Qui aurait cru qu'un jour une chaîne française proposerait une série dystopique ? Alors que la fiction hexagonale ne cesse d'évoluer et parvient peu à peu à sortir du polar pour s'ouvrir à d'autres genres et d'autres atmosphères -notamment le fantastique avec Les Revenants, la dramédie avec Dix Pour Cent- Arte ose un pari fou à travers l'ambitieux Trepalium ("travail" en latin). Ses auteurs, Antares Bassis et Sophie Hiet, déclarent s'être inspirés de Bienvenue à Gattaca ou Les Fils de l'Homme, de sacrées références, ou encore de Hunger Games.
Six épisodes de 52 minutes engagés qui questionnent nos sociétés ultra-libérales, qui interrogent notre présent en explorant un possible futur, qui reflétent nos peurs, nos angoisses pour nous, pour nos enfants. Pas une réussite totale - il faut attendre la moitié de la saison pour que l'aspect divertissant de l'oeuvre ne se révèle vraiment et pour que l'on soit vraiment attaché aux personnages, que leur sort nous importe - mais un véritable exercice de style, une proposition artistique forte, portée par d'excellents comédiens. Leonie Simaga de la Comédie Française est formidable et Ronit Elkabetz est d'un charisme incroyable. Un projet qui aurait sans doute mérité plus d'épisodes et plus de personnages pour prendre toute son ampleur et développer son sujet à fond.
Dans un futur proche, dans une société où 80% de la population est sans emploi, une jeune femme, Izia, tente de survivre. Elle est née dans "la Zone", du mauvais côté du Mur, un Mur qui a été dressé pour séparer les Zonards des 20% d'Actifs de la Ville. Au fil du temps, les tensions se sont accentuées entre les deux territoires : une rébellion est née parmi certains chômeurs. Les Activistes multiplient les actes de sabotage et de pression, et l’équilibre entre la Ville et la Zone se fragilise. Le Gouvernement décide alors de mettre en place la mesure des "Emplois Solidaires" pour calmer la situation : 10.000 habitants de la Zone vont être sélectionnés pour travailler dans la Ville...
La bande-annonce de la série :
Visuellement, la série tient plus que la route, et ce malgré un petit budget, équivalent aux autres séries de la chaîne, de l'ordre de 6 millions d'euros. Le réalisateur Belge Vincent Lannoo (Au nom du fils) a judicieusement choisi de miser sur le rétro-futurisme. Une partie du tournage s'est déroulée du côté du siège du Parti Communiste, imaginé par l'architecte brésilien Niemeyer, et une autre partie dans le quartier de la Bibliothèque François Mitterrand à Paris. Deux univers, deux ambiances, qui se marient à la perfection. Pas de drônes ni de robots, mais une esthétique qui lui est propre, notamment inspirée des séries européennes Real Humans et Black Mirror.
Un grand soin a également été apporté aux costumes. Des choix auxquels les acteurs ont participé, comme l'explique à notre micro Pierre Deladonchamps, qui incarne le héros Ruben : "On a essayé plein de choses, en terme de matières, de couleurs. Sa tenue était très importante pour moi afin de construire le personnage. Il fallait quelque chose qui soit à la fois strict et confortable. Il remet très souvent son costume en place, il réajuste ses manches, son col claudine qui lui donne un air très religieux. Cela le maintient dans ce monde-là. Un peu comme un pompier ou un policier, il a besoin de cet uniforme".
L'acteur révélé -certes peu habillé- par le film L'inconnu du lac, est ici parfait. Un vrai challenge que ce rôle qui évolue énormément au fil des épisodes, celui d'un homme robotique qui retrouve peu à peu des couleurs, des émotions. "Ruben traverse de nombreuses épreuves, c'est une véritable montagne russe pour lui entre sa femme, sa fille, son père, cette zonarde qu'il n'a pas d'autre choix que d'accueillir, ses concurrents pour le poste qu'il convoite (...) Au fond, ce n'était pas moi qui jouait Ruben mais Ruben qui jouait un personnage. Il joue constamment un jeu social. Il se met en scène quand il s'adresse aux autres."
Pierre Deladonchamps aime les séries et cite volontiers quelques-unes de ses favorites : "Un peu comme tout le monde j'ai grandi avec Friends, et j'ai appris l'anglais avec elle. Mais celle qui dépasse tout pour moi c'est Six Feet Under. Elle est bluffante, le dernier épisode m'a scotché. La mise en scène est très belle. HBO est courageuse, elle ose. Et je trouve que sur ce coup-là, Arte fait aussi preuve d'une belle audace. Avec Canal, et même France 2, elle donne ses lettres de noblesse à la série en France."
Pas de saison 2 mais...
Trepalium a été envisagée comme une mini-série et il n'est pas question de poursuivre l'aventure au-delà des six épisodes produits, comme l'a confirmé la productrice Katia Raïs. Toutefois, il est envisagé avec Arte d'en faire une anthologie dont chaque saison se concentrerait sur un mal différent de notre société. Après le chômage, c'est du vieillissement de la population dont fera l'objet Ad Vitam, actuellement en cours d'écriture.
Est-ce que le même casting sera de retour mais dans des rôles différents ? Pierre Deladonchamps n'en fera probablement partie : "Je ne crois pas que ce soit la direction prise, même si ça pourrait être excitant. J'adore ce que fait American Horror Story dans ce domaine. Après, il est peut-être préférable pour les téléspectateurs de mettre de nouvelles têtes sur de nouveaux personnages. Je trouve d'ailleurs que l'on se plonge encore plus facilement dans une série ou dans un film dont on ne connaît pas les interprètes."
Un teaser "La grande loterie", qui n'est pas sans rappeler Hunger Games :