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    Tout pour être heureux : "Manu Payet, c'était inattendu, c’est ça qui m’intéressait"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Manu Payet, Audrey Lamy et Aure Atika sont à l'affiche ce mercredi de Tout pour être heureux, second long métrage de Cyril Gelblat. Une jolie comédie juste et tendre autour du thème de la paternité. Rencontre avec son réalisateur, Cyril Gelblat.

    AlloCiné : Tout pour être heureux est une adaptation assez libre du livre de Xavier de Moulins, Un Coup à prendre. Qu’est-ce qui a changé fondamentalement entre le livre et le film ?

    Cyril Gelblat, réalisateur et scénariste : Je suis parti du propos de Xavier, qui dit vraiment quelque chose sur notre époque, sur ma génération, sur les couples que j’ai autour de moi. Son propos était que le personnage d’Antoine (Manu Payet) a eu besoin de sortir du noyau familial, qu’il était incapable d’être père à l’intérieur de ce noyau. Il a eu besoin d’en sortir pour faire la rencontre de ses enfants.

    J’y ai amené le personnage de la sœur (Aure Atika), qui n’existait pas dans le livre, l’univers musical, une énergie d’Antoine qui était dilettante dans le livre comme dans le film. Dans le film, il y a aussi tout un travail sur la dernière chance que j’ai amené. Mais ça reste profondément fidèle au propos de Xavier, qui est vraiment quelque chose que je n’arrivais pas à trouver quand je cherchais. C’est-à-dire que je voulais parler de ça, je voulais sortir un peu des sentiers battus sur les films sur la parentalité, sur la paternité, et parler d’un truc d’aujourd’hui.

    Je voulais sortir un peu des sentiers battus sur les films sur la parentalité, sur la paternité, et parler d’un truc d’aujourd’hui.

    J’ai été un nouveau père tout de suite, donc mon expérience perso n’était pas très intéressante, pas très cinématographique. L’idée de partir d’un père totalement démissionnaire de son rôle de père et qui fini par devenir une sorte de « mère juive » était vraiment un trajet que je trouvais singulier, pas traité et cinématographique.

    Quelle idée aviez-vous de Manu Payet quand vous l’avez choisi. Est-ce que vous aviez en tête qu’il avait peut être d’autres choses à proposer que les rôles qu’on lui a jusqu’ici souvent proposé ?

    Oui, c’était le but. J’étais assez client de ce qu’il faisait, dans les petites apparitions. Je trouvais qu’il avait un rapport au texte. C’est-à-dire qu’il arrivait à rendre drôle des choses banales, qu’il avait vraiment un flow, son sens du rythme. Je le trouvais plus impressionnant que ce qu’on disait de lui. Et je trouvais qu’il y avait des zones d’ombre chez lui que je pressentais et ça m’intéressait que l’interprétation de son Antoine soit inattendue. 

    Ça aurait pu être très évident dès le départ avec certains acteurs auxquels je pouvais penser et qui arrivaient tout de suite avec leur filmographie et leur démarche de père. Une évidence de les employer dans un rôle de père. Manu, c’était inattendu, c’est ça qui m’intéressait. Comme le personnage a un vrai trajet dans le film, je trouvais intéressant que lui l’ait aussi. 

    Julien Panié

    Et les autres comédiennes ? Je voyais Aure Atika dire dans une interview que le fait que son personnage soit développé avec une vraie intrigue secondaire était vraiment plaisant. Ces rôles existent vraiment en effet. 

    Oui, tant mieux ! C’était vraiment une ambition d’écriture, c’était que chaque personnage ait un trajet. Un point de départ, un point d’arrivée. De travailler sur ces arcs de personnages. Que chacun se rencontre.

    C’est aussi l’histoire d’un frère qui rencontre sa sœur, d’un père qui rencontre ses enfants, d’un couple qu’on rencontre a un instant T.

    C’est aussi l’histoire d’un frère qui rencontre sa sœur, d’un père qui rencontre ses enfants, d’un couple qu’on rencontre a un instant T. Toutes leurs différences qui sont les raisons précises pour lesquelles ils se sont aimés sont les raisons pour lesquelles ils ne se supportent plus. On les retrouve très différent à la fin du film. Nécessairement, les rôles secondaires, j’y ai porté une attention à l’écriture. Je voulais qu’ils soient incarnés.

    Il y a beaucoup d’acteurs qui font des apparitions comme Alix Poisson, Alexis Michalik, Pascal Demolon, Vanessa Guide… Tous ces acteurs sont des gens que j’aime vraiment beaucoup. C’était très important pour moi qu’il y ait cette bande d’acteurs que j’aime. J’ai un document sur mon ordinateur qui s’appelle « Acteurs que j’aime » et il n’y a pas un acteur du film qui n’y ait pas. C’est formidable pour moi qu’ils aient accepté pour des plus petites choses qu’ils ont l’habitude de faire. Je suis très content.

    C’est de diriger des comédiens qui vous intéresse le plus justement. Ou peut être est-ce plutôt un tout ?

    Je vois le processus comme quelque chose de global, comme un tout. Mais l’écriture peut être un bonheur pour moi, ça peut être très long. Le montage est une souffrance. Et là où je prends vraiment énormément de plaisir, c’est le plateau, donc le rapport aux acteurs, aux décors, à l’équipe. Travailler avec les acteurs pour trouver la vérité. Quand quelque chose ne fonctionne pas, qu’on travaille, qu’on cherche et qu’on arrive à la faire fonctionner, c’est un vrai bonheur. 

    Julien Panié

    Qu’est ce qui vous a guidé vers le métier de réalisateur ?J’ai trouvé assez peu de choses sur votre parcours.

    J’étais cinéphile, mais pas du tout un rat de cinémathèque. Je n’avais pas une consommation effrénée de cinéma. Mais plus je grandissais, plus j’étais dans l’analyse des films. Ca m’intéressait de voir des films que je n’aimais pas, par exemple. Essayer de comprendre pourquoi ça ne marchait pas à mon sens.

    Et puis, j’avais pas mal d’amis qui faisaient des études de cinéma et j’étais un peu jaloux ! J’avais envie de faire ça et je ne l’avais pas fait. Je leur demandais à lire leur scénario, ça me plaisait de voir ce qu’ils faisaient, ce qu’ils aimaient. Je m’ennuyais dans mes études. Je suis allé vers l’écriture.

    J’ai eu la chance d’écrire un court métrage, de trouver le casting, la production, l’argent et de pouvoir réaliser ce court métrage juste après mes études, sans avoir jamais mis les pieds sur un plateau de cinéma. Je me suis retrouvé à diriger des comédiens confirmés et ça a été ma formation, d’être tout de suite dans la mise en scène.

    Quels sont les premiers films qui vous ont marqué ?

    Ce ne sont pas des films qui m’ont marqué dans le sens où ce ne sont pas des influences dans ce que je fais. Je ne sais pas si c’est le premier film que j’ai vu au cinéma, mais il y a un film qui m’a énormément marqué : c’est Les Dix Commandements de Cecile B. De Mille. Je me souviens l’avoir vu en salle. J’ai eu une émotion très singulière par rapport aux autres films que j’avais l’habitude de voir. C’est un vrai premier souvenir de cinéma. 

    Un autre souvenir, et encore une fois, ce n’est pas du tout une influence dans ce que je fais aujourd’hui, c’est Le Temps des gitans d’Emir Kusturica. J’ai été fasciné par ce film. 

    J’ai grandi à Nice donc on n’avait pas accès aux films du patrimoine, aux grands classiques, sauf en VHS. Et puis je suis arrivé à Paris à 16 ans, j’habitais dans le quartier Latin. J’ai deux souvenirs très précis : Little Odessa de James Gray, et Meurtre d’un bookmaker chinois de Cassavetes. Et pour ce film, on peut dire qu’il y a des influences sur le personnage d’Antoine (Manu Payet) dans Tout pour être heureux. 

    Sinon, il y a un film qui est assez important pour moi, c’est Le Fils préféré de Nicole Garcia, parce que c’est le premier tournage que j’ai vu. J’étais très jeune. Ca se tournait en bas de chez moi à Nice, et je suis allé le voir en salle à sa sortie. C’était la première fois que j’allais voir un film qui n’était pas un Terminator ou Karaté Kid ! J’ai compris -sans qu’on ne m’en ait jamais parlé avant- la définition d’un film d’auteur. J’avais vraiment l’impression que Nicole Garcia me parlait, que c’était des personnages que je connaissais dans ma vie. J’avais vraiment l’impression d’être en prise avec les personnages. 

    Julien Panié

    Un peu plus tôt, vous évoquiez l’univers musical de Tout pour être heureux. Comment avez-vous trouvé cette jeune artiste (Joe Bel) qu’on découvre dans le film et qu’est-ce qui vous a plu chez elle ?

    On a fait le tour des maisons de disque parce que j’avais très peur qu’on ne fasse pas quelque chose qui soit à la hauteur des ambitions du scénario tel que je l’imaginais. C’est à dire, comme dit dans le film, un « diamant brut » qui devient une star internationale. C’est très facile à écrire ça, mais quand il faut le filmer, c’est beaucoup plus compliqué… J’avais peur de ne pas trouver une interprète qui soit à la hauteur de ça.

    Il y a cet écueil des films sur la musique : soit on a des acteurs qui chantent, soit on a construit tout un univers musical pour le film et ce n’est pas du tout à la hauteur d’un mec qui a une salle remplie devant lui qui fait un Zénith ou un Olympia. J’étais prêt à mettre un univers complètement différent que celui de la musique si on ne trouvait pas parce que je voulais vraiment faire de la musique un personnage.

    Je trouvais que ça irait bien à la mise en scène et au style du film que je voulais un peu dans le sens d’une comédie indépendante américaine, et pas d’une comédie française mainstream.

    On a fait le tour des maisons de disque très tôt, c’est le premier personnage qu’on a casté, et Dieu merci, Joe est venue sur notre route. J’ai tout de suite été conquis par son travail, sa musique. Je m’interdisais de me donner un univers musical car je me disais que si je trouve une petite rappeuse qui est géniale, ça sera dans le rap, ou une rockeuse, parce qu’il me faut la meilleure. Mais intérieurement, je rêvais d’un son un peu pop-folk. Je trouvais que ça irait bien à la mise en scène et au style du film que je voulais un peu dans le sens d’une comédie indépendante américaine, et pas d’une comédie française mainstream.

    Dans le film, ce sont ses compositions. Il n’y a que la chanson de Joe Dassin que je voulais (le titre Salut les amoureux, Ndlr.) et qu’on a donc enregistré pour le film, mais ce sont ses compositions qui existaient déjà. On s’est vraiment nourri de son travail pour que le film suinte un peu de son univers.

    J’avais une question sur la suite de vos projets. Xavier de Moulins a sorti un nouveau roman, Charles Draper. Est-ce que ça pourrait être votre prochain film ?

    Non. Je l’ai lu et j’aime beaucoup ce livre. J’ai lu tous ses livres. Xavier a un sens de la situation et de la formule. J’aime son style, les thématiques qu’il traite. D’ailleurs, son 2e livre a beaucoup de thématiques communes avec mon premier film (Les Murs porteurs, sorti en 2008, Ndlr.) On est très potes maintenant dans la vie, je l’apprécie énormément.

    Quand j’ai lu Un coup à prendre, c’était exactement ce que j’avais envie de raconter sur le couple. De faire ce film a été aussi comme une thérapie pour moi et c’est exactement ce que je n’ai pas envie de raconter maintenant. Mais je suis sûr que Charles Draper ferait un super film, dans l’univers un peu chabrolien, comme ça. Ca peut vraiment faire un très beau film.

    Donc pour la suite de vos projets, vous avez commencé à écrire ?

    Oui, je suis sur deux projets que je mature. J’attends la sortie de Tout pour être heureux pour m’y mettre vraiment. Mais j’ai décidé ce que je voulais faire en tout cas.

    On permet beaucoup aux acteurs de passer d’un univers à l’autre, mais les cinéastes, c’est un peu plus compliqué.

    Est-ce que ce serait dans le même esprit ?

    Il y a une comédie romantique sur le couple, je creuse le sillon du couple. Une comédie romantique féministe. Et puis, il y a un sujet beaucoup plus sombre. J’ai des goûts de spectateur très protéiformes. Je peux autant aimer une comédie mainstream et hyper bien foutue, qu’un film au propos plus pointu. J’aimerais pouvoir ne pas me cantonner à un genre. Ce n’est pas si simple que ça. On permet beaucoup aux acteurs de passer d’un univers à l’autre, mais les cinéastes, c’est un peu plus compliqué.

    Ça dépendra des financements que vous arriverez à débloquer ?

    C’est ça, oui. C’est vrai que les financiers, et c’est tout à fait normal, ont besoin de vous mettre dans quelque chose sur lequel vous avez pu faire vos preuves. Il faut avoir un certain statut pour être protéiforme. Soderbergh le fait aux Etats-Unis… François Ozon… Il faut avoir un certain statut pour passer d’un registre à l’autre.

    La bande-annonce de "Tout pour être heureux" sur les écrans ce mercredi :

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet, à Paris, le 12 avril 2016

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