AlloCiné : Hector est un SDF. Comment avez-vous composé ce personnage ?
Peter Mullan : J’ai fait du bénévolat auprès des sans-abris quand j’avais 17 ans. Avant et après ça, j’ai été sans-abri moi-même. Donc je les connais par cœur.
Vous vous appuyez sur une béquille pendant tout le film. Ça fait partie du personnage que vous avez créé ?
Il y a quelque chose qui ne va pas avec sa jambe, elle est foutue, c’est tout ce que je sais. Je n’ai jamais eu besoin d’en savoir plus. Depuis le départ, le personnage est écrit comme ça : il a toujours une valise dans une main et une béquille dans l’autre. Je n’ai jamais su pourquoi et il est possible que Jake [Gavin, le réalisateur, ndlr] non plus.
Hector est un sans-abri qui ne boit pas. C’est un de vos rares personnages sobres. Pourquoi l’addiction à l’alcool est si récurrente à travers votre carrière ?
C’est vrai, je ne compte plus le nombre de fois que j’ai joué des alcooliques. Souvent, en tout cas. C’est ma gueule, je pense. J’ai la tronche d’un alcoolique, je ne vois que ça. (Rires) Je vais vous dire, cependant : quand Hector revient sur son histoire, dans le film, l’alcool était présent à l’origine. J’en ai parlé à Jake et la seule chose que j’ai suggérée concernant le scénario, c’est de supprimer cet élément. C’était déjà une histoire chargée. Du coup, je lui ai demandé si on pouvait supprimer l’alcool et se concentrer sur le problème de la santé mentale du personnage. C’est ce qu’on a fait. En supprimant le discours sur l’alcool, on peut en dire plus sur l’instabilité psychique d’Hector. Tous on a trouvé que c’était plus intéressant comme ça.
Le film se penche sur le cas d’Hector, qui est très particulier. Vous ne craignez pas qu’il passe à côté de son sujet ?
Non, car on voit bien d’autres personnages dans le film, pour qui l’alcool est un problème et qui se font virer d’un refuge à cause de ça. Hector n’incarne pas à lui seul, sous tous leurs aspects, les grands classiques des sans-abris mais ça ne veut pas dire qu’il ne les représente pas. Nous ne voulions pas que notre personnage soit trop typique, au risque de devenir un stéréotype vidé de sa personnalité.
Ça ne fait aucun doute que contempler la classe ouvrière est de tradition dans le cinéma britannique et ça ne date pas d’hier.
Ce film, c’est un peu l’épisode de Noël pour les amateurs de réalisme social, non ?
C’est une description assez juste. C’est drôle, j’en ai parlé il y a quelques années avec Ken [Loach, ndlr] de cette notion de réalisme social, pour savoir si elle s’appliquait à ce que nous faisions, lui et moi. Et nous étions d’accord pour dire que nous détestions cette appellation de "réalisme social". Elle ne veut rien dire. C’est une case dans laquelle on vous place. Cela dit, ça ne fait aucun doute que contempler la classe ouvrière est de tradition dans le cinéma britannique et ça ne date pas d’hier. Dans le cas d’Hector, la classe ouvrière laissée pour compte. J’aimerais pouvoir définir ce film d’une phrase… Je crois tout simplement qu’il s’attache à une communauté qui existe et qui, hélas, inspire rarement le cinéma de nos jours.
C’est un premier film pour Jake Gavin. Comment s’en est-il tiré ?
Il s’en est vraiment bien sorti. Le film qui porte résolument son empreinte. Jake est un type vraiment sympa et optimiste et ça se sent dans le film qui lui aussi est sympa et optimiste ! Ce n’est pas du tout un film politique. Disons plutôt un portrait lyrique. D’ailleurs, Jake fait des portraits, en tant que photographe. C’est donc le portrait d’un homme qui représente bien entendu plus que lui-même, et de la façon dont il se torture tout en essayant de rester en vie. Il est suffisamment honnête avec lui-même pour savoir que ce qu’il a fait dans son passé est mal, lui qui a coupé les ponts avec sa famille, les laissant sans nouvelles pendant des années. Soi-disant pour les punir eux, alors qu’il sait au fond de lui qu’il se punit lui-même.
Jake Gavin vous a donné beaucoup de directives ?
Non, Jake vous laisse tranquille. En ce sens, c’est un réalisateur mature : il vous fait confiance. Comme n’importe quel réalisateur, s’il voit que vous vous fourvoyez, il vous remet sur les rails. Mais, de manière générale, il vous laisse faire votre boulot.
C’est rare de vous voir dans un feel good movie. Ça vous a amusé de le faire ?
Oui, j’adore l’idée que ce film ressemble beaucoup à son réalisateur. J’aime bien que les réalisateurs marquent leur film au fer rouge. C’est une très mauvaise analogie, d’ailleurs, mais c’est juste une expression toute faite. Bref : le film est presque embaumé dans la personnalité de Jake. Ça me plait parce que c’est comme ça qu’on découvre que la personne avec laquelle on travaille a une vraie signature à apposer au bout de son film, contrairement à quelqu’un qui ne serait pas sincère et qui voudrait juste se faire du fric.
Peter Mullan reviendra également sur l'ensemble de sa carrière dans une interview qui sera publiée prochainement sur Allociné.
La bande annonce d'Hector
Propos recueillis par Gauthier Jurgensen le 17 décembre 2015