Lettre de Cavanna aux culs-bénits
Ecrivain, dessinateur et journaliste trouble fête, François Cavanna fut la figure de proue d'une génération et d'un journalisme provocateur, subversif et irrévérencieux, de Hara Kiri à Charlie Hebdo.
Il est au coeur du documentaire réalisé par Denis Robert et Nina Robert, nominé au César du meilleur documentaire. Les deux ont décidé de rendre un dernier hommage à l’homme qu’il était aux travers d’images d’archives et les entretiens donnés peu avant sa mort. Dans cette lettre ouverte aux culs bénits, publiée il y a 20 ans, l’artiste prouve une nouvelle fois toute la pertinence de son esprit contestataire.
«Le vingt et unième siècle sera un siècle de persécutions et de bûchers...»
[Sans date]
Lecteur, avant tout, je te dois un aveu. Le titre de ce livre est un attrape couillon. Cette "lettre ouverte" ne s'adresse pas aux culs-bénits. [...]
Les culs-bénits sont imperméables, inoxydables, inexpugnables, murés une fois pour toutes dans ce qu'il est convenu d'appeler leur "foi". Arguments ou sarcasmes, rien ne les atteint, ils ont rencontré Dieu, il l'ont touché du doigt. Amen. Jetons-les aux lions, ils aiment ça.
Ce n'est donc pas à eux, brebis bêlantes ou sombres fanatiques, que je m'adresse ici, mais bien à vous, mes chers mécréants, si dénigrés, si méprisés en cette merdeuse fin de siècle où le groin de l'imbécillité triomphante envahit tout, où la curaille universelle, quelle que soit sa couleur, quels que soient les salamalecs de son rituel, revient en force partout dans le monde. [...]
Ô vous, les mécréants, les athées, les impies, les libres penseurs, vous les sceptiques sereins qu'écoeure l'épaisse ragougnasse de toutes les prêtrailles, vous qui n'avez besoin ni de petit Jésus, ni de père Noël, ni d'Allah au blanc turban, ni de Yahvé au noir sourcil, ni de dalaï-lama si touchant dans son torchon jaune, ni de grotte de Lourdes, ni de messe en rock, vous qui ricanez de l'astrologie crapuleuse comme des sectes "fraternellement" esclavagistes, vous qui savez que le progrès peut exister, qu'il est dans l'usage de notre raison et nulle part ailleurs, vous, mes frères en incroyance fertile, ne soyez pas aussi discrets, aussi timides, aussi résignés!
Ne soyez pas là, bras ballants, navrés mais sans ressort, à contempler la hideuse résurrection des monstres du vieux marécage qu'on avait bien cru en train de crever de leur belle mort.
Vous qui savez que la question de l'existence d'un dieu et celle de notre raison d'être ici-bas ne sont que les reflets de notre peur de mourir, du refus de notre insignifiance, et ne peuvent susciter que des réponses illusoires, tour à tour consolatrices et terrifiantes,
Vous qui n'admettez pas que des gourous tiarés ou enturbannés imposent leurs conceptions délirantes et, dès qu'ils le peuvent, leur intransigeance tyrannique à des foules fanatisées ou résignées,
Vous qui voyez la laïcité et donc la démocratie reculer d'année en année, victimes tout autant de l'indifférence des foules que du dynamisme conquérant des culs-bénits, [...]
À l'heure où fleurit l'obscurantisme né de l'insuffisance ou de la timidité de l'école publique, empêtrée dans une conception trop timorée de la laïcité,
Sachons au moins nous reconnaître [...]
Lire la suite sur le site DesLettres
Ci-dessous, la bande-annonce du documentaire...