Soufflant aujourd'hui ses 70 bougies, la talentueuse Bette Midler a tourné dans de nombreux films : le clochard de Beverly Hills, Hocus Pocus, Get Shorty, The Women... Elle a aussi prêté sa voix à plusieurs films d'animation, comme Oliver et compagnie. Pourtant, la contribution au 7e Art de cette comédienne, mais chanteuse avant tout, est et restera ce qui fut son premier rôle au cinéma, le rôle de sa vie : celui de The Rose, en 1979.
Situé à mi chemin entre le film documentaire de concert et un opéra rock filmé, The Rose est le chef d'oeuvre absolu de son réalisateur, Mark Rydell (le réalisateur du dernier film d'Henry Fonda, le superbe La Maison du lac), et bien entendu de Bette Midler, qui livre une performance physique et vocale absolument hors-norme, tétanisante, littéralement avec ses tripes, comme si elle exorcisait ses propres démons. Un rôle qui lui a valu le Golden Globe de la Meilleure actrice, ainsi qu'une citation à l'Oscar de la Meilleure actrice, finalement remporté par Sally Field dans Norma Rae, en 1980.
Ci-dessous, la bande-annonce du film, ressorti en mai dernier dans une splendide version restaurée...
Filmé en 12 semaines au printemps 1978 par le très grand chef opérateur Vilmos Zsigmond, aidé dans les scènes de concerts par d’illustres collègues, László Kovács et Haskell Wexler, The Rose est aussi fascinant en ce qu'il est également le témoin d'une époque, celle du mythe du Rock’n Roll qui touche alors à sa fin avec la disparition de Sid Vicious, icône du mouvement Punk, retrouvé mort l’année de la sortie du film.
Se déroulant en 1969, The Rose s'inspire en fait très largement d'une autre icône absolue de la chanson : Janis Joplin, morte en 1970 à l'âge de 27 ans. A l'origine, le film devait même être un biopic du nom de "Pearl", le surnom donné à Joplin. "On m'a contacté environ 15 ans avant que je ne réalise effectivement le film" expliquait Mark Rydell; "j’ai proposé Bette Midler comme actrice principale. Elle était encore inconnue. Elle chantait dans un night club, The Baths, à New York. C’était une nouvelle chanteuse, elle faisait sensation. Je l’avais vue, et j’avais reconnu en elle des qualités que je considérais comme essentielles pour un personnage inspiré par Janis Joplin qui était, au fond, un talent très cru et intense. Chez Fox, comme ils ne connaissaient pas Midler et qu’ils étaient plutôt conformistes à l’époque, ils ont dit qu’ils voulaient une actrice connue qu’une chanteuse doublerait. J’ai trouvé ça inadmissible. Le studio ne voulait pas d’elle. Je me suis donc retiré du projet".
Finalement, le projet circule de mains en mains pendant pas mal d'années, écrit et réécrit plusieurs fois (notamment par Michael Cimino). "Jusqu’au moment où le studio a enfin connu Bette" poursuit Mark Rydell. La chanteuse est effectivement devenue entre temps une figure incontournable de la scène musicale américaine, grâce aux albums The Divine Miss M (1972) et Bette Midler (1973). Sa carrière à Broadway achève de la consacrer star de la scène. Quant à Mark Rydell, son avis la concernant n'a pas changé d'un pouce : "son talent est comme une plaie ouverte. Vous jetez un peu de sel dessus, et ca réagit aussitôt".
Chez les pontes de la Fox aussi visiblement, qui finissent par la connaître. Ils recontactent alors Mark Rydell pour lui demander de réaliser le film. "J’étais ravi. J’ai insisté pour que ca ne soit pas Janis Joplin mais un personnage inventé, "The Rose". Je pensais que, tout en reprenant l’histoire de Janis Joplin et beaucoup de moments de sa vie, nous étions ainsi libres d’écrire le scénario".
L'équipe du film passa trois mois dans un studio de la Fox pour créer le personnage de The Rose. Authentique bête de scène, qui n'a pourtant qu'un seul désir, après deux saisons de célébrité internationale passée sous la férule de son impitoyable manager : donner symboliquement un dernier concert dans sa ville natale, avant de se retirer, l'espace d'un an, pour se reposer. Et durant les cinq jours de préparation du concert, elle revoit sa vie qui n'a pas manqué de piquant, ni de piqûres...
Bette Midler, dont c'est le premier vrai rôle à l'écran, se donne corps et âme à son personnage; elle qui a aussi fait sa culture musicale en grandissant avec les chanteuses de R&B Big Maybelle, Big Mama Thornton ou Nina Simone. Elle s'est longuement entraînée et a répété avec le groupe du film, monté d'ailleurs sous la supervision de Paul Rothchild, producteur déjà légendaire de Jim Morrison et Janis Joplin. "C'était vraiment quelqu'un de très dur, je ne l'aimais pas du tout" dira bien des années après Bette Midler. "Nous avons répété avec le groupe qu’il avait choisi pendant au moins quatre semaines. J’ai un souvenir très précis d’avoir arpenté jour après jour cette scène. J’avais apporté avec moi deux chansons : "When a man loves a woman" et "Stay with me". Le reste, c’est lui qui a apporté les chansons. J’ai aussi fait de la gymnastique six mois avant de commencer à tourner, pour apprendre à bouger sur scène ; je voulais donner à mon personnage un côté félin lorsqu’il bouge. C’est une bête de scène, et il y a aussi quelque chose de violent chez elle".
Si vous n'avez pas encore vu ce film et la performance hors-norme de son interprète, c'est donc le moment ou jamais de vous laisser harponner par ce chef-d'oeuvre qu'est The Rose.
Last but not Least, on en profite pour réécouter le sublime thème musical du film, porteur d'une charge émotive à fendre les pierres en deux, et chanté par Bette Midler elle-même au Oprah Winfrey Show en 1995.
A noter enfin la sortie le 6 janvier prochain du formidable documentaire Janis, signé Amy Berg :