Agnès Varda était présente ce samedi 23 mai à la conférence Women in motion, une série de rencontres centrée sur le rôle et la place des femmes dans le cinéma. L'occasion pour l'immense cinéaste, fondatrice de La Nouvelle Vague, de nous parler de son parcours personnel, atypique et combatif de photographe, d'auteure et de réalisatrice reconnue.
Mon problème n'a jamais été d'être une femme dans le cinéma mais de proposer quelque chose de novateur et libre
Agnès Varda : La question de la parité ne m'a pas concernée si je puis dire. Quand j'ai écrit mon premier film, effectivement je n'étais pas dans le milieu. Mon travail s'est fait tellement hors du cinéma que je n'ai souffert de rien du tout. J'étais indépendante et toujours aussi pauvre qu'avant. Je suis entrée plus tard dans le circuit.
Mon problème n'était pas d'être une femme qui fait du cinéma, mais d'écrire un cinéma contemporain. De changer la vision des arts comme dans la littérature, Joyce ou Virginia Woolf l'avaient fait. Mon mouvement de femme a toujours été de ne jamais croire que j'avais des certitudes, de ne jamais répéter un film. Ma recherche documentaire et un peu de fiction a fait que parce que je n'étais pas acceptée par le milieu du cinéma, je n'ai pas souffert de ce que des femmes éminentes ont dénoncé, ces productrices ou ces actrices qui n'avaient que des rôles de "supporting". C'est comme si je m'étais mise en dehors du problème, ne m'intéressant qu'à l'idée de faire un cinéma novateur et libre, de ne pas rentrer dans les standards de façon de filmer.
Les femmes dans le cinéma n'ont pas besoin d'aide, elles ont besoin d'argent !
Agnès Varda : Il y a une chose importante à dire, dont a parlé de façon formidable Frances McDormand hier dans cette même conférence : "We don't need help, we need money". Et ça c'est la vérité. Les femmes ont besoin d'argent car elles sont obligées de faire des petits films, novateurs certes mais avec quatre sous. Le vrai problème c'est qu'on n'a pas envie de leur confier un vrai paquet d'argent. Je n'ai pas encore vu ça, j'espère que ça va venir.
Je n'ai pas gagné ou réussi dans ma vie mais je suis aimée et couverte de prix. J'ai des médailles, des statues, des chiens, des léopards, tout un bestiaire de prix ! Un Lion à Venise, un Ours à Berlin ! Les îles Canaries m'ont même donné un chien ! Et si j'avais eu un peu moins de récompenses, de merci et un peu plus d'argent ?
Truffaut disait "Pour un film, on a une journée d'inspiration, des fois une heure. Après on a six mois pour chercher de l'argent ou plus, si on ne trouve pas. Ensuite on tourne et on a des difficultés pour sortir le film." Je peux dire que je n'ai eu que des difficultés mais assorties d'un grand bonheur de liberté. J'ai pu suivre mon inspiration, sans planning, sans compte à rendre.
Oui je suis féministe [mais] le modèle de la femme parfaite, on a le droit de l'adapter personnellement.
On me demande souvent : "Est ce que vous êtes encore féministe ?" Oui tout à fait, et j'ai manifesté pour tous les droits des femmes pour lesquels on pouvait manifester mais je n'ai jamais voulu devenir la cinéaste représentant le féminisme. Je l'ai été d'une façon assez subtile. Comme dans Cléo de 5 à 7, lorsqu'on mon héroïne cesse de se regarder à travers le regard des autres et devient de femme regardée à femme qui regarde. Une autre femme en mouvement est mon héroïne de Sans toit, ni loi.
Quand j'ai commencé dans le cinéma, il n'y avait pas de techniciennes. Et c'est quelque chose que j'ai très vite dit aux femmes : Réveillez-vous ! La plupart des métiers de cinéma, vous pouvez les faire. On a vu arriver en France 7 ou 8 femmes directeurs de la photographie, qui sont remarquables et engagées par des hommes pour faire les films, des ingénieurs du son, des productrices. Et pour ma part, je suis fière de dire que dans les années 70, j'ai eu la première équipe de tournage composée autant de femmes que d'hommes.
Quelque fois il y a une sensibilité, une écriture féminine, je l'ai ressenti parfois.
Il y a des femmes qui dans l'écriture, ont fait faire des progrès au cinéma. Chantal Akerman s'est posée la question du temps, Isild Le Besco a fait Demi-Tarif et Les Bas Fonds, tout à fait nouveaux. Emmanuelle Bercot qui a ouvert le festival, a fait un court métrage qui s'appelait La Puce. Je n'avais jamais vu quelque chose d'aussi sensible. Le sujet était le dépucelage et les émotions de l'homme et de la femme étaient si subtilement décrits que je me suis dit que jamais un homme n'aurait pu faire ce film.
Quelque fois il y a une sensibilité, une écriture féminine, je l'ai ressenti parfois. Il y a aussi Claire Denis, Naomi Kawase, Miranda July ou dans les séries, Lena Dunham qui change la façon de filmer. Ce sont des libertés comme ça que j'ai vu apparaître.
C'est la technique et la sensibilité qui font la capacité et le talent, pas le sexe.
C'est la technique et la sensibilité qui font la capacité et le talent, pas le sexe. Ce n'est pas une qualité d'etre une femme mais ce qu'on en fait. Etre un cinéma plus libre, c'est être en marge. Je vais recevoir un prix demain, je m'étonne énormement qu'on me le donne, je suis très contente. Les hommes qui ont eu ces prix ont fait gagner des millions à l'industrie. Et moi alors je suis fière car il ne s'agit pas d'une question de mérite commercial.
Agnès Varda revient sur sa carrière :