et Alexander Skarsgard ! Adaprée d'un best seller de l'australienne Liane Moriarty, elle est écrite par David E. Kelley, un très grand monsieur de la télévision américaine, spécialisé dans les séries judiciaires (Ally McBeal c'est lui !), et réalisée par Jean-Marc Vallée, le Canadien à l'oeuvre sur C.R.A.Z.Y. et Dallas Buyers Club. L'histoire de trois femmes, trois mères, à la vie apparemment parfaite, qui sont mêlées à une histoire de meurtre s'étant produit lors d'une soirée parents-élèves dans une école.
Jean-Marc Vallée rempilera pour Sharp Objects, autre mini-série qui mettra en vedette Amy Adams dans le rôle de Camille Preaker, une reporter qui sort tout juste sortie d'un bref séjour à l'hôpital psychiatrique. Elle retourne dans la ville de son enfance pour tenter de résoudre le meurtre de deux adolescentes. Le roman qui sert de base à la série est signé Gillian Flynn, l'auteure de Gone Girl.
Dans un tout autre style, HBO renouera avec l'histoire (qui lui a très souvent réussi comme avec John Adams, Rome ou Frères d'armes) en compagnie de Sean Penn. American Lion sera une évocation de la vie d'Andrew Jackson, le 7ème Président des Etats-Unis à l'héritage très controversé. Doug Miro et Carlo Bernard, deux des créateurs de Narcos, ont été recrutés pour écrire le scénario de cette fresque.
David Simon, le roi en son royaume
Depuis The Wire -qui n'a pas été un succès instantané pour la chaîne- David Simon a presque carte blanche sur HBO. Entre 2010 et 2013, il était le chef d'orchestre de l'audacieuse Treme, aux audiences confidentielles mais aux critiques dithyrambiques, qui racontait la reconstruction de la Nouvelle Orléans après le passage de l'ouragan Katrina, à travers le point de vue de musiciens. Il a offert en 2015 la mini-série Show Me a Hero avec Oscar Isaac sur Nick Wasicsko, le plus jeune maire de Yonkers, dans l'état de New York, qui se voit contraint par la justice de faire construire des logements sociaux dans un quartier majoritairement occupé par des blancs. Ses fictions, toujours très politiques, représentent l'esprit HBO à merveille.
En 2017, il proposera The Deuce, qui fera sans nulle doute beaucoup parler de par son sujet mais le risque d'un nouvel échec à la Vinyl n'est pas à exclure... Il s'agira d'une plongée dans l'industrie du porno dans les années 70 et 80, où James Franco jouera des jumeaux qui font fortune dans le X, et Maggie Gyllenhaal tiendra le rôle d'une prostituée recrutée pour devenir actrice porno... En parallèle, David Simon travaille également sur Capitol Hill, un projet examinant l'influence de l'argent sur la gouvernance nationale ! Tout un programme...
HBO pourrait bien faire appel à d'autres grandes signatures qui ont fait sa renommée, on pense notamment à David Chase, Mr Les Soprano, qui développe depuis quelques années Ribbon of Dreams, sur le destin de trois hommes au début de l'âge d'or de Hollywood.
Le HBO du futur
HBO regorge de projets qui ne verront pas le jour avant 2018. Tous n'aboutiront d'ailleurs pas mais parmi eux on peut noter la présence de super-héros ! HBO va-t-elle succomber à la tendance ? Si c'est le cas, espérons qu'elle le fasse différemment... Une série Watchmen est en développement, avec Zack Snyder à la production. Et même l'univers Marvel, qui s'est fait une belle place sur Netflix avec Daredevil et Jessica Jones, pourrait débarquer sur HBO. Ils s'intéressent au personnage de Scarlet, une anarchiste badass en rupture totale avec le monde qui l’entoure qui va mener une petite révolution dans les rues de Portland. Entre Deadpool et The Punisher !
Hors super-héros, la chaîne mise sur l'oscarisée Kathryn Bigelow (Démineurs, Zero Dark Thirty) à travers Modagishu, Minnesota, une plongée sans consession dans une cellule de recrutement djihadiste du Minnesota; et Succession, une grande saga familiale moderne réalisée par Adam McKay (The Big Short). Deux pilotes ont été commandés par Casey Bloys dès son arrivée à la tête de HBO.
HBO démarre le dimanche 10 juillet son excellente mini-série The Night Of, diffusée en US+24 chez nous sur OCS City :
