De films en aiguille
Avec ses 3 Oscars (Shakespeare in Love, Aviator, Victoria - Les jeunes années d'un reine) et un statut de fidèle de Martin Scorsese depuis le début des années 2000, Sandy Powell est un personne qui en impose par son seul nom. Mais son look vaut également le détour, puisqu'elle nous reçoit vêtue d'un haut jaune surmonté d'une robe bleue marine sans manches, d'une écharpe verte qui contraste sévèrement avec ses cheveux oranges. Le tout agrémenté de chaussures dorées tout à fait raccord avec l'univers de Disney dans lequel elle fait ses premiers pas.
Et c'est au milieu d'un atelier où se côtoient dessins, morceaux de tissus et un calendrier annonçant le tournage de la scène du mariage pour le 21 novembre que la costumière nous parle des faux bijoux qu'elle a conçus en même temps que son plus gros défi sur le film : la célèbre pantoufle de vair, confectionnée avec Swarowski et dont les concepts arts au mur nous offrent un aperçu.
AlloCiné : Difficile de ne pas évoquer cette chaussure.
Sandy Powell : Oui. Nous avons étudié différents types et l'inspiration nous est venue lors d'une visite du Musée de la Chaussure de Northampton, dont nous avons pu voir les archives. Et là j'ai vu un modèle datant de 1890 qui est magnifique et qu'ils nous ont prêté. Ici nous l'avons scané et imprimé en 3D pour en avoir une version solide, et ça a été le point de départ de cette pantoufle de vair.
Nous avons ensuite essayé plusieurs types de verres, mais la chaussure ressemblait à un saladier de fruits ou un cendrier. Nous avons alors pensé au cristal et parlé avec Swarowski de ce qu'il était possible, ou non, de faire. Ils étaient motivés par le défi et se sont lancés sans même savoir si ça allait fonctionner. Et au final oui.
Au vu du nombre de "Cendrillon" qu'il y a eu auparavant, personne n'avait jamais essayé de faire des pantoufles de vair ?
Je ne sais pas. J'ai regardé tous les films en prises de vues réelles qui ont été faits, et ces chaussures étaient faites en plexiglas ou en plastique transparent. Mais jamais du verre et c'est pourquoi nous nous sommes très vite demandés si c'était possible, car elles n'auraient aucune flexibilité. Mais nous nous en sommes sortis grâce au effets spéciaux : Cendrillon porte des versions identiques en cuir avec des petits points pour les transformer par magie.
Y a-t-il eu d'autres costumes compliqués qui ont demandé des effets spéciaux ?
Pas vraiment. Il y a bien le costume de sa marraine la fée qui s'illumine mais nous avons travaillé avec une compagnie qui a utilisé différentes techniques que nous avons reprises pour les amplifier numériquement.
Quelles ont été vos sources d'inspiration pour les costumes de la belle-mère et des demi-soeurs ?
Le film se déroule au XIXème siècle donc j'ai regardé quelques vieux films comme la version d'Orgueil et préjugés avec Laurence Olivier, qui date de 1940 et m'a semblé très bien. Pour ce qui est de la belle-mère jouée par Cate Blanchett, je me suis tournée vers des figures telles que Marlene Dietrich et Joan Crawford en tenues d'époque.
Qu'est-ce qui a motivé votre choix de cette couleur pour la robe de Cendrillon ?
Je me suis beaucoup posé la question. Je ne voulais pas qu'elle soit blanche, car nous en avons une de cette couleur à la fin. Pas de rose non plus, donc le bleu est apparu comme la seule option. C'est déjà le cas dans le dessin animé mais ce n'est pas ce qui a motivé mon choix. J'ai même cherché à avoir un bleu différent et il m'a ensuite fallu du temps pour arriver à cette forme qui, pour moi, est parfaite. Et c'est amusant de constater que beaucoup d'héroïnes sont habillées en bleu : Alice, Blanche-Neige ou Dorothy dans Le Magicien d'Oz.
Préférez-vous travailler sur un film fantastique comme celui-ci, où vous pouvez davantage vous lâcher, ou sur un film plus réaliste ?
J'aime les deux. C'est super de bosser sur un film comme Cendrillon, mais même quand je m'attaque à un film d'époque plus réaliste, je ne me base pas sur la mode d'alors de façon trop rigide. Je préfère m'amuser un peu. Et même si l'histoire se déroule au XIXème siècle, je vais regarder la mode contemporaine pour créer les costumes, puisque celle-ci s'inspire forcément du passé. Je trouverai ça ennuyeux de travailler sur un film qui se déroule en 1840 et de respecter scrupuleusement les costumes de cette année. Sauf si l'on fait un documentaire ou une pièce de musée.
Sandy Powell qui pourrait d'ailleurs ouvrir son propre musée dans quelques années, puisqu'elle nous confie aimer collectionner des objets ramassés sur chaque tournage. Nous doutons cependant qu'elle soit repartie avec l'un des 8 exemplaires de la pantoufle de vair, qu'un membre de la production nous montre avec des gants blancs, en sachant qu'il a fallu plusieurs prototypes pour arriver à ce résultat et que chacune coûte plusieurs milliers de livres.
Une présentation qui permet néanmoins d'achever de manière éblouissante une visite pour le moins féérique, qui rend le retour à la réalité d'autant plus brutal. Raison de plus pour se (re)plonger dans l'univers grâce à la bande-annonce, en attendant le film.