AlloCiné : Quand on présente ce film, quelques mois après le décès de sa réalisatrice Solveig Anspach, dont vous étiez proches, est-ce que cela ne dépasse pas le cadre du cinéma et de Cannes ?
Florence Loiret-Caille : Totalement. Cela faisait entièrement partie de la façon dont travaillait Solveig. Elle se nourissait de tout, des gens avec qui elle travaillait, parfois depuis très longtemps. Elle a gardé la même équipe depuis Haut les coeurs !, lequel avait déjà été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs. Elle aime bien dire que ce qui l'intéresse, c'est de mélanger les gens et de voir ce qui se passe avec ces personnalités différentes. Son équipe fidèle était dans une certaine urgence. Cela m'a frappé quand j'ai revu le film. Sur le tournage de Queen of Montreuil, elle allait très bien. Sur ce film-là, elle allait moins bien et il traite justement de la vie, sur une forme d'utopie à la fois poétique et amoureuse.
Samir Guesmi : Je ne sais pas. Je le disais justement à Florence... Je suis frappé par une forme d'anesthésie. Je sais qu'elle n'est plus là mais... En réalité je ne sais pas si je suis dans un contrôle absolu de mes sentiments et de ce qui se passe ou s'il y a un endroit en moi qui refuse de croire. Je crois que cela va faire un gros vide, mais on va se le manger tout seul, en tout cas moi. Mais pour la "parade", je fais le con et je suis content. Le reste, je n'arrive pas à le vivre.
Je suis persuadé que le cinéma a reculé l'heure de sa mort
Jean-Luc Gaget : Pour nous tous, Solveig n'était pas juste une cinéaste. Elle était une amie. Il n'y a pas deux personnes comme cela dans ma vie. Il y a eu un avant et un après, aussi bien dans l'amitié que dans le travail. C'est quelqu'un qui faisait de vous un "élu". Quand elle vous choisissait, on se demandait forcément "Pourquoi moi ?" Et par la suite elle se montrait d'une grande fidélité. On a écrit 7 films ensemble, on ne s'est jamais arrêtés depuis qu'on s'est rencontré. Il y avait toujours un projet qui poussait un autre projet qui en poussait un nouveau...
Et même encore au mois de juillet, alors qu'elle est décédée un mois plus tard, on était en train de travailler sur un autre projet. Je suis persuadé que le cinéma a reculé l'heure de sa mort. Elle le sentait elle-même. Elle est tombée malade juste avant le tournage de Queen of Montreuil et elle a tout de même fait ce film, Lulu femme nue et L'effet aquatique. Ces 3 films ont été difficiles à monter, peut-être un peu moins Lulu grâce à la présence de Karin Viard. Mais on a toujours continué à travailler même quand elle était à l'hôpital. Je sentais que c'était très important pour elle de toujours se projeter dans un nouveau projet. Elle adorait les gens, et un projet constituait surtout être avec des gens. C'est sans doute cela qui donne de la force à son cinéma.
Dans "L'effet aquatique", le personnage que vous incarnez, Samir Guesmi, ne sait pas mentir. Quand il commence, il ne peut s'empêcher d'avouer la vérité. Et pourtant, il va mentir par amour...
Samir Guesmi : Je n'avais pas vu cela sous cet angle, mais vous avez raison. Il est tellement amoureux... Il est sincère avec son élan mais totalement en porte-à-faux. C'est vrai : c'est l'histoire d'un menteur qui ne sait pas mentir. Mais il s'en veut de ce mensonge.
Cela fait du bien de jouer dans une comédie romantique qui s'assume totalement ?
Florence Loiret-Caille : Oui ! Et notamment parce qu'on n'a pas peur du ridicule. Solveig avait aussi ce talent de rendre les gens beaux. Elle a vraiment l'oeil de révéler la beauté.
Propos recueillis par Thomas Destouches à Cannes le 17 mai 2016