Après Law & Order achevée en 2010 au terme de 20 saisons, Urgences en 2009 après 15 saisons, c’est au tour d’un autre monument de la télévision de tirer sa révérence : Les Experts. Diffusé en septembre dernier sur CBS, le téléfilm de deux heures qui marque les adieux définitifs de la série d’Anthony Zuiker et Carol Mendelsohn au petit écran sera proposé ce mercredi 9 septembre sur TF1.
Ces adieux, pour beaucoup, ne signifient rien. Pour d’autres, ils évoquent une seule phrase : "Bon débarras". Mais cette frange du public qui a toujours aimé lui taper dessus, souligner son rabâchage hebdomadaire et son manque d’innovation, oublie au passage que Les Experts n'est pas qu'une simple série procédurale qui a fait gagner plein d’argent à tout plein de gens. Qu’on le veuille ou non, qu’on l’aime ou non, elle a réinventé le concept du copshow et indéniablement marqué le paysage audiovisuel de son empreinte. Et ce n'est pas elle qui a copié, c'est elle qu'on a (un peu trop) copié.
Le plus amusant dans l'histoire, c'est qu'à la base, personne ne croyait vraiment à ce concept. Anthony Zuiker ne venait pas de l'univers de la télévision et, à l'époque où il a eu l'idée des Experts, il conduisait le tram du Mirage Hotel de Las Vegas ! En 2009, Hill Harper, l’un des Experts de Manhattan nous racontait même que lorsqu’il avait rencontré William Petersen, alias Grissom, sur le tournage de The Skulls, il lui avait demandé quels étaient ces projets : "Il m'a répondu qu'il venait de tourner un pilote qui s'appelait 'Les Experts'. Je lui ai demandé comment c'était et il m'a dit : 'c'est un super show mais il ne sera sûrement pas retenu par la chaîne, j'en suis convaincu."
William Petersen n’a pas vraiment eu l’œil sur ce coup-là. Comme chacun le sait : Les Experts deviendra un méga hit, un phénomène surprise et mondial qui règnera des saisons durant sur les audiences internationales. Déclinable, la formule appliquée à Vegas donnera ensuite naissance à plein de petites : l’extravagante et délicieusement tapageuse Les Experts Miami et les plus sérieux Experts Manhattan.
De 2000 à 2015, Les Experts de Las Vegas ont régné, ont survécu aux annulations et ont vu, ces dernières années, leurs petites sœurs s’éteindre une à une. Et même si la franchise continue avec les nouveaux de CSI Cyber, ce n'est plus la même chose, une page s'est véritablement tournée. Car, on le sait bien, tout ce qui se passe à Las Vegas reste à Las Vegas et tout ce qui y commence s’y achève aussi…
Science, Bitch.
C'est le 06 octobre 2000 que les téléspectateurs découvrent pour la première fois le monde si particulier de l’équipe de nuit de la police scientifique de Las Vegas. Ils découvrent qu’ici les héros ne sont pas des flics mais des scientifiques. Ils découvrent qu’il n’y aura pas d’avocats ou d’interrogatoires à gogo mais des scènes de crimes avec des preuves matérielles à chercher, à récolter, à photographier, à étiqueter puis à ramener au laboratoire. Le labo, un nouveau territoire de télévision qui va totalement changer la donne et exploser nos mirettes avec des effets spéciaux derniers cris. Le labo, là où toutes les plus folles expériences et des milliers de gestes techniques vont avoir lieu.
Ralentis, gros plans sur des particules de laine dans un microscope, caméras qui pénètrent un corps humain durant l'autopsie pour nous montrer comment tel objet tranchant a touché tel organe, exercices intellectuels ou trajectoire de balles... On aura droit à tout. Dans CSI, la science est la reine et les cinématiques en musique, ses princesses. Et ça aussi, c’était révolutionnaire. Tout comme ça l'était de montrer au public des cadavres d'aussi près.
Doigts putréfiés examinés à la loupe, os liquéfiés, cadavres laissés en plein soleil pendant des jours dans le coffre d’une voiture et "récupérés" via le système de vidange de la voiture… Le gore était là et le bruit dégueulasse qui va avec aussi. Devant Les Experts, on avait souvent ce "délicieux" petit relent en repoussant notre assiette et on riait bien de voir les Experts se coltiner, eux, les pires tâches qu’impliquait leur métier.
They Own the Night
Si les expériences scientifiques étaient visuellement bluffantes, la série dans son intégralité a toujours été visuellement à part. Cinématographique, elle a toujours mis un point d'honneur à son atmosphère, à ses couleurs et à sa mise en scène. Et pourtant, la tâche était plus qu'ardue, la série se déroulant presqu'entièrement de nuit - avec toutes les complications que cela implique au niveau de l'éclairage. Mais, le résultat était là et Les Experts ont toujours eu un cachet bien à eux. La nuit est l’une de leurs héroïnes. Elle cache les cadavres, les gouttes de sang et transforme tout en ombre bleutée avant de réapparaître dans le jaune et le rouge des vitrines de Las Vegas.
Pour cette nuit de plusieurs saisons, Las Vegas était évidemment le terrain idéal. La ville du pêché a tout pour perpétrer le meurtre et l'extrême à l’infini. Elle peut aller autant dans le sordide et/ou le glamour avec ses night clubs et ses casinos que dans l'époustouflant avec des paysages à couper le souffle de désert ou de montagne. Ce côté sale, rock, très sombre et le puzzle que promet chaque enquête est ce qui a toujours fasciné le public, Quentin Tarantino en premier lieu, fan des premières heures qui a fini par écrire et réaliser l'épisode final de la saison 5.
Qu'on se le dise, Les Experts est un véritable polar urbain où le mal rôde à chaque coin de rue, où les moeurs sont pervertis et dérangées mais c'est aussi un western où les héros gagnent presque toujours à la fin...
L'équipe de nerds
Grissom, Catherine, Sarah, Greg, Nick, Warrick… Les Experts, c’était évidemment eux. La première fois que les téléspectateurs les ont d’ailleurs vus débarquer sur leur écran, c’était accompagné d’une petite remarque acerbe de la part des premiers flics sur place : "Tiens voilà les nerds". A l'époque, les nerds que nous montrait la télé n'existaient que dans le cadre du lycée. Mais, dans Les Experts, et pour la première fois, on voyait la réussite de ces nerds. Le nerd en chef, c’est Grissom, le spécialiste des insectes, le misanthrope, l’homme d’esprit, le poète même, qui avait toujours un bon mot pour motiver ses troupes et qui avait le don de les regarder parfois avec circonspection. Celui dont le départ sera toujours regretté et la présence jamais vraiment égalée.
Des années durant, l'alchimie entre les membres de l'équipe n'a jamais pu être remise en question. Avec le temps, les relations entre les uns et les autres ont évolué pour se transformer en des relations sincères. Et même malgré les années, de tristes départs, de joyeux retours et les arrivées de nouveaux personnages, il existe dans CSI un attachement au passé qui est assez rare. Les anciens ne sont pas oubliés, les morts non plus. La saison passée a d’ailleurs été baignée de nostalgie comme si les scénaristes savaient que la fin était proche.
Quant aux acteurs, ils ont vieilli avec leurs personnages et ça, c’est aussi quelque chose de très émouvant à suivre.
Procédurale mais pas que...
Pour certains, une série populaire ne peut pas être de qualité, tout comme une série procédurale avec une structure qui se répète ne peut pas être une bonne série, car une bonne série, c’est une série qui feuilletonne. C'est évidemment faux. On a beau adorer les séries feuilletonnantes, on ne peut nier que lorsque la qualité est au rendez-vous, elle l’est partout, même chez les séries procédurales.
Dans Les Experts, les variations autour d'une même recette ont toujours été explorées avec intelligence et facétie. Les scénaristes ont, au fil des saisons, réussi à jouer avec leur narration avec des épisodes spéciaux sans jamais abimer leur joujou. On pense notamment à l'épisode où Hodges concocte un jeu d'enquête sur le labo et "tue" plusieurs membres de l'équipe pour tester leur capacité à élucider un crime.
De même, le côté procédural des Experts ne l’a jamais empêchée de créer des fils rouges et des meurtriers qui reviennent, le tueur aux maquettes en étant l’étendard. Elle n'a également jamais été ultra sérieuse et s'est toujours permis beaucoup d'humour, noir ou pas, et de bons mots. Mais ça, seuls les fans le savent...
Depuis, tout un tas de séries copycats ont envahi le petit écran, créant certainement cette lassitude autour des séries procédurales qui laissent, il est vrai, peu la place aux autres pour s'installer. Mais, il y a 15 ans de cela, Les Experts en ont été les précurseurs. Sans eux, une étape de la télévision n'aurait pas été franchie.
Son influence a été telle que la série a non seulement fait naître des vocations mais aussi fait grincer les dents de la justice. C'est le fameux CSI Effect. "A cause" de la série, le public aurait changé de perception quant à la résolution des affaires criminelles. Certains jurés auraient même des attentes irréelles voire absurdes quant aux techniques d'investigation requises lors d'un procès et penseraient même très bien savoir comment faire tomber un suspect...
C'est l'effet pervers que toute oeuvre qui touche un grand public peut avoir. Mais, c'est un effet pervers que toutes les séries n'ont pas le pouvoir de générer.
Le téléfilm final est diffusé ce soir à partir de 20h55 sur TF1