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    De Hard Eight à Phantom Thread : le cinéma de Paul Thomas Anderson
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Rédactrice en chef adjointe
    Très tôt fascinée par le grand écran et très vite accro au petit, Laetitia grandit aux côtés des héros ciné-séries culte des années 80-90. Elle nourrit son goût des autres au contact des génies du drame psychologique, des pépites du cinéma français et... des journalistes passionnés qu’elle encadre.

    A l’occasion de la sortie de "Phantom Thread", pleins feux sur le cinéma de Paul Thomas Anderson, auteur insoumis et réalisateur de génie ...

    Un virtuose engagé

    Inspiré, le cinéma de Paul Thomas Anderson est réputé pour sa mise en scène virtuose et ses scénarios originaux. Petit focus sur sa "méthode" ...

    Walt Disney Studios Motion Pictures France / D.R / Metropolitan FilmExport /

    Prolixe

    Se considérant avant tout comme un scénariste, Paul Thomas Anderson met toute sa ferveur dans l’écriture de ses oeuvres, étape la plus importante du processus filmique selon lui. Si l’intrigue simple du polar Hard Eight lui demande à peine deux semaines d’écriture, la fresque Boogie Nights, qui fait écho à l’un de ses courts métrages d’adolescent (The Dirk Diggler story), nécessite plusieurs mois de mise en forme. Ecrit dans le chalet de son ami l’acteur William H. Macy, le scénario de Magnolia passe en deux semaines d’une intrigue voulue intimiste au film choral que l’on connaît. Enfin, There will be blood demande à son auteur plus de deux ans de recherche préalable.

    Pour The Master, son scénario a beaucoup évolué, passant d’une perspective universelle (les conséquences de la guerre sur l’être humain et la création de nouvelles communautés spirituelles) à un angle plus singulier (le parcours sinueux d’un homme abîmé par la guerre et en quête de réponses). Ecrit en même temps, Inherent Vice revisite à la fois l'univers paranoïque, comique et excentrique de Thomas Pynchon dont il adapte le roman et son propre univers d'auteur dans sa veine nostalgique, délirante et comique. Le point de convergence entre l'oeuvre inadaptable et son résultat exigeant ? L'exploration de la face cachée de l'Amérique (de préférence dans les années 60-70) via une radiographie aussi déjantée que percutante.

    A l’exception de Punch Drunk Love, sa comédie romantique resserrée, les scripts de Paul Thomas Anderson sont le fait d’un écrivain qui a la plume facile ("Le souci est plutôt de trier, j'écris souvent plusieurs versions d'une même scène"¹) et donc du mal à l’arrêter, se plaisant à enchainer les dialogues et à entrelacer les destins à l’infini, après avoir multiplié les lectures qui lui permettent de décrire l'univers choisi (tel le travail en amont sur Phantom Thread).

    Énergique

    Son imagination débordante, Anderson la met au service d’un savoir faire indéniable. Plus nerveux au moment de mettre en scène que d’écrire, il développe au fil du temps un style reconnaissable et propre. Ainsi les plans séquences maîtrisés de Hard Eight (notamment le travelling à la steadicam qui suit Philip Baker Hall dans le casino, sur la mélodie au xylophone de John Brion) annoncent ceux de Boogie Nights, avec ses scènes d’ouverture et de fermeture cultes. Au service du dialogue, son découpage met notamment en valeur les scènes d'affrontement entre les personnages.

    Le plan séquence de "Hard Eight"

    D.R / Capture d'écran

    Tantôt lente et hypnotique (Hard Eight et Phantom Thread), tantôt dynamique et "pétante" (Boogie Nights), toujours fulgurante (Inherent Vice), sa mise en scène impose sa couleur. D’un négatif abîmé qui fait sauter un plan, Anderson crée un cut risqué (la scène où John C. Reilly passe de l’arrière à l’avant de la voiture dans Hard Eight) ; d’un seul mouvement de caméra en plongée sur chacun de ses personnages (le début de Boogie Nights) ou d'un audacieux plan séquence muet, scandé par le bruit des machines (le début de There Will Be Blood), il parvient à entrer dans le vif de son sujet ; d'un gros plan sur les yeux de son héros (le début de The Master) ou sur des détails du quotidien (la couture et la nourriture désirée et mortelle dans Phantom Thread), il exprime tout l'impact d'un présent traumatisant ou prenant.

    Cadrages osés, mouvements de caméra aériens, photographie somptueuse (celle d'Inherent Vice atteignent des sommets du genre ) sont, en résumé, les marques de fabrique d’un virtuose de la mise en scène qui se tient à distance de ses personnages afin de les observer sans verser dans le mélodrame ou la complaisance.

    Visionnaire

    Les sujets abordés par Paul Thomas Anderson n’ont pas la particularité d’être porteurs ou vendeurs pour les studios américains qui, n'ayant plus l'espoir de les condenser (voir la page 1 de ce dossier), hésitent parfois à les produire. Ainsi son western moderne sur le pétrole (There will be blood) mettra deux ans à trouver un financement en raison d’un sujet manquant a priori de potentiel.

    Risqué a été le sujet de Boogie Nights, plongée précise et cynique dans l’univers de la pornographie à la fin des années 70, problématique est celui de The Master, incursion dans le milieu controversé de la scientologie (le film, sans le dire explicitement, raconte l'ascension d'un chef religieux charismatique dans les années 50 aux Etats-Unis, période au cours de laquelle est né le mouvement). Frileuse, la société Universal laissera d'ailleurs à la Weinstein Company le soin de produire le film, attaqué avant même sa sortie par les adeptes du mouvement religieux, Tom Cruise en tête.

    Personne ne fait les films comme Paul. Il n'y a pas de mystère : si l'on veut vraiment apporter sa vision à un film, il faut être toujours sur la brèche, insister sans relâche. Si vous voulez que votre vision reste pure, il faut être obstiné et personne n'est aussi têtu que Paul !²

    a dit de lui John C. Reilly. Ironique, déjanté ou amère, l’œuvre d’Anderson est en cela visionnaire et osé. Qu’elles croquent avec humour l’amour, avec ironie l’univers de la pornographie,  avec pessimisme celui du milieu du pétrole ou de la scientologie ou avec une fantaisie désenchantée la perte d'un idéal américain ou la dureté du monde de la mode, ses intrigues l’imposent en auteur référent accueilli par une critique élogieuse et attendu d’un certain public impatient.

    ¹ DVD Hard Eight : commentaire audio du réalisateur et de l'équipe du film

    ² Dossier de presse de Magnolia

    La bande-annonce de "The Master":

     

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